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mardi 28 novembre 2023

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896 (cinquième partie)

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896.


La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.



pais vasco antes mujer vizcaya
FEMME DE BASSE BISCAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN





Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici 

ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse 

d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 1er février 1896 :



"La femme du pays basque (suite).



... La récolte de la fougère commence en octobre et ne finit guère qu'en décembre. Les fougeraies couvrent les pentes, les plateaux, les sommets, l'escarpement des ravins, partout où un peu de terre végétale a permis aux fougères, aux bruyères, à l'ajonc épineux de tracer leurs racines ; elles sont situées dans les lieux les plus ingrats, lorsqu'un sol pauvre, le climat froid et humide ne permet ni la culture de la vigne, ni le défrichement pour les champs et les prairies. Pendant plusieurs semaines, par tous les temps, qu'il pleuve ou qu'il vente, tous les matins à l'aurore, les habitants de la ferme se mettent en route. Ils emportent leur frugal repas de midi, car ils ne rentreront qu'à la tombée de la nuit ; ils ont leurs faucilles à la main et des cordes enroulées sur leurs épaules ; ce sont leurs outils agricoles ; ils gravissent les sentiers, grimpent le long des rochers, escaladent les points abruptes, et montent, montent toujours en haut, très haut. Pendant qu'ils cheminent, l'Angélus sonne à l'église du village, les premiers rayons du soleil blanchissent le ciel ; la terre est encore enveloppée d'ombre et de vapeurs matinales. A mesure qu'ils s'élèvent, le soleil monte et répand sa lumière sur le chaos des pics, éclairant les cimes les unes après les autres, jusqu'à ce que sa royale lumière inonde les vallées. La petite troupe des moissonneurs se réchauffe. La joie du réveil de la nature remplit les coeurs ; les plus jeunes chantent ; tous sentent, malgré l'habitude qu'ils ont d'y assister, combien le spectacle est magnifique ! Maintenant, en bas, le village ne leur apparaît plus dans la verdure des prés et des arbres que comme un jouet d'enfant ; la rivière marque son sillage en étroit ruban d'argent, et, éparses, des maisonnettes, toutes petites, semées au hasard dans les replis du terrain, au milieu des bois, sur le bord des prairies, semblent, tout autour sur les montagnes qui enserrent les vallées, comme d'autres jouets dont quelques points mouvants dans les herbages représentent les habitants et le bétail. Chacun reconnaît sa ferme et la ferme d'un tel et d'un tel et observe les détails de la vie du fermier. Mais ce qu'on peut encore examiner chez le voisin est devenu bien vague, bien imperceptible ! Quelle solitude, quel silence et quel calme ! En haut la voûte infinie, et, pour soutenir la voûte, comme piliers, les pics neigeux à l'horizon ; tout près la masse énorme et la hauteur sur laquelle on va recueillir la litière de l'étable qu'on est venu y chercher. Comment, dans la splendeur de cet atelier, les ouvriers ne ressentiraient-ils pas l'influence de l'éternelle beauté ? Cette beauté se dévoile à leurs yeux comme récompense de leur bon courage, c'est le livre illustré que la main du Père céleste feuillette pour eux et dont la lecture leur est faite en secret pendant leur travail. Il n'est pas besoin d'apprendre à lire dans les livres humains, on peut rester illettré, on n'est pas ignorant lorsque journellement on lit les oeuvres de l'éditeur divin...



Et peut-être trouverons-nous ici l'explication dès dons poétiques des improvisateurs et des improvisatrices dont nous parlions tout à l'heure. Ils ont vu et en voyant ils ont deviné les règles de l'art retracées dans la nature.



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FOUGERE



On coupe la fougère à la serpe, agenouillé sur la mousse humide, la peau des mains et des jambes arrachée par les piquants des ajoncs. On continue sous la pluie, car on ne peut trouver de refuge dans ces solitudes où souvent il n'y a même pas un arbre pour offrir l'abri de son feuillage. On poursuit lorsque le soleil brûle, courbé sous ses feux et la sueur au front. On réunit en meules la fougère à mesure qu'elle est fauchée ; cette partie du travail est exécutée par les femmes aussi bien que par les hommes. Ce qui est pénible, ce que l'homme seul peut accomplir, c'est de charger sur le dos les meules qu'on a liées avec des cordes en gros paquets et de s'en aller par les pentes dangereuses à travers les rochers, ployé sous le fardeau jusqu'à l'endroit où l'inclinaison de la montagne et l'orientation du ravin permettent de lancer les paquets et de les faire rouler jusqu'au fond. Doer la fougère, selon les expressions des ouvriers, est doublement fatigant lorsque la plante est mouillée par la pluie, ce qui arrive la plupart du temps. La récolte descendue dans le ravin, on vient la charger sur des traîneaux et on la transporte jusqu'à un chemin à peu près accessible aux charrettes. On recommence alors à décharger et à recharger et on rentre enfin sur les charrettes le bon lit sain et chaud sur lequel les animaux de la ferme passeront à l'aise la mauvaise saison.



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COUPE DE LA FOUGERE
NIVERNAIS D'ANTAN



La récolte de la fougère, quelque pénible qu'elle soit, ne met pas positivement en danger la vie des moissonneurs. Par contre, la gaulée des châtaignes ne va pas sans grands périls et il ne se passe pas d'années où l'on n'ait de ce chef, malheureusement, une chute grave ou un accident mortel à déplorer. La femme ne peut y prendre que la moindre part. Elle ramasse le fruit à mesure que l'homme grimpé dans l'arbre le fait tomber à grands coups de sa gaule. On frémit des conditions périlleuses dans lesquelles le gauleur accomplit son travail. Le châtaignier dans lequel il se place a poussé au bord d'un ravin, ses branches s'étendent au-dessus du précipice ; l'homme a l'abîme sous lui, un abîme que des rochers hérissent. C'est à chaque minute sa vie qu'il met en question. Dans cette charpente mouvante que le vent fait ployer, sur les branches arrondies et glissantes il se campe, tandis qu'à bras tendus, des deux mains il manoeuvre la longue perche. Tantôt le voilà à cheval sur la branche, tantôt il s'agrippe des pieds aux intersections des branches et du tronc, ou il cherche à s'accrocher aux rugosités de l'écorce ; comment peut-il tenir, tandis que pour atteindre la châtaigne aux extrémités des rameaux, il se met debout et se penche en avant et s'étend aussi loin qu'il peut en maniant cette gaule si lourde et si longue dont le poids risque de lui faire perdre l'équilibre. S'il ne se casse pas le cou, c'est miracle. Les femmes courent aussi des dangers pendant qu'au bas de l'arbre elles remplissent les corbeilles ; l'homme en prenant son élan a lâché la gaule ; la gaule, en tombant, peut blesser grièvement, cela s'est vu, car l'ouvrière courbée sur sa glane ne songe pas à se garer. Quel fruit coûte plus cher aux braves paysans que cette petite châtaigne ! Qui de nous se doute de son véritable prix, lorsque, pour quelques sous, nous rapportons à la maison le sac brûlant du marchand de marrons de nos rues !


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BATTAGE DES CHÂTAIGNES
ARDECHE D'ANTAN


Il est incontestable que les travaux agricoles ne vont pas sans de réels dangers, sans sacrifices et sans fatigues. Le Basque dit que la femme dont les pieds sont de sel ne doit pas laver. La femme dont les bras sont de coton et les jambes de papier mâché fera bien de se trouver une cachette pour s'y installer une litière. Mais sera-t-elle mieux en ville qu'à la campagne pour rester paresseuse ? J'en doute. La faim a vite fait de découvrir les cachettes de la femme oisive, aussi bien à la ville qu'à la campagne.



Si l'agriculture fait des victimes, ce sont des exceptions. Comptera-t-on, au contraire, le nombre des victimes des ateliers urbains ? N'est-ce pas dans ces ateliers que se perdent les vies ? En ville, la phtisie tient le haut du pavé. En trois générations, cette maîtresse a expédié la famille arrivée des champs, robuste et saine, quelque soixante ans auparavant. C'est une loi de destruction fatale qu'ont révélée l'implacable statistique. En ville, l'anémie épuise la jeune fille et la vieillit à vingt ans ; pauvre jeune fille qui a quitté son village et ses champs pour vivre de la vie des demoiselles et qui en meurt. En ville, les industries malsaines causent d'incurables maladies : nécrose des os, empoisonnements de diverses variétés, tuberculoses. Oh ! si les médecins pouvaient donner d'efficaces ordonnances ! Sont-ce des pilules et des extraits qu'ils feraient prendre à leurs malades citadins ? Ne serait-ce pas tout simplement la clé des champs ? En ville on mange des aliments malsains, on boit des breuvages frelatés ; on respire un air vicié dont nous avons horreur lorsqu'un beau rayon de soleil qui le traverse le rend visible, et nous le montre épais, chargé de poussières et de germes morbides. En ville, la famille se disperse, les enfants vagabondent. On est loin des choses de Dieu, on se prive de beautés idéales, on se sèvre des biens que Dieu a accordés pour le réconfort de la race humaine. Il faut se demander si, en ville, on n'est pas séparé de Dieu lui-même ! Dieu est-il dans nos villes, y ouvre-t-il sous nos yeux, comme il le fait à la campagne, le livre de ses merveilles ? Non, mille fois non. En ville, le livre que l'on feuillette est un mauvais livre, le livre d'une humanité déchue, découronnée. Ne désertons pas les champs. Que notre courte carrière ici-bas s'écoule dans le labeur et dans la paix. Restons où se trouvent notre berceau, notre foyer, notre famille : Bretons en Bretagne, Berrichons dans le Berry, Béarnais en Béarn, Basques dans leur beau pays. Ne nous séparons ni des amis, ni du genre d'existence, ni des travaux auxquels dès l'enfance nous avons été accoutumés. Ce qui a suffi aux pères doit suffire aux enfants. Reprenons faucilles et sarcloirs et nos paniers pour les vendanges. Nos âmes se rasséréneront, nos corps resteront robustes, déchaussons de nos pieds ces souliers trop étroits, brûlons au feu les corsets malfaisants. Et puis, voyant tous les jours, par nos plaines et par nos vallées, les volées de passereaux nourris selon leurs besoins, notre foi sera fortifiée, et nous irons chantant comme eux savent gazouiller."



A suivre...



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