UNE PASTORALE EN SOULE EN 1898.
La pastorale souletine est une pièce de théâtre en langue Basque et plus particulièrement en souletin.
Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel Mercure de France, le 1er mai 1898, sous la plume d'E.
Vigié-Lecoq :
"Une pastorale au Pays Basque.
Deux musiciens placés sur le théâtre, aux côtés des acteurs, jouent du chirola, ou flageolet rustique, qu’ils tiennent d’une seule main, de l’autre, ils frappent un tvmpanon, suspendu à leur ceinture. Cette musique est grêle, lointaine, voilée. Elle évoque toute la solitude, toute la mélancolie des sites pyrénéens.
Cependant le prologue s’achève, le drame est expliqué, justifié. Plus d’imprévu pour le spectateur ; la surprise est un artifice dramatique tout moderne, l'attente d’un fait connu excitait les imaginations d’autrefois, fraîches et enfantines. L’acteur qui psalmodie est demeuré impassible, c’est que l’art primitif veut la parole indépendante de la mimique, en Grèce il s'accommodait même du masque qui immobilise une expression. Ailleurs, des peintres naïfs faisaient saillir de la toile des têtes sans pensée et figuraient sur des banderoles les paroles s’envolant des lèvres mortes. Mais à la fin de chaque couplet, alors que la voix du récitant monte et s'interrompt, sur une note aiguë, l'acteur élève les bras d’un ample geste : commisération, douleur ou colère.
L'action s’engage, confuse, étrange. C’est un mélange d’imitation maladroite et d’inspiration locale, on y devine l’âme d’une race qui s’est laissé pénétrer sans se livrer. La fantaisie individuelle dans les jeux de scène — ce privilège du théâtre populaire — semble bannie de ce spectacle. Point de cette alternance de dialectes que le moyen âge aima. Point de prose intercalée parmi les vers traditionnels. Rien de laissé à l’improvisation. Les répliques sont lentes, attendues, toutes apprises. Pas même de dialogue à proprement parler, une suite de monologues, en strophes de quatre vers, que les acteurs déclament emphatiquement sans se regarder, chaque personnage semblant tout ignorer, hors son rôle. Jamais ils ne parlent assis ou immobiles ; tant que dure leur tirade, ils parcourent la scène d’un pas régulier : allées, venues, bizarre gesticulation tournante à l’angle des tréteaux, c’est le mode unique d’évoluer, que les circonstances soient tragiques ou bouffonnes. Ils jettent, toujours marchant, au soleil, au ciel bleu, aux arbres de la place, les strophes sonores, nettement articulées.
PASTORALE NAPOLEON PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tout est grave dans la pastorale basque, même les intermèdes de danses qui coupent fréquemment la pièce. C’est qu'une idée philosophique, simple et féconde, la vivifie : l’antithèse éternelle des ténèbres et de la lumière, du ciel et de l’enfer. Trois jeunes hommes, sortis de la porte rouge, tiares chatoyantes au front, le fouet ou la baguette magique a la main, les pieds chaussés des espadrilles locales, aux semelles tressées qui assourdissent les pas, interrompent l’action de leurs danses bondissantes : danses d’hommes, mi-guerrières, mi-religieuses, nous ramenant à ce lointain passé, où la tribu, insoucieuse, ignorante même de la grâce féminine, aime à contempler la jeune beauté des mâles, qui s’exalte dans la joie des fêtes en d’harmonieuses attitudes, beauté seule capable alors de traduire ou de suggérer les rêves héroïques, mystiques, voluptueux... Ce sont des élans fous de tout le corps, de vertigineux tournoiements, tandis que tintinnabulent, dans l’air subtil et chaud, les grelots des jambières entendus jusqu’à l’extrémité de la place ou s’entasse la foule. Un air moderne, proche des flonflons de bals publics, anime cette danse. Modulé par le rustique instrument, il ne fait pas sourire, ce n’est qu'un anachronisme de plus, mélancolique autant que les crinolines et les pourpoints florentins. Les pas sont compliqués, épuisants, mais les corps sont souples, légers, ils effleurent a peine le sol, ils s’enlèvent, retombent, pour s’élever encore dans des envolées toujours déçues. Ils exaspèrent la folie du mouvement, le délire du rythme. Ils tourbillonnent, ces trois hommes, visages ricanants, terribles, au regard fixe, qui ne voit rien sans doute, mais que l’on sent peser sur soi tant que dure la danse: les faces sont pâles, inconscientes de l'effort désordonné des corps ; il semble voir des énergumènes possédés par une démoniale puissance : n'incarnent-ils pas d'ailleurs les appétits grossiers ? la vie égoïste et bornée faite d’agitation stérile ? l’esprit de changement et d’erreur, la dissipation, le monde bruyant, brillant et grimaçant ?
PERSONNAGES PASTORALE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais un enfant venu par la porte bleue, tout blanc dans sa robe blanche, une croix dorée sur la poitrine, se prosterne et prie en une attitude d’extase. Sa voix claire cadence un air de plain chant et les jeunes hommes s'enfuient en bondissant, car l’enfant symbolise le respect de la tradition, la pureté, l’obéissance à la loi, la vie supérieure et selon l’esprit.
A coté des personnages mystiques évoluent des personnages réels. A travers le convenu des gestes, la raideur hiératique des attitudes, la monotonie d'une diction chantante en une langue incomprise, l'on devine des scènes de famille : querelles, réconciliations, défaillances, héroïsmes ; des scènes populaires : batailles perdues ou gagnées, morts violentes ; toute la vie publique et privée en un décor si simple qu'il laisse libre carrière à l'imagination du spectateur, avec une audace de réalisme telle, qu'elle dédaigne même de cacher le souffleur derrière un portant.
Le bleu est la couleur des bons, le rouge, celle des méchants. Les uns et les autres luttent et tour à tour triomphent. Ce sont des combats épiques où les coups de makhilas et les invectives s'échangent en mesure au son de la musiquette nationale ; les bleus l’emportent à la fin. Puis, comme au temps des mystères, tous les acteurs reparaissent sur la scène et l’un d'eux dégage la moralité de la pièce. Est-ce tout ? Hélas ! les trois danseurs sataniques ont le dernier mot, ils bondissent et pirouettent, une fois encore, à la satisfaction de la foule qui les condamne par tradition, mais les aime d'instinct.
C'est ainsi que j’essayai de comprendre le spectacle, me contentant d'une vision confuse et chimérique un peu — peut-être par cela plus séduisante — mais un Basque érudit, qui savait sa Pastorale, me dit : "Le vieillard décoré, tête chenue, barbe fleurie, jambes grêles enfermées dans un pantalon de sous-préfet, collet de velours rejeté sur l’épaule à la mode de la Renaissance, chapeau de général tout empanaché, c’est Abraham. Ce bon garçon, or et bleu, si brillant, c'est Loth ; cet autre. encore enfant, Ismaël. Ceux-ci, vêtus de rouge, avec des couronnes énormes et agressives, sont les rois maudits, les infidèles, les Turcs... Cette brune, auprès d’Abraham, le mouchoir brodé au poing, le pas embarrassé par sa jupe flottante, c’est Sara, tandis que la timide blonde, toujours un peu attardée, est Uxor, la femme de Loth, dont la fin mémorable a de quoi toucher. Voyez ces enfants: lsaac, l’un d'eux, porte sur l’épaule, pendant toute la pièce, le bois du sacrifice, réduit à ce menu fagot qui ne froisse pas trop sa collerette godronnée ; l’autre, candide sous ses mousselines de première communiante, c'est l’ange, le messager du Père éternel. Le vites-vous, ce dernier, en habit bleu comme les bons rois, apparaître à mi-corps au-dessus de la toile du fond et dicter ses volontés au patriarche ? Les trois danseurs sont les démons, Satan, Bulgifer, Beelzebuth, les tentateurs, habiles aux ruses et aux grimaces, qui rôdent autour des bons, leur soufflant le mal et l’insoumission, et qui se précipitent après la bataille sur les morts vêtus de rouge, leur proie pour l'éternité.
LES SATANS PASTORALE ORDIARP PAYS BASQUE D'ANTAN |
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