Libellés

dimanche 5 novembre 2023

UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN NOVEMBRE 1897 (troisième partie)

 

UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1897.


Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.


pays basque économie tourisme voyage contrebande douaniers
ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet la revue mensuelle La Revue du Palais, le 1er novembre 1897, sous 

la plume de Georges Haume :



"En Pays Basque. 



... Le lendemain, je descends respirer l’air léger de l’aurore, sous le toit des platanes. Mais un homme en habits poudreux et rapiécés, un foulard rouge au cou, un chapeau de feutre, chose extraordinaire, au lieu d’un béret, sur ses cheveux durs, est acagnardé sur la dalle du seuil. Il fume la cigarette en fredonnant une chanson très lente, en regardant, de l’autre côté de la route, dans le pré, les cerisiers criblés de fruits. Il paraît gêné de mon apparition, moi un étranger, non vêtu à la mode basque. Je m'assieds auprès de lui, sur le banc de bois posé contre le mur. Car ce passant aux yeux hardis, dont la face allumée, un peu pâteuse, n'est point celle d’un Basque, m’intrigue par son flegme et son insouciance. J’ai beau l’examiner, il ne bouge guère. Tout de même, il m’observe aussi, à la dérobée. Brusquement, il s’en va dans la cuisine. Je l’entends causer à voix basse avec Mme Camino. Il se renseigne sur mon compte.



Le voici de retour, assis de nouveau sur la dalle du seuil. Il soupire, puis se tournant vers moi, il engage la conversation :


— Il fera beau aujourd’hui, monsieur.... Monsieur n’est pas de ce pays ?


— Non.... Ni vous, je crois ? 


— Moi, je suis de la vallée d’Aspe, du côté d’Oloron. Oh ! mais, il y a longtemps que je vis dans la Biscaye. Ah ! je les connais, ces montagnes....



Il me désigne, derrière son dos, le Mondarrain, les sommets d’où l’on descend en Espagne.


pays basque autrefois montagne labourd
VUE SUR MONDARRAIN DEPUIS THERMES CAMBO
PAYS BASQUE D'ANTAN


— Vous ne vous doutiez pas, reprit-il en riant, que cette nuit je couchais près de vous. La mère Camino me donne toujours la même chambre. Je passe ici une fois par mois à peu près.



Intrigué davantage par le métier que peut bien exercer un si brave homme, qui paraît content de la vie, je l’interroge :


— Vous êtes voyageur ? 


— Mon Dieu, oui, je voyage constamment. Avec mon violon, je fais danser la jeunesse aux bals, aux mariages.... Seulement, on ne danse pas tous les jours. Le violon ne rapporterait guère.



Il ricane presque, avec une malice d’enfant. Sans transition, il m’offre des boîtes d’allumettes, beaucoup d'allumettes à très bon marché. Allons, je n’ai pas de mérite à le deviner, voici un de ces contrebandiers romanesques, dont les exploits nous intéressent, au loin. Celui-ci, ma foi, paraît être le meilleur garçon du monde. Il fouille ses poches, en retire des boîtes grossières bourrées d’allumettes en cire jaune. Je les lui achète. Et aussitôt encouragé, il se met à bavarder avec le plaisir glorieux de vanter les choses qu’on aime :


— Ah ! monsieur, la contrebande, c’était bon autrefois, quand il n’y avait pas de chemins de fer et qu’on n’avait pas ouvert tant de routes à travers les Pyrénées ! On peut si aisément aujourd’hui s’en aller en Espagne par le chemin de Laxia, par les chemins de Sarre, d’Olette, de Roncevaux, et même, tenez ! par celui de Saint-Etienne de Baïgorry où l'on construit une voie ferrée qui ira droit à Pampelune !... Oui, si vous saviez ! Les maisons de Paris, de Bordeaux, des grandes villes, savent se servir de leur argent. Avec de l’argent, on s’entend très bien avec les carabineros de l’Espagne, et d’abord avec les chefs de Pampelune et de Saint-Sébastien. Les marchandises passent en charrettes, en payant un impôt aux carabineros voilà tout, mais un impôt très faible.... Que voulez-vous ? Tout change. Il faut se résigner.


— Pourquoi donc, demandai-je, continuez-vous à pratiquer un métier qui ne compense plus par ses bénéfices les fatigues et les dangers auxquels il vous expose ?


— L’habitude.... J’aurai 40 ans bientôt. J’étais adolescent, lorsque j’ai commencé à gagner ma vie dans la vallée d’Aspe, dans la gorge de Lescun où le diable lui-même n’est jamais passé.


— Vous n’avez jamais été pris ? 


— On ne peut guère l’être.... Nous opérions par bandes de cinq ou six. Avant de partir, nous étions informés sur les intentions des douaniers, qui chaque soir modifient leur itinéraire de surveillance. Nous filions loin des fermes et des grottes, d’où ils nous guettaient.... Le plus pénible est de marcher dans l’obscurité, au milieu du silence. Malgré nos précautions, on était pincé parfois : mais voilà, jamais nous autres. Oui, dès qu’on entendait la douane, on rejetait le ballot de l’épaule, et en avant, à tire-de-jambes, on se sauvait. Le plus à craindre, c’est les gens qui vous vendent soit par rivalité, soit par intérêt. Dans ce cas, les douaniers organisaient une battue, et dans les passages les plus dangereux, on les voyait surgir de leurs cachettes.


— Ils ne tiraient pas sur vous ? 


— A parler franc, ils liraient en l’air. Il leur suffisait de nous mettre en déroute, d’empêcher la contrebande. Une fois seulement, il y a eu mort d’homme.


— Un des vôtres qui se révolta ? 


— Non. Cette nuit d’automne qu’il avait neigé, nous avions affaire à cinq soldats commandés par un officier. 


Sachez que dans ces battues, ils se dispersent, chacun d’eux marche à son gré. Puis, l'expédition terminée, quand ils n’espèrent plus attraper la contrebande, ils redescendent, chacun par son sentier, dans l’endroit désigné d’avance pour le rassemblement.... Or, cette nuit de vent et de neige, un des nôtres, par dépit, s’arrêta net derrière une broussaille ; là, bien dissimulé, il guetta, à son tour, nos persécuteurs qui pourtant font leur devoir, puisqu’ils sont payés. Cependant, un des soldats, emporté par son zèle, perdit le contact de sa petite troupe, et flairant peut-être sa proie, il suivait le sentier qu'avait abandonné notre camarade.... Ah ! je vous assure que celui-ci ne manqua pas le pauvre homme avec son couteau, la seule arme que nous ayons, nous autres, pour nous défendre. Le lendemain, les jours suivants, tous les douaniers de la région se réunirent pour rechercher leur collègue. Il neigeait davantage ; les recherches furent longues. On découvrit enfin le cadavre sous un roc. Ses mains et sa figure étaient déjà rongées par quelque bête. Notre camarade ne reparut plus, on n’entendit plus parler de lui. Il doit vivre en Espagne sous un nom d’emprunt.... Quoi qu’il en soit, la contrebande devint désormais fort difficile dans la vallée d’Aspe.


— Avouez qu’on n’avait pas tort de vous pourchasser. 


— Oh ! un contrebandier fait si peu de mal !... 


— Alors, vous êtes venu ici ?... Mais vous ne vous cachez pas beaucoup, dites-moi ? Les douaniers s’arrêtent quelquefois à l’auberge.


— Pourquoi me cacher pendant le jour ? La nuit, quand je pars, je suis très bien informé, allez. D’abord, ces douaniers sont-ils aussi familiers que moi avec la montagne ? Vous comprenez, la plupart d’entre eux viennent de Pyrénées lointaines, même de la Gironde.



Mon homme bavarda pendant une heure sur le ton poli, onctueux, des Gascons de sa race, dont la loyauté n’a pas bonne réputation en Biscaye.


— Ah ! la montagne! s'écria-t-il. Vous ne désirez pas la visiter ? Vous ne risquerez rien avec moi, je vous assure.



Un petit frisson me parcourut des pieds à la tête. Etait-ce de la frayeur ? Je ne sais. Le contrebandier me regardait avec des yeux très doux, pleins d’amitié.


— Non, lui dis-je, j’aime mieux aller à l’aventure. 


— Autrement, vous savez, à part ça, les contrebandiers sont honnêtes....



Il me tendit la main et partit. Je ne le revis plus. Le soir, je voulus à mon tour me renseigner sur son compte. Mme Camino, qui souriait de ses lèvres minces, m’expliqua que cet homme était un excellent payeur et qu’il ne faisait jamais du bruit dans l'hôtel.



Le lendemain matin, une minute après le passage du facteur rural, arrivent deux douaniers de la caserne de la Place. A peine sont-ils installés dans la petite salle, dont la fenêtre est entrouverte ouverte sur la terrasse, que je les rejoins. Loin de se méfier de moi, ils s’excusent presque de me déranger. Je m’assois simplement à leur table, puisqu'il n’y en a pas d'autre, une table ronde qui peut contenir une douzaine de personnes. Nous nous désaltérons ensemble. Ils me font l'éloge de ce pays basque, de la vie d’excursions et de distractions qu’ils y mènent. Si le revolver d’ordonnance ne luisait pas à leur ceinture, je les prendrais encore, ma foi, pour des soldats de la parade de dimanche. Tous les deux, jeunes, sont du pays d’Oloron, le pays de mon contrebandier. Sur ce chapitre de la contrebande, ils m’assurent que leur rôle est plutôt de la prévenir que de la réprimer. Quelques irréguliers du bon vieux temps s’obstinent à porter des ballots d'étoffes en Espagne, mais en somme, tous les paysans sont ici fidèlement attachés à leur terre. Les douaniers fument. Mme Camino, qui ne néglige aucune précaution, a posé sur la table d’authentiques allumettes de la régie. Comme elles sont bientôt épuisées, les fumeurs se servent tranquillement de leurs propres allumettes, et de même que j'ai déjà reconnu leur gros tabac d’Espagne, de même je reconnais les boîtes pareilles à celle que m’avait vendues, la veille, le joueur de violon.



pays basque autrefois douaniers contrebande labourd frontière
CASERNE DOUANIERS BASSEBOURE ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN



On cause pêche. Ils vont placer leurs filets dans la Nive, aux bons endroits, et me proposent de me vendre des truites. Pourtant, ils retirent très souvent leurs filets vides, tandis que, dans les passages où la rivière se répand en faibles nappes sur le gravier, le gamin du chef de gare prend chaque jour avec ses mains une provision de truites qu’il va vendre çà et là, chez les Américains principalement.



Je rends visite au curé, dans son salon carrelé de pavés rouges, décoré d’images religieuses, et dont les trois fenêtres regardent la Nive et les coteaux. Cette tête de vieillard couronnée de cheveux blancs, ce long visage aux pommettes saillantes, aux yeux clairs enfoncés sous les arcades, me plaisent beaucoup. Pourquoi ce brave curé n’est-il pas aimé de ses paroissiens ? Il est pourtant né à Itsatsou même. Lui reproche-t-on son origine de pauvre, sa naissance dans une cahute qui exister encore sous la colline de la Place, au bord d’un ruisseau ? Les mains aux genoux, il me parle de son pays qu'il adore, hors duquel certainement il ne pense jamais. Il m’exprime son regret de ne pouvoir vivre d’accord avec le maire, et me raconte la cause de leur brouille :


Au XVIIIe siècle, un émigrant revenant d’Amérique, après y avoir fait fortune, perdit en route sa femme et ses enfants. Dans son malheur, il fit le vœu de consacrer une grande somme d’argent à un don qu’il offrirait à son église, où sa femme, comme lui, avait été baptisée. Il offrit des ornements d’autel en massif d’argent doré, sur lesquels les plus habiles orfèvres de Bayonne gravèrent son nom et ceux de ses chers défunts. Ces ornements ont été, par miracle, conservés jusqu’à ce jour. Car, durant la période révolutionnaire, des Basques d’Espagne vinrent bouleverser la commune d’Itsatsou et les communes environnantes. Le pays manquant de défenseurs valides, les Espagnols s’y livrèrent à toute sorte de déprédations et de crimes. Ils convoitaient surtout les ornements d’église, dont la réputation s’était propagée au delà même de la Biscaye. Le prêtre, avec l’orgueil farouche de sa race, leur résista, préférant mourir à la porte de son église, sous les arceaux du parvis. Alors, les bandits, furieux, pensèrent que si le prêtre avait refusé de parler, même devant la mort, le sacristain céderait à leurs menaces. Celui-ci, cordonnier de son état, habitait avec son fils, âgé d’une quinzaine d’années, une des maisons du voisinage qui sont groupées, à l’ouest du cimetière, autour d’un tertre que domine une croix de fer. Son maître, alarmé dès la première heure, l’avait prié, en effet, de receler le trésor chez lui, où les Basques d’Espagne auraient moins de chance de le découvrir. Le serviteur, respectueux et docile, avait enfoui le trésor sous ses pieds, dans le sol battu de son échoppe. Les bandits fouillèrent en vain. Cependant, convaincus que le sacristain, dont les dénégations étaient maladroites, connaissait la cachette précieuse, ils le tourmentèrent sans merci. Devant la porte de l’échoppe, ils tuèrent son enfant. D’un coup de hache, ils ébranlèrent, sur son socle de pierres, la croix de fer qui demeure encore entamée. Le sacristain, avouant alors qu’il connaissait la cachette, mais plus courageux à mesure que les bandits s’irritaient dans le mal, déclara que jamais il ne révélerait son secret. A ces mots, ils l’étendirent sur le tertre rocailleux, et obligeant les femmes, le seul vieillard du voisinage, à assister au spectacle de son supplice, ils lui brûlèrent les pieds à un feu de bois, puis avec des fers rouges. Le supplicié n’eut pas un instant de défaillance. Croyant que sa dernière heure était venue, il disait ses prières, les yeux au ciel.... Les bandits eurent-ils soudain l'horreur de leurs forfaits ? Furent-ils déconcertés par l’indomptable courage d’un homme du peuple, fidèle à son serment et à sa foi ? Ils lui laissèrent la vie.... Le sacristain vécut longtemps, honoré à l’égal d’un saint, dans son échoppe, ayant sous les yeux le tertre que le sang de son fils avait arrosé et où lui-même avait souffert le martyre. Aujourd’hui encore on parle de lui avec émotion, avec de l’orgueil pour un pays qui crée des êtres si simplement héroïques...."



A suivre...



(Source : Les douanes à Itxassou - HiStory (lafibre64.fr))




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

Plus de 5 400 autres articles vous attendent dans mon blog :

https://paysbasqueavant.blogspot.com/


N'hésitez pas à vous abonner à mon blog, à la page Facebook et à la chaîne YouTube, c'est gratuit !!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire