LES ORIGINES BASQUES PAR ÉLISÉE RECLUS.
L'origine des Basques a toujours été et reste encore aujourd'hui un mystère.
Voici ce que rapporta à ce sujet La Côte basque : revue illustrée de l'Euzkalerria, le 31 août 1924 :
"...L’article fondamental de la Constitution de Guipuzcoa, cité dans le remarquable ouvrage de M. Eugène Cordier (Le Droit de famille aux Pyrénées), est ainsi conçu : "Si quelqu’un veut contraindre quelque homme, femme, bourg ou ville de Guipuzcoa à quoi que ce soit, en vertu de quelque mandat de notre Seigneur le roi de Castille qui n’aurait point été approuvé par l’assemblée générale, ou qui serait attentatoire à nos droits, privilèges, fors et liberté, qu’il lui soit incontinent désobéi. S’il persiste, qu’il soit mis à mort !" Et cet article de la Constitution n’était pas une vaine parole : plus d’une fois il fut exécuté dans toute sa rigueur. Les Basques étaient tous nobles, car, selon la remarque profonde de Monsieur Eugène Cordier. "Noblesse était le nom que la liberté avait pris pour se faire comprendre d’un monde barbare."
Et non seulement les Basques qui parlent encore la langue escuara, mais tous les Pyrénéens de de race ibère faisaient preuve, pendant le moyen âge de la même fierté démocratique. Les vallées d’Ossau, d’Aspe, de Barétous, de Lavedan, de Barèges, d’Aure et de Nesle, le Val d’Aran, étaient autant de petites républiques semblables à l’Etat d’Andorre qui existe encore aujourd’hui. Tout en reconnaissant pour la forme tel ou tel Seigneur féodal, elles n’en étaient pas moins libres et souveraines ; elles repoussaient les juges envoyés par le suzerain ; elles n’aidaient le prince dans ses guerres que lorsqu'elles trouvaient sa cause juste ; elles concluaient librement des traités de paix et de commerce avec les vallées voisines, soit Espagnoles, soit Françaises, sans demander la ratification de personne : les droits de douane, la gabelle et autres vexatoires leur étaient complètement inconnus. Fortes de leur droit, ces petites républiques résistèrent même à Louis XIV : la vallée d’Aspe affirma hautement contre le grand Roi la souveraineté populaire et donna un refuge aux protestants, qui dans toutes les autres parties de la France, étaient pourchassés et mis à mort. Pendant dix années, les vallées de Barèges et de Lavedan, repoussèrent la gabelle que voulait leur imposer Louis XIV et finirent par gagner leur procès. Une paix inviolée régnait entre les vallées limitrophes de la France et de l’Espagne, même lorsque la guerre était allumée entre les deux royaumes. Elles devaient s’avertir mutuellement de l’arrivée des troupes ennemies aux frontières Pendant le sanglant moyen âge, alors que dans tous les pays de plaines, la guerre, suivie de la peste et de la famine, régnait en permanence, les bergers et les cultivateurs des Pyrénées jouissaient de la tranquillité la plus profonde. Les chartes des républiques pyrénéennes avaient toutes pris pour idéal ce vœu touchant de la coutume de Bigorre. "Que le rustique ait paix à toujours !"
Toutes les populations pyrénéennes d’origine ibère et les Basques en particulier, ont un profond sentiment religieux, qu’ils manifestent surtout par leur témoignages de vénération envers les morts. Les cimetières des moindres villages du Pays Basque sont de véritables jardins entretenus avec les soins les plus touchants. Malheureusement la religion des Basques dégénère souvent en superstition ou en fanatisme. Ils croient chacune de leurs montagnes habitée par un génie favorable on malfaisant, et racontent une légende sur chacune de leurs fontaines Dans leur opinion, des serpents gigantesques habitaient encore, du temps de la reine Jeanne, les cavernes de la Soule, et se jetaient sur les passants pour les dévorer. De nos jours, on entend parfois des hurlements étranges se mêler au murmure du vent ; ces hurlements sont poussés par Bassajaona, le Dieu des forêts et des montagnes. Vers le commencement du XVIIe siècle, nulle part si ce n’est peut-être en Alsace, on ne brûla un si grand nombre de sorcières. Les femmes allaient en foule s’accuser d’être les amantes de Satan, et demandaient avec insistance d’être décapitées ou brûlées. Une d’entre elles, la plus belle fille du pays basque, fut conduite à Bayonne, où elle devait monter sur le bûcher. Quand le bourreau s’approcha d’elle et s’avança pour lui donner, selon la coutume, le baiser de paix, elle rejeta vivement sa tête en arrière en s’écriant: "Moi qui ai touché Satan de mes lèvres, me laisserai-je embrasser par le bourreau ?"
BASAJAUN |
Les populations aborigènes des Pyrénées se distinguent aussi par un amour fanatique de la propriété, et cette passion leur a fait autrefois imaginer sur l’héritage des lois qui n’avaient pas leurs semblables dans le monde. Afin de maintenir l’intégrité des fortunes, les Ibères et les Cantabres reconnaissaient le droit d’aînesse comme du droit primordial : quel que fut le sexe de l’aîné, ils le déclaraient l’héritier universel de la famille et le maître des autres enfants. Frères et sœurs devenaient les serviteurs, les esclaves de celui ou de celle qui avait eu la chance de naître avant les autres ; ils devaient travailler dans la maison patrimoniale ; ils ne possédaient rien et, pour vivre, devaient s’en rapportera à la munificence du maître ou de la maîtresse. Le propriétaire était chef de clan et donnait son nom à tous ses parents. La femme de l’héritier devenait aussi sa domestique et n’avait d’autre devoir que de donner des enfants au maître et d’augmenter le patrimoine : de même le mari de l'héritière était simplement le premier des serviteurs, il perdait jusqu’à son nom, et s’il quittait le toit conjugal, il n’avait pas même le droit de réclamer sa dot ni le produit de son travail.
Telles étaient les anciennes coutumes des Ibères, modifiées à diverses époques au profit du sexe masculin ; elles étaient encore intactes à l’époque de la Révolution Française dans la vallée de Barèges. Supprimé en principe par le nouveau droit public qui régit la France et l’Espagne, le droit d’aînesse se perpétue en dépit des lois. De nos jours, dans les Basses-Pyrénées, les paysans utilisent jusqu’aux extrêmes limites la tolérance du code pour avantager l’aîné, et le plus souvent les cadets se prêtent volontiers à cette manœuvre qui les prive d’un bien qu’ils pourraient réclamer. Encore aujourd’hui, nombre de puînés se condamnent volontiers au célibat pour que le chef de famille s’enrichisse par l’extinction de toutes les branches collatérales. Encore aujourd’hui, les paysans basques et béarnais s’identifient tellement avec la propriété dont ils héritent qu’ils oublient jusqu’à leur nom et sont connus désormais sous celui de leur terre."
(A suivre).
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