EUSKAL HERRIA LA PATRIE BASQUE PAR ADOLPHE BORCHARD EN 1921.
Le Pays Basque a été et est encore aujourd'hui le sujet d'oeuvres musicales ou littéraires ou picturales.
Voici ce que rapporta à ce sujet Juan Carvalhos, dans le journal L'Avenir, dans son édition du 21
novembre 1927 :
"Depuis des siècles, entre le pic d'Anie, les rives de l’Adour et les sources de l’Ebre, un petit peuple habite les deux versants des Pyrénées et la côte qui finit au golfe de Gascogne. Ce peuple compta, autrefois, parmi ses fils, de très hardis marins, en même temps que des pâtres et des agriculteurs. Descendants des Ibères, s'il en faut croire histoire, les Basques se dénomment Eskaldunac, c'est-à-dire les hommes qui parlent l'euskara. A travers les âges ils n'ont pas cessé de parler leur langue agglutinante et riche en formes verbales, idiome mystérieux quant à ses origines. C’est à peine s’ils comptent, en France et en Espagne, un demi-million d'autochtones, mais protégés par leurs montagnes, ils ont su conserver une organisation toute patriarcale. Chaque famille constitue une petite république, dont le père est le chef. République encore est le village, administré par le conseil des chefs de famille. Le droit d’aînesse y est en honneur. Comme le bien paternel revient à l’aîné des enfants, les cadets doivent chercher fortune ailleurs. Les familles sont nombreuses, de là l’émigration. Mais le Basque enrichi à Rio de la Plata, colonie de prédilection, revient mourir au sol natal. Dans le silence de la pampa, dans l’opulence enfin conquise, il désire l'humble maison basque aux murs de bois blanchis de chaux, toute riante sous le soleil, avec son toit qui la déborde et son balconnet qu’enguirlandent haricots roses et piments rouges. Cette race active, gaie, aux mouvements agiles et souples, sous l’antique veste de velours, coiffée du béret à visière, grimpe, alerte et audacieuse, en sandales tressées de cordes, dans les sentiers de la montagne. Race de travailleurs, elle est artiste aussi et de temps immémorial cultiva la danse et le chant. Dans les peines et dans la joie, elle maintient avec fierté la notion de la patrie basque, qu’elle appelle "Eskual Herria".
AFFICHE BERET BARRABAN PAYS BASQUE D'ANTAN |
En septembre de l’an 1921, dans la petite ville de Saint-Jean-de-Luz, citadelle du pays basque et non loin des falaises de schistes ravinés, un artiste français, compositeur d'un grand talent et virtuose célèbre, consacra à cette patrie pyrénéenne une œuvre musicale profonde. Il l’appela "Eskual Herria" et dédia sa composition : "Au primitif recueilli et à l'enivrant pays basque". En des pages toutes vibrantes d’harmonie douce et énergique, Adolphe Borchard évoqua l'âme du peuple basque. Cette œuvre régionale n’a pas puisé ses thèmes aux sources populaires, mais, par des mélodies originales, a su peindre avec succès l’âme même de l’Eskual Herria. Exécutée aux concerts Colonne, le 22 janvier 1922, elle rencontra une approbation unanime et les louanges les plus méritées.
Dès les premières notes graves, celles du cor anglais, nous sommes en plein décor de montagnes. Le thème est mystérieux, presque mélancolique. Une intonation douce et triste lui succède, celle du piano, qui reprend ce thème, avec un charme extrême. La symphonie s'étend, large et harmonieuse. On imagine un chœur de voix lointaines, de cors distants dans les forêts de grands chênes. Violons, cor, hautbois, violoncelle et piano se succèdent et s’unissent, dans une progression harmonique d'une beauté majestueuse. Sous les doigts du compositeur, le piano égrenant ses notes d'argent, évoque le murmure des sources dans les rochers dans la montagne, le roulis des cailloux dans les gaves, la complainte mystérieuse des fées qui, selon la légende, chantent au crépuscule dans les gorges sauvages. Le thème principal, profond comme un chant wagnérien, son du cor au fond des bois, si triste à l’âme de Vigny, suggère avec magnificence le paysage pyrénéen. Oui, voici bien "l’enivrant pays basque" et nous y sommes transportés. Nous devinons l’âme de ce petit peuple, grave et réfléchi et nous rêvons avec lui. Mais voici que les violons ont parlé de nouveau. Une cloche a tinté. Le silence, le grand silence de l’Angelus dans les soirs de montagne a succédé à la prestigieuse féerie musicale. Puis, nous assistons à une soirée de réjouissances. Le rythme de la danse est vif, enlevé. Nous entendons le claquement des doigts des danseurs exécutant la "Fandango", nous devinons leurs mouvements alertes et leurs sauts dans le Tauzia national... Après avoir senti la poésie sombre, mystérieuse du pays des montagnes :"Hauts sont les monts, hauts sont les arbres", disait jadis le trouvère du drame de Roncevaux, nous participons à la gaieté de l'Eskual Herria. L’évocation de cette fête joyeuse surgit dans le décor grandiose que nous avait suggéré la première partie de la symphonie. L'orchestration animée des cuivres, fifres et tambourins nous laisse percevoir dans l’apothéose finale le sourd murmure des torrents et le roulement du tonnerre, qu’on entend gronder très loin sur les sommets blancs de neige des glaciers pyrénéens.
FANDANGO PAYS BASQUE D'ANTAN |
L’exécution de cette œuvre fut, hier, d’une réussite admirable dans la salle du Conservatoire. Le maître Philippe Gaubert dirigeait l'orchestre, avec un goût parfait. Le piano chantait de façon merveilleuse sous les doigts d’Ad. Borchard.
CHEF D'ORCHESTRE PHILIPPE GAUBERT |
Compositeur de génie, auteur "d’Eskual Herria", Ad. Borchard a a encore écrit des œuvres orchestrales : "En Marge de Shakespeare", une "Ode" pour piano et orchestre, "l’Elan", esquisse symphonique, "Sept Estampes amoureuses", des "Bucoliques" en forme de variations, des mélodies et des pièces de musique sacrée. Il sait éveiller eu nous l’émotion raffinée et profonde. Artiste puissant, sincère, il est aussi un esprit généreux. Depuis de longues années il rêve aux moyens de réaliser la diffusion de la musique en France. Considérant que l’art musical est, dans son essence même, inséparable de l’âme humaine et par suite populaire. Ad. Borchard a maintes fois attiré l'attention des pouvoirs publics et celle de la direction des Beaux-Arts sur ce problème capital de l’éducation musicale. Il fut, à ce sujet, chargé d’une mission par le gouvernement en 1922. Il préconise la formation de chorales agissantes ans les écoles et les casernes, la création de chœurs populaires sous la direction des municipalités. Laissons la parole à ce compositeur célèbre, qui est également un écrivain distingué : le 6 avril 1920, il affirmait dans le Temps : "Il faut impérieusement rapprocher la musique de la nation, lui rendre ce caractère "populaire" dans le sens le plus élevé du terme, qui est son essence même, contribuant à la formation intellectuelle des individus, réalisant de ce fait une œuvre sociale de justice et d’équité".
Il ajoutait, dans le Figaro du 5 mai 1920 : "Il faut que tous ceux qui pensent que l'art est inséparable des destinées d’un grand peuple, participent par leur volonté agissante à cette bonne action, à cette belle action que sera la diffusion de l'éducation musicale en France ".
Pour comprendre la valeur profonde de ces idées pleines de sagesse, il faut entendre le grand compositeur les développer lui-même. Sa parole est sincère, elle est sereine aussi. Il semble que, parfois, une lueur prophétique illumine son regard (lorsqu’il prêche l’expansion de cet art musical, qu’il aime et fait aimer. Sa généreuse initiative, un petit pays l'a comprise avant nous.
L’Eskual Herria a déjà entrepris, avec un grand succès, l’éducation musicale de tout le peuple basque. Comme le dit Ad. Borchard, avec une poésie charmante. "C’est au pays du Basque Ramuntcho" que les chorales populaires savent interpréter "dans un style ravissant" les œuvres d’un Vittoria ou d'un Palestrina.
COMPOSITEUR PIERLUIGI DA PALESTRINA |
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