PASSÉ ET AVENIR DE L'ÉMIGRATION BASQUE EN 1913.
Des centaines de milliers de Basques, du Nord et du Sud, ont émigré, partout dans le monde, et en particulier de l'autre côté de l'Atlantique, pendant des décennies, depuis 1830 environ.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal La Grande Revue, le 25 mars 1913, sous la plume de L.
Bey :
"Le passé et l'avenir de l'émigration Basque.
Les émigrants Basques.
Parmi les grands mouvements migrateurs qui entraînent les éléments de la vieille Europe vers les pays nouveaux de l’Amérique, comme mus par une force instinctive vers l’Ouest, celui des Basques français se recommande à l’attention. Cependant jusqu’à ce jour les pouvoirs publics l’ont considéré avec une certaine indifférence. S'ils ne l’ont pas encouragé, ils ne l’ont pas non plus contrarié et n'en ont pas dressé le bilan des profits et des pertes. A relever le chiffre de ces dernières, la conviction s’établit que l’indifférence à l'égard de cette émigration constitue une faiblesse, un préjudice aux intérêts de nos compatriotes et par suite à ceux de la métropole.
Cette attirance de nos Basques vers l’Argentine, l'Uruguay, le Chili, est née du spectacle des grosses fortunes que leurs consanguins, les Basques-Espagnols, retirèrent de leurs établissements américains. Pendant longtemps la course de corsaires qui convenait à leur tempérament de contrebandiers, dans les événements de la guerre de la Succession d’Espagne, dans celle de Sept ans, dans les Campagnes de la Révolution et du Premier Empire, leur fut une occasion de réaliser de brillantes opérations aux dépens des galions qui rentraient chargés des richesses occidentales. Alors d’intrépides marins, qui arboraient le pavillon rouge et noir de Saint-Jean-de-Luz, les Harrismendy, Jauréguy, Berindoague, Dufourcq, Pellot, Destebetcho, Hiriart, Larague, Etchebaster, jetèrent l’effroi et la désolation dans tous les ports de la côte cantabrique. Dans les périodes de paix, les Basques français eurent l’idée de s’associer aux expéditions espagnoles. Plusieurs réussirent et revinrent avec des fortunes qui semblaient fabuleuses. Il n’en fallut pas davantage pour déterminer le courant d’expatriation.
Jusqu’en 1830, ce mouvement se manifesta par des cas isolés. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec le développement de la marine marchande, il prit de l’ampleur, jusqu’à donner l’impression d’un exode presque général de 1875 à 1885. Entre temps, les agences d’émigration s’étaient entremises pour activer le mouvement. A ce jeu qui n’est pas soumis à un contrôle suffisant, elles ont fait et elles font encore d’excellentes affaires.
AGENCE MARITIME ET D'EMIGRATION COLSON |
Ces agences, internationales par essence, sont à l’affût des disponibilités financières que les Etats américains votent sur leur budget pour le service d'immigration. Les plus pauvres font les plus gros sacrifices.
Actuellement, le Canada tient la tête du mouvement et il s'y emploie avec une certaine correction. De 1898 à 1908, il a consacré à ce chapitre une somme de 6 millions 799 832 dollars, sur lesquels 2 500 432 dollars ont été affectés à l'installation intérieure des immigrés : concessions, chemins, services publics, etc. Le reste a été employé à l'extérieur, c'est-à-dire en frais de réclames dans les journaux et brochures, en subventions aux sociétés maritimes et surtout en remises aux agents rabatteurs. Ces remises sont ainsi calculées : 3 dollars pour chaque émigrant, 2 dollars pour chaque émigrante, 1 dollar pour chaque enfant.
Le "Dominion" fait état de ses recettes. Dans cette même période décennale, il a reçu 502 264 immigrants, dont 377 800 provenaient d'Angleterre et du pays de Galles ; 94 279 d'Ecosse et 30 184 d'Irlande. Le reste de la contribution européenne a été de 17 079 Allemands; 14 119 Suédois ; 12 468 Français ; 9 909 Finlandais ; 65 509 Ruthènes de Galicie et de Hongrie ; 48 340 Italiens ; 40 347 Israélites de Pologne, Russie et Roumanie ; 28 106 Russes orthodoxes et Polonais catholiques, et 10 413 Roumains.
Cette immigration a ses scrupules : à la station d’Ellis-Island près de New-York, elle fait un tri à l’arrivée et n’accepte que les individus absolument sains, ayant une avance d’argent un livret justificatif de métier. Le reste est rejeté : "undesired".
ELLIS ISLAND NEW-YORK |
Les Etats du Sud ne s'embarrassent pas de ces formes. Ils ont pris et ils prennent tout ce que leur envoie le râteau des agences travaillant dans les centres populeux. A l’entrée, les portes sont grandes ouvertes. La susceptibilité américaine ne surveille que les retours. Ainsi l'Argentine a fait le compte qu’en 1901 126 000 arrivants avaient correspondu à 80 000 sortants. C’était beaucoup. Aussi elle a porté son attention à ce que ces chiffres se corrigent et elle est arrivée, en 1910, à ce que 289 000 arrivants correspondent à 98 000 sorties. L'accentuation de cet écart est une indication de bénéfice.
Au pays basque, les effets de la poussée américaine ont passé depuis cinquante ans par deux phases. De 1875 à 1890, les agents d'émigration pratiquèrent les levées en masse. Des villages entiers furent vidés de leurs populations qu’enlevaient, moins les promesses, que la contagion et la folie du départ. Il suffisait de donner son nom à l'agent rabatteur et on était engagé. L'Agence se chargeait des formalités. Au jour dit, les voitures arrivaient et organisaient l'exode qui s'effectuait nuitamment, comme une mauvaise besogne. Pendant deux ou trois kilomètres, jusqu'au tournant voisin, jusqu'au pied de la côte, ceux qui restaient faisaient la conduite à ceux qui partaient, et ensuite les cris échangés retardaient encore la séparation définitive. Dans cette période de quinze ans, 60 000 Basques français sont partis de cette manière. Ces grandes opérations ont dû changer de terrain. Maintenant l'émigration s’est régularisée, par petits paquets, les 3 et 22 de chaque mois, de préférence dans l’hiver. A ces dates, les trains qui descendent de Mauléon ou de Saint-Jean-Pied-de-Port sont bondés pour correspondre aux départs des 5 et 25 sur Bordeaux ou La Palice. Les bazars qui vendent la petite valise de toile où l’émigrant met son "baluchon" réalisent d’excellentes affaires. Le nombre de ces départs oscille entre 3 000 et 5 000 chaque année.
EMIGRATION BASQUE AU DEPART DE BORDEAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
D’une façon générale, les Etats de l’Amérique du Sud ne se chargent plus des frais du voyage. Soit de suite, soit à tempérament, les émigrants ont à les payer. Des gens de métier obtiennent de temps à autre des réductions sur les paquebots. Mais c'est l'exception.
L’émigrant sans avances s’abouche ici avec un des nombreux agents d’émigration qui tiennent état des offres et des demandes. Au client qui ne connaît que le travail de la terre, l'agent sans hésiter signe une feuille de route pour l'Argentine, après lui avoir soumis un contrat en bonne et due forme, aux termes duquel il sera tenu de rembourser les avances qu’il recevra, les frais de voyage, par un prélèvement sur son premier salaire. Il ne tarde pas à être embarqué. A bord, il est un peu mieux que le bétail mais s'il se débrouille le cambusier améliorera son régime. Sitôt débarqué, un correspondant de l’agence vient prendre sa livraison et le dirige sur un hôtel où, sans manquer du nécessaire, il attend les embaucheurs. Celui qui devient son patron se fera caution de sa dette.
Cette embauche est également pratiquée au Colorado et au Canada. Ces deux Etats font une sélection parmi les immigrés. En revanche, l’argent n’y perd pas au change. Le dollar fait même prime, tandis que le "peso" ne donne pas la moitié de sa valeur.
Si l’émigrant a quelques ressources, si sa famille, pour se débarrasser de lui, vend une paire de bœufs ou consent une hypothèque, s’il possède quelque instruction, l’agent l'envoie au Chili, muni d'une lettre de recommandation qui le fera entrer provisoirement dans une grande maison, où il sera reçu au pair. Cette maison lui procurera un emploi. Pendant que l’Argentine est toute agriculture, le Chili est tout commerce. Le jeune homme qui travaille arrive rapidement à être intéressé aux bénéfices de la maison. Pour le moment, le Chili est le pays migrateur de choix. Les Basques s'y sont fait une place.
BASQUES AU CHILI |
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