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lundi 13 novembre 2023

L'ÉCRIVAIN BAYONNAIS THIERRY SANDRE EN 1924 (deuxième et dernière partie)

 

L'ÉCRIVAIN BAYONNAIS THIERRY SANDRE EN 1924.


Jean-Joseph Auguste Moulié, alias Thierry Sandre, né à Bayonne (Basses-Pyrénées) le 19 mai 1890 et mort à Bouchemaine (Maine-et-Loire) le 11 octobre 1950, est un écrivain, poète et essayiste français.




THIERRY SANDRE
PHOTO DE L'AGENCE ROL 1924



Voici ce que rapporta à son sujet l'hebdomadaire Les Annales Politiques et Littéraires, le 21 

décembre 1924, sous la plume de G. de Pawlowski :



"Les livres. Le Prix Goncourt est attribué à M. Thierry Sandre auteur du Chèvrefeuille, mémorialiste du Purgatoire, traducteur d'Athénée.



... Il ne restait plus à M. Thierry Sandre qu'à créer véritablement, qu'à inventer, qu'à devenir romancier ; ceci n'est pas à proprement parler un nouvel aspect de l'auteur, mais le résumé, la mise en valeur des deux autres. Ce troisième aspect, l'Académie Goncourt l'a couronné également sous les espèces du roman intitulé Le Chèvrefeuille.



Que vaut ce roman ? Toute la question est là, car, au fond, c'est tout de même un romancier qu'entend couronner l'Académie Goncourt.



Ce roman, je tiens à le dire tout de suite très nettement, ne me satisfait point quant à la forme littéraire. Sa composition est hésitante, chaotique dans le détail, malgré l'admirable netteté d'ensemble du scénario. Le style est timide, raide ; il manque de ces ornements, de cette cadence qui dénotent immédiatement le génie. L'écriture trop hâtive de M. Thierry Sandre est sans charme ; elle manque de soin, de sens artistique, elle est celle d'un article de journal, d'un compte rendu de course, d'un rapport de polytechnicien. Elle est celle, en un mot, d'un savant ou d'un sportif.



Je tenais à faire immédiatement ces quelques restrictions, car, au point de vue des idées, l'oeuvre est d'un rare mérite et seul l'instrument ne vaut point la musique de l'âme qu'il prétend traduire.



Le scénario du Chèvrefeuille aurait tenté un Barbey d'Aurevilly avec un je ne sais quoi de souterrain qui rappelle bien souvent Dostoïewsky. Vous vous souvenez peut-être de ce roman de Dostoïewsky intitulé Krotkaïa.



Un prêteur sur gages rentre chez lui retrouver sa femme, qu'il adore et qu'il veut rendre riche ; il la trouve morte : elle s'est suicidée en se jetant par la fenêtre. Et c'est tout. L'homme auprès du cadavre réfléchit, il réfléchit toute la nuit, et, petit à petit, la vérité se fait jour dans son cerveau : c'est lui qui a tué sa femme, car il a oublié de lui dire le but qu'il poursuivait pour elle dans leur vie atroce !



Le Chèvrefeuille rappelle un peu ce procédé intérieur. L'auteur vient d'assister à la cérémonie où l'on alluma pour la première fois la flamme du souvenir sous l'Arc de Triomphe. En descendant l'avenue de Wagram, hanté par ses souvenirs à lui de la guerre et voyant un homme qui ressemble à un ami tué à Verdun, toute l'histoire lui revient de cet ami Maurice qui, progressivement, se détacha de lui, lorsqu'il eut épousé Marthe. L'amour que cette Marthe portait à son mari était une passion exclusive et jalouse ; l'auteur, quelque chagrin qu'il en eût, n'osa point troubler cette idylle que termina la guerre. Lorsque Maurice partit pour le front, Marthe déclara :


— Si tu meurs, j'en mourrai.



De fait, lorsque Maurice eut été tué devant Verdun, le désespoir de Marthe devint si sombre, si farouche, que l'auteur, lorsqu'il venait en permission, puis, plus tard, après la guerre, n'osa plus voir que de loin en loin cette veuve féroce, jalouse et tragique.



Un jour, cependant, il dut l'accompagner au front pour procéder à l'exhumation des restes de Maurice. L'auteur eût bien voulu que Marthe se dispensât de ce pénible spectacle, mais Marthe entendait tenir jusqu'au bout. Et rien n'est plus atroce, plus vécu que ce récit d'exhumation. D'un seul trait, l'auteur nous fait atteindre aux limites mêmes de l'horreur. Dans cette journée de décembre, deux petits soldats de corvée, tout jeunes, attaquent doucement le tertre à coups de pioche. La tombe n'est pas profonde. Ils touchent bientôt au bois et dégagent un cercueil qui n'est pas fermé, car une unique planche ne suffit point à le recouvrir en entier. Les deux petits soldats enfilent des gants de toile imperméable. Ils se mettent entre les spectateurs et la tombe, pour la masquer avant de soulever le dérisoire couvercle. Marthe s'est penchée : on voit de la terre et du drap bleu. Les deux enfants se baissent.


— D'abord la tête, dit le gardien.


Marthe s'évanouit.



Je ne connais rien, pour ma part, de plus affreusement descriptif de la décomposition que ce "d'abord la tête", pour ce corps qu'il faut transporter d'un cercueil dans un autre et que l'on s'imagine, malgré tout, d'une seule pièce dans la mort.



Et l'auteur, en rentrant à Paris parmi ses livres, retrouve au hasard avec émotion ce vieux lai, écrit au XIIIe siècle par Marie de France et intitulé Le Chèvrefeuille. Il nous apprend que le chèvrefeuille se noue au coudrier, que coudrier et chèvrefeuille peuvent vivre, s'ils restent enlacés :

Mais, si l'on veut les séparer, 

Le coudrier meurt promptement, 

Le chèvrefeuille mêmement.  

"Belle amie, ainsi est de nous :

Ni vous sans moi, ni moi sans vous !"


Telle est la première partie de ce roman.



La seconde eût fait, je crois, la joie du Connétable des Lettres. Quelques jours plus tard, l'auteur voit entrer chez lui un homme qu'il reconnaît avec stupéfaction. C'est Maurice, Maurice qui, en substituant ses papiers et sa médaille à ceux d'un mort tué à côté de lui dans l'incroyable bousculade de Verdun, s'est laissé faire prisonnier sous un faux nom, a gagné depuis l'Amérique, où il vit depuis trois ans. Quel est cet incompréhensible mystère ? Nous l'apprendrons progressivement.



Oui, Maurice fut follement heureux au début de son mariage. Il eut la joie de révéler Marthe à l'amour, mais cet amour devint bientôt passion. Marthe fut l'amoureuse avec toutes ses exigences exclusives, sa tyrannie jalouse, bientôt insoutenable. Maurice, qui, par charité, n'avait point confessé son bonheur à son ami, n'osa point lui confier ensuite son angoisse ; ce fut presque avec joie qu'il partit pour la guerre, comptant que l'absence changerait bien des choses. Mais les lettres de Marthe étaient plus passionnées que jamais. Maurice se sentait pris, avili, enchaîné jusqu'à la fin de ses jours. Mieux valait la mort ; il la chercha en vain et, las de ne point la trouver, s'enfuit vers l'inconnu.



Mais certaines chaînes ne se dénouent pas aussi facilement qu'on pourrait le croire. En Amérique, Maurice a longuement réfléchi ; il aime Marthe, il veut la reprendre, il faut que son ami lui annonce avec ménagement son retour. Quelle émotion effroyable ce sera, en effet, pour Marthe !



Et le narrateur, qui n'a point vu Marthe depuis quelques mois, hésite, car il sait que Marthe lui en voudra encore, avec jalousie, d'avoir été le premier à apprendre le retour de son mari. Il se décide, cependant, s'en va chez Marthe; à la porte, il rencontre une jeune dame, amie commune, qui lui dit :

— Tiens, vous aussi, vous veniez voir les amoureux; ils ne rentreront que demain.

Devant la stupéfaction de son interlocuteur, la dame s'imagine qu'elle a fait une gaffe, elle bredouille, puis dit toute la vérité : Marthe s'est remariée, le nouveau ménage demeure dans l'appartement de l'ancien. Et comme la dame se rassure, elle poursuit :

— Vous ne la (connaissiez pas, c'est une amoureuse. Votre ami Maurice a donné à cette chère Marthe le goût des bonnes choses. Rester veuve à son âge, cela n'était pas drôle !

Ainsi donc, le sombre désespoir de Marthe était un désespoir plutôt physique, et un désespoir physique peut être évidemment consolé.

Que va dire Maurice en apprenant cette nouvelle ? Rien. Il repart pour l'Amérique, il restera mort pour tout le monde; il affecte presque l'indifférence.

— Et si je revois Marthe ? lui demande son ami.

Il répond :

— Tu lui diras ce que tu voudras.

Et, un lundi de Pâques 1924, un courrier du matin apporte de New-York une longue enveloppe blanche contenant une lettre dactylographiée à signature illisible, qui invite à ouvrir une enveloppe plus petite contenant un billet de la main de Maurice :

« Quand tu recevras ce billet, tu sauras que je suis mort, définitivement, si tu me passes cette lugubre plaisanterie. Je ne regrette rien. Ne regrette rien non plus et sois heureux, si tu le peux ! »

Il en sera de lui et d'elle tout ainsi que du chèvrefeuille... Il nous semble bien; cependant, que seul le coudrier est mort de l'aventure et que le chèvrefeuille a trouvé, lui, une autre branche de coudrier pour s'enrouler.

Ce que je ne puis traduire dans cette brève analyse du scénario, c'est la façon progressive et fort habile dont l'auteur a su ménager ses révélations psychologiques et éclairer petit à petit l'âme si complexe de ses personnages.

Le plan est excellent, les idées émouvantes et originales. Si l'on peut reprocher quelque chose à ce livre, qu'on lit tout d'un trait avec intérêt, c'est un manque de travail dans le détail, de soin dans la construction, une insuffisance dans le choix des mots et dans l'harmonie du style. Qu'on ne s'y trompe point: nous aimons avant tout la clarté, et l'amphigourisme nous est odieux. Rien ne nous plaît donc

davantage que la santé morale et le bon sens psychologique de l'auteur. Mais un livre est une oeuvre d'art qui exige un choix minutieux de ces joyaux étincelants que sont les mots. M. Thierry Sandre a encore la raideur agressive que donne la timidité de la jeunesse; il a tout en même temps comme une hâte sportive à réaliser trop vite les idées excellentes qui lui viennent. Il deviendra un grand romancier lorsqu'il éprouvera, en écrivant, cette même joie que l'on peut avoir à peindre lentement, minutieusement, avec toutes les ressources de son métier.

G. DE PAWLOWSKI.





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