Le 3 octobre 1817, un vol audacieux fut commis dans la commune de Cibits. La famille Etchebeste, réunie autour du foyer, s'entretenait des nombreux méfaits qui venaient d’avoir lieu récemment dans la contrée, lorsque, vers sept heures du soir, on entendit frapper à la principale porte de la maison. Bien éloigné de concevoir aucune défiance, le vieil Etchebeste, croyant reconnaître les pas du maître d’école d’Irissarry, qu’il avait imité a souper, ordonna à son petit-fils d’aller ouvrir. Celui-ci s’empressa d’exécuter les ordres de son aïeul ; mais à peine eut-il retiré les verrous, que trois hommes masqués, bientôt suivis de sept autres, renversèrent l'enfant, s’élancèrent dans l’intérieur, et, tenant un pistolet d'une main et un poignard de l’autre, crièrent aux gens rassemblés dans la cuisine, que le premier qui bougerait était mort. Frappés de terreur à cet aspect, ceux-ci se laissèrent garroter sans résistance. Le vieil Etchebeste surtout fut renversé et sommé de déclarer l'endroit dans lequel il avait caché son argent. Toutes les menaces qui lui furent adressées avaient été inutiles, et déjà gorgés de vin qu'ils avaient trouvé à la cave, les brigands se disposaient à se livrer à des recherches tandis que leurs camarades étaient occupés à faire le guet ; l’un d’eux, saisissant le petit Etchebeste, l’avait transporté dans une chambre située au premier, afin de se faire indiquer le coffre-fort du vieillard, lorsque survint un nouveau personnage qui était loin d’être attendu par les malfaiteurs ; nous voulons parler du convive prié par le vieil Etchebeste, de l’instituteur primaire d’Irissarry.
Voila en quels termes il a raconté les détails de ce crime :
"Je me rendais à l'invitation qui m’avait été adressée par M. Etchebeste, a dit le témoin, et je me disposais, après avoir attaché mon cheval, à franchir le seuil du la porte, lorsque tout à coup je me sentis violemment saisi par plusieurs hommes : cinq pistolets et cinq poignards furent à la fois dirigés vers moi, et j’entendis qu'on m’adressait ces paroles : la bourse ou la vie ! — L'une et l'autre sont à votre disposition, répondis-je ; mais sachez que si vous me tuez, du même coup vous en tuerez six. Je ne vous demande que la vie... Les brigands me dirent alors que je n'avais plus qu’une demi heure à vivre, et après m’avoir enlevé ma montre et une somme de 21 francs, que j’avais sur moi, ils me lièrent les mains derrière le dos avec la bride de mon cheval et m’étendirent à terre, ainsi qu’on l’ avait fait pour les divers membres de la famille d’Etchebeste. L’un d’eux, tandis que ses camarades se livraient au pillage de la maison, resta préposé a notre garde, et, sans doute afin d’achever de nous intimider, semblait se plaire à nous pousser de temps en temps avec son poignard, tout en nous défendant de remuer. Nous demeurâmes pendant près d'une heure dans cette terrible position. Un brigand, autre cependant que celui qui avait été jusque-là gardien, s’approcha enfin de moi. et, après m’avoir examiné attentivement, me dit : Je crois que vous êtes l'instituteur d'Irissarrry ? Je répondis affirmativement. Eh bien ! répliqua-t-il, il ne vous sera point fait de mal ; je vais parler de vous à mes camarades. Je vis effectivement que cet individu se dirigeait vers une salle voisine, où un conseil dut avoir lieu. Bientôt il revint, me rendit ma montre et 20 francs, me disant qu’il ne retenait que 20 sous ; et comme j'observai que je n’avais demandé que la vie, il ajouta qu’on me recommandait le silence, et que si j’avais jamais le malheur de proférer une seule parole sur ce qui venait de se passer, c’en serait fait de moi, et que ma vie ne vaudrait plus deux liards.
Les recherches des brigands n’avaient pas cependant été infructueuses. Déjà ils avaient enfoncé plusieurs armoires et s’étaient emparés de 3 000 fr. en or, de 400 fr. en argent. de cinquante six pièces d’argenterie, de cinq montres et d’une grande quantité de linge fin, provenant de l’opulente succession d'Etchepart (1), récemment recueillie par Etchebeste.
((1)Etchepart, l’un des joueurs les plus célèbres du siècle dernier, admis au jeu des princes et de toutes les plus grandes parties, trouva l’occasion de faire une fortune colossale dans des spéculations qui, pour tant d’autres, ne sont que des sources de ruine et de désespoir. Opposé aux principes qui triomphèrent en 89, on assure qu’il prêta des sommes immenses à des personnages augustes ; qu’il éprouva de grandes pertes pendant la révolution, et qu’il ne laissa à son frère, qui lui survécut, que de faibles débris de son opulence passée. D’un caractère différent de son frère le joueur, celui-ci s’attacha à purifier, par un noble usage, l'origine de sa fortune, et après avoir répandu de nombreux bienfaits pendant sa vie, l’acte de ses dernières volontés fut encore un modèle de philanthropie, qui rappela les généreuses institutions du vénérable Monthion. Nous nous bornerons à en citer deux dispositions : Tout entier au souvenir du pays qui l'a vu naître, Etchepart laisse une somme suffisante pour acquitter à perpétuité toutes les contributions publiques qui pourraient être imposées à la commune de Cibits, et, persuadé que l’ignorance est le plus grand des maux, il laisse en outre une inscription de six cents livres de rentes sur l'Etat, afin de subvenir à l'établissement et à l’entretien perpétuel d’une école gratuite, dans laquelle devaient être reçus indistinctement tous les enfants de Cibits...Tel est l'homme dont Etchebeste avait hérité.)
Néanmoins ils n'étaient pas satisfaits, et revenant vers le vieux Etchebeste, ils lui demandent encore s’il n’a point d’autre argent caché, et le menacent des plus affreuses tortures s’il ne s’empresse point de le révéler. Les protestations du vieillard et les supplications de l’instituteur les désarment enfin ; une heure et demie s’était écoulée depuis leur entrée ; ils délient les deux servantes, défendent, sous peine de mort, à tous les autres membres de la famille Etchebeste, de sortir avant le jour, et ne s’éloignent qu’après avoir fortement barricadé à l’extérieur la porte et les fenêtres.
Des perquisitions fort actives ont fait découvrir trois des coupables, qui ont comparu devant la cour d’assises de Pau, à l’audience du 19 août. Ce sont les nommés Bertrand Latournerie, déjà deux fois repris de justice, homme doué d’une grande audace et d’une force prodigieuse, et qu’on regardait comme auteur ou complice de tous les vols qui depuis longtemps se commettaient dans les environs de Bayonne. Le second est le nommé Etchegoyen, surnommé Mina, surnom assurément bien digne de la profession qu’il exerçait.
Il est difficile de montrer, au milieu du crime, une plus grande audace que Latournerie : pendant que ses complices se livraient au pillage, il se saisit d’un violon, le porta à son épaule, et imitait le doigté d’un homme qui se dispose a jouer.
La troisième accusée était la nommée Salaberie, femme de l’un des accusés ; elle a été acquittée. Latournerie et Etchegoyen, dit Mina, ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité."
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