UNE ÉTUDE DE "RAMUNTCHO" EN 1939.
"Ramuntcho" est un roman français de Pierre Loti. Publié pour la première fois en 1897, il a connu une vingtaine de rééditions françaises jusqu'en 1994. C'est un des ouvrages les plus connus de Pierre Loti, et un de ses principaux succès d'édition.
Voici ce que rapporta la Revue des Cours et Conférences, le 15 juin 1939, sous la plume de
Raymonde Lefèvre :
"La vérité dans "Ramuntcho".
I. — La vérité des Lieux.
Si, après avoir lu Ramuntcho, on consulte la carte du pays basque, on est surpris de n’y trouver aucun des noms que Loti a cités dans son livre (sauf Saint Jean-de-Luz et Ascain).
C'est que Loti a eu soin de débaptiser les lieux et de les revêtir de noms imaginaires — non par souci de discrétion, comme les romanciers qui racontent une histoire vécue — mais par crainte, en révélant leur emplacement, d’y attirer des curieux importuns qui en profaneraient la sauvage beauté. (La précaution, hélas ! fut d’ailleurs illusoire...)
A chaque nom cité par Loti, s’en superpose un autre, le véritable, celui que porte la carte. Promenons-nous donc à travers le récit de Ramuntcho, en essayant de rétablir dans leur identité les lieux que Loti a décrits sous des vocables fictifs.
Etchézar, le village natal de Ramuntcho, c’est Sare, le délicieux petit pays qui donne son nom aux grottes célèbres, et qui s abrite au pied de la Rhune, au delà du col de Saint-Ignace, à quelques kilomètres de la frontière. Et c’est la Rhune que Loti appelle la Gizune. On s’étonne seulement qu’il la décrive si imposante. Il la traite d’énorme ; il la montre écrasant tout. La Rhune n’a que 900 mètres, modestement.
LA RHUNE PAYS BASQUE d'ANTAN |
Mais ne reprochons pas aux artistes de voir les choses plus grandes que nous. Leur vérité est plus vraie que la nôtre. Et la Rhune est réellement immense, si Loti l’a vue telle...
Elle domine d’ailleurs tout ce coin de pays basque. Et de quelque côté qu’on se tourne, on aperçoit toujours à l’horizon sa silhouette caractéristique.
Mais si, dans ses grandes lignes et pour sa situation, Etchézar s'identifie à Sare, il n’en est pas de même pour certains détails : le fronton et l’église.
Loti écrit que le fronton d’Etchézar est bordé des deux côtés par des gradins. Or, le fronton de Sare n’a de gradins que d’un seul côté, à droite. Existe-t-il ailleurs, au pays basque, un fronton comme celui d'Etchézar qui aurait servi de modèle à Loti ? Nous n’avons pu le déterminer.
FRONTON DE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
D’autre part, l’inscription mentionnée par Loti : Blaidka haritzea debakatua (Il est défendu de jouer au blaid), ne figure pas au fronton de Sare. L’a-t-on effacée depuis ? Cela semble peu probable, dans un pays aussi conservateur. Il y a lieu plutôt de supposer que Loti l’avait lue ailleurs et l’a transposée au village de son héros.
Quant à l’église d'Etchézar, Loti mentionne à l’intérieur "une profusion de colonnes torses". Or, seule peut-être de toutes les églises basques, celle de Sare n’a pas de colonnes torses. Mais, en revanche, de semblables colonnes encadrent l’autel d’Ascain. Ascain, le village fameux, l’un des plus basques du pays, et d’où Loti précisément a daté Ramuntcho. C’est à Ascain que l’on fabrique la chistera, le gant d’osier avec lequel on joue à la pelote.
ASCAIN LABOURD PAYS BASQUE D'ANTAN |
Loti a voulu faire d’Etchézar la synthèse du village basque. Et comme l’autel d’Ascain lui semblait plus spécifique que celui de Sare, il a transplanté à Sare l’autel d’Ascain.
D’autre part, ni l’une ni l’autre de ces églises n’a de cyprès dans le voisinage, tandis que Loti nous montre dans le préau de l’église d’Etchézar "des cyprès immenses, sentant le midi et l’orient". Mais d’autres églises, dans la région, s’environnent de ces arbres mélancoliques, celle de Méharin, par exemple, que nous retrouverons tout à l’heure. Et, par l’adjonction de ce trait, Loti aura voulu parfaire sa synthèse de village basque.
C'est donc à Sare, en principe, que s’élève la maison de Ramuntcho. Mais sa façade, dit Loti, regarde la route d’Hasparritz : or, par Hasparritz, il faut entendre Olhette, et c’est à Ascain que passe la route d’Olhette. Etchézar est donc un mélange de Sare et d’Ascain, deux des plus purs joyaux du pays basque.
On se souvient qu’au début du roman, Ramuntcho prend pari à une grande partie de pelote qui se déroule à Erribiague, "un village très éloigné (d'Etchézar) situé au tournant d’une gorge profonde, au pied de très hautes cimes." Ce village, c’est Ossès. Nous sommes ici dans la vallée de la Nive, étroite et encaissée, qui justifie le mot de gorge employé par Loti.
Ramuntcho se rend à Erribiague "par le petit chemin de fer qui relie Bayonne à Burguetta". Lisez Saint-Jean-Pied-de-Port. Ce nom de Burguetta a dû être inspiré à Loti par la citadelle qui couronne la ville (comme un petit bourg) ; il y a en Espagne, près de Roncevaux, une ville du nom de Burguete.
PROCESSION A BURGUETE ET RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
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