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mercredi 8 novembre 2023

GUÉTHARY EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1893 (deuxième partie)

 

GUÉTHARY EN 1893.


En 1893, la commune de Guéthary compte environ 600 habitants.



pays basque autrefois sandalier chaussure labourd
SANDALIER AMIGORENA GUETHARY 1900
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue Hebdomadaire, le 29 juillet 1893, sous la plume de 

Gustave Guiches :



"Guéthary.



... Devant le perron, sous les tonnelles en dais de feuillages grésillant au vent de mer, les heures d’après-midi passent, reposantes, amusées par des spectacles fugitifs. Au galop des tarbais à colliers tentants, un landau file venu de Biarritz, et, dans la poussière de la route, s'épanouissent les soleils écarlates des ombrelles et flottent des voiles blancs. De petits ânes bâton nés par des gamins trottinent, portant des fillettes blotties dans des cacolets en équilibre sur la croupe, comme des salières d’osier. Un attelage de bœufs traîne d'énormes blocs de marbre, et le conducteur, qui fume sa cigarette, parfois se détourne, fait entendre un eiha de stimulation et présente aux mufles ruminant sous les voilettes grises la pointe de son makhila. Sous d'impétueuses poussées, la grille s'ouvre, et des marchands déballent dans la cour des mangoustes, des soles, des congres, des turbots, des saumons, d'extravagants coquillages, des chichars azurés et des chipirones réfugiés au fond de leurs cornets. Alors s'engagent de fougueux débats au cliquetis passionné de la langue basque. Des clameurs, des noms : Mayder ! Ganortio ! Magnagna ! des objurgations, des attestations s’entrechoquent en un vacarme ahurissant. Une marchande saisit dans ses bras une merluche, la serre sur sa poitrine avec tendresse et l’embrasse à pleines lèvres pour protester contre l'acheteuse qui contestait la fraîcheur du poisson. Bientôt le calme succède à ces tempêtes du marché quotidien. On n’entend plus que les valses d'un piano lointain, la sonnaille des vaches qui broutent l'herbe des coteaux et les servantes ingénues qui, dans leur ignorance des refrains profanes, chantent le Kyrie eleison en lavant la vaisselle ou le Magnificat en égorgeant des canards. Puis, le soir tombé, lorsque les douaniers, la couverture de nuit jetée sur l’épaule, regagnent leurs cahutes perchées au sommet des falaises, des voix, dans le silence des grandes routes, font entendre l'hymne de Guéthary et la légendaire romance de Gaston Phœbus :


Aquelos mountinos 

Qué ta naoutos soun 

M'enpaxoun dé béiré 

Mas amours oun soun. 



Après le coup de feu du dîner, Mlle J..., qui gouverne la villa sa propriété, vient s’asseoir sur le banc familial. Elle entretient volontiers ses pensionnaires des projets d’embellissement qu'elle rêve pour sa maison, du mal qu'il a fallu se donner pour satisfaire les premières clientèles, et des difficultés de la vie durant le temps d’hiver, dont les exigeantes rigueurs absorbent le profit de la saison d’été. Robuste et grande, elle glorifie le type basque qu'elle maintient par sa mise et sa fidélité au langage natal. Sur le front bruni de hâle, les cheveux se divisent en bandeaux noirs enfermés, à la naissance de la nuque, dans un foulard de deuil. Les yeux sont alertes, pétillants du désir de plaire. Dans le sourire éclairé de dents juvéniles, dans l'activité des regards, dans la mobilité des traits se succèdent toutes les nuances de l’entretien. Parole enflammée, frissonnante, imagée, sentencieuse, roulant les r en tonnerres d’affirmations, gestes pathétiques, cocasses ou majestueux comme des serments, la Basquaise se lance en des récits interminables et tourmentés.



Elles content des drames de famille avec une gesticulante émotion, une chaude éloquence, inventant des mots pittoresques et suppléant aux expressions trop rétives par des jeux de physionomie. Son père s'étant remarié, bientôt sa sollicitude filiale s'alarma, et elle jugea, non sans raison, que la nouvelle venue n'avait pas pour son époux des égards suffisants, Elle rassembla ses frères et ses sœurs, et le vieillard fut convié à cette réunion. Là, prenant la parole au nom des autres, elle dit :


— Père, vous n’êtes pas heureux. Il faut que vous quittiez cette femme et que vous veniez avec nous.



Mais le père, refusant d'avouer l'indignité de sa compagne et blâmant la démarche irrespectueuse de ses enfants, répondit avec une ferme sévérité :


— Fille, j’ai pris cette femme à l’Église, et c’est seulement à légalise que je la quitterai.



Ainsi que ses compatriotes, la Basquaise croit à la toute-puissance des sorciers. Parmi les mendiants venus la plupart des misérables districts des frontières d’Espagne et les bohémiens nomades, d’origine inconnue, détenteurs de formules malfaisantes et de philtres mortels, la superstition locale désigne comme capables de "jeter des sorts", les vieilles pauvresses à la tête branlante qui demandent l’aumône en murmurant des oraisons.



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BOHEMIENS EN VOYAGE 1861
TABLEAU D'ACHILLE ZO


Là-haut, sur la colline de Saint-Joseph, en un carrefour hanté de sabbats, vivait, dans la solitude de sa maisonnette, une mendiante d'âge incalculable à qui la rumeur publique attribuait des pouvoirs surnaturels. Le jour, elle parcourait la campagne d’une marche lente, trouvée sur son bâton de route. Elle tendait la main aux passants, s'arrêtait aux portes, et lorsqu'on refusait l’aumône revendiquée d’un geste grave et autorisé, la vieille poursuivait son chemin, laissant entendre de redoutables murmures, des paroles dont l’effet ne tardait guère à s'accomplir. Des bestiaux mouraient propageant des contagions ou foudroyés en plein travail des champs. De jeunes hommes succombaient à des consomptions inexplicables, à des maladies dont les symptômes déconcertaient la perspicacité des médecins. Des folies soudaines lâchaient hors de leurs demeures, avec des clameurs forcenées et des contorsions diaboliques, des personnes jusque-là réputées pour la validité de leur bon sens. Une zone de terreur bloquait la maison de la vieille.



Aussi, lorsqu’elle mourut, ce fut une allégresse unanime, la joie d’une délivrance ardemment attendue. Mais, comme si l’influence de la sorcière survivait à sa mort physique et, dans une action posthume, retournait contre elle-même ses victimes, le peuple se rua sur la masure, arracha de son grabat la défunte, la réclamant pour des représailles si longtemps espérées. Deux hommes soupçonnés de sorcellerie, pressés de se réhabiliter devant l’opinion, s’acharnèrent sur le cadavre, l’attelèrent à une meute de chiens montagnards et, fouettant l’attelage, le lancèrent à travers le taillis. Derrière ce convoi, la foule galopait, s’excitant à voir bondir au-dessus des ornières, franchir les murs de clôture, se déchirer aux ronces, s’écarteler au choc des obstacles, le corps de la mendiante qu’elle accompagnait de malédictions et sur lequel s’abattaient des nuées de cailloux. Les restes furent enfouis dans le sable de la plage, et l’on incendia la maison pour que fût à jamais aboli ce sinistre souvenir. Les ruines existent encore, personne n’ayant osé bâtir sa demeure sur cet emplacement. Les habitations actuelles se tiennent à distance de ces murailles fumées que dévorent les plantes parasites bruissant d’insectes, et qui n’abritent plus qu’un grouillement de lézards et d’oiseaux de nuit. Dans le voisinage, sur le point le plus élevé, devant les espaces de la pleine mer, une chapelle édifiée pour exorciser les souffles malveillants a été dédiée à saint Joseph. Ce drame n’est vieux que de trente ans à peine, et la Basquaise qui, devant moi, remémorait ces annales, certifiait avoir, dans son enfance, connu la vieille mendiante et s’être trouvée parmi les spectateurs de sa lamentable fin.



Ce n'est pourtant pas une sombre contrée que ce pays basque. Les maisons, chaque année, blanchies à la chaux, divertissent la verdure des sites par leur souriante apparition. Cette blancheur de murs, étagés en surplomb sous des toits à deux versants, est quadrillée de bandes transversales formées par des poutrelles brun foncé. Ces habitations ont, la plupart, un nom spécial. Elles s’appellent etcheberri (maison neuve), mendionde (au pied de la montagne), ugalde (à côté de l'eau), dihursuhehère (au bas de l’étang plein de joncs), et ces noms, fréquemment ajoutés à ceux des propriétaires, équivalent, dans l'avenir, à des titres de noblesse conférés par un simple usage traditionnel.



Malgré leur situation de peuple frontière, les Basques résistent à la contagion des mœurs voisines, et, bien que leurs relations avec les étrangers aient, en quelques détails, modifié leur costume, le type reste nettement reconnaissable, se transmet comme un privilège héréditaire à l'abri de toute altération. Sous le béret bleu sombre, qu'ils portent tous avec la fierté d’une coiffure de guerre, leur visage dédaignant barbe qui déguise la sincérité des physionomies, — soigneusement rasé, rudement hâlé par le vent de la mer et des montagnes, s’ennoblit de traits loyaux, énergiques et fins. Leurs yeux, qui s'animent dans les entretiens les plus futiles, révèlent, au repos, les siècles de leur origine inconnue. A travers le sourire de leur cordialité prévenante, se devine l'orgueil natal qui, chez eux, même dans les conditions les plus basses, reste toujours debout. La blague parisienne ne les blesserait pas impunément si elle touchait, avec son ordinaire irrévérence, à leur croyance religieuse, à leurs attachements politiques ou simplement à leurs superstitions, car ils sont de race mystique, et c’est d'eux que viennent Ignace de Loyola et saint François Xavier.


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31 JUILLET SAINT IGNACE DE LOYOLA


Les Basques s’habillent d’une courte veste que, le plus souvent, ils portent, les manches ballantes, jetée sur l’épaule ainsi qu'un mantelet. Ils ont le col libre, délivré de cravate. Leur large ceinture, rouge en France, bleue en Navarre, noire dans l’uniforme de deuil, s’appelle la zinta. Cette ceinture fut, au dix-septième siècle, de même que la chemise pour les Camisards, un signe de ralliement pour les Basques dans la querelle qui déchaîna les partisans du seigneur de Saint-Pée-sur-Nivelle contre ceux du seigneur d’Urtubie. Les premiers étaient sabelgori (ventres rouges) et les autres sabelchuri (ventres blancs). Chaussés de leurs alpargates, à semelles de corde tressée, liées a leurs chevilles, ils vont sur les routes, d’un pas agile, d’une allure infatigable, dont la distance ne peut endormir la souplesse et le rythme élégant. Ils chantent à pleine voix ou s’interpellent en se lançant, a travers les étendues, leur cri d’appel, l'irrincin national, le ia, ia, o, o, o qui réveille de ses hennissantes syllabes les échos les plus lointains. Le makilha sur lequel ils s’appuient est un bâton de néflier, aiguisé a son inférieure extrémité d’une pointe de fer ornée d’une collerette quadrangulaire en cuivre ouvragé. Une lanière de cuir, cravatant la partie supérieure plus mince, permet de pendre au poignet le makilha. Cette partie se dévisse en bouchon d'étui sur une longue tige implantée dans le corps du néflier et qui sert à piquer les bœufs. C’est avec ce compagnon de voyage, à la fois une arme et un soutien, que les Basques pointent, sur la poussière des routes, les kilomètres de leurs trajets. Ils sortent de leur béret la courte pipe qu'ils bourrent du tabac puisé dans la blague en peau de taupe, l'inséparable tacha, roulent de fines cigarettes sans que leur marche soit interrompue, car un ressort d'enthousiasme semble détendre leurs jarrets. Ils vont devant eux, mus par un impérieux sentiment d’aventures, et c'est sans doute ce goût de l'inconnu, plutôt que le désir de faire fortune, qui les fait émigrer, "aller aux Amériques", comme ils disent, malgré leur dévouement au sol natal."



A suivre...





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