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dimanche 1 octobre 2023

LA CHASSE AUX SORCIÈRES AU PAYS BASQUE EN 1609 (première partie)

LES SORCIÈRES AU PAYS BASQUE EN 1609.


En 1609, des centaines de personnes, en grande partie des femmes, sont accusées de sorcellerie au Pays Basque.



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SORCIERES AU SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Mémorial Bordelais, le 7 septembre 1852 :



"Sorciers et magiciens.

La chasse aux sorciers. 

1609. 

§ I.



Pourquoi le Chancelier Bruslart de Sillery institua une commission, et de quels hommes se composait cette commission.



En l’année 1609, le chancelier Bruslart de Sillery eut vent que dans le pays de Labour, aux environs de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, le nombre des sorciers avait augmenté d’une façon extraordinaire, qu’ils tourmentaient les habitants restés fidèles à Dieu, et que le nombre de ces derniers diminuait chaque jour. "Car en ce malheureux pays, Satan faisait une propagande fructueuse."



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CHANCELIER NICOLAS BRUSLART DE SULLERY



Il fallait mettre un terme à ces conquêtes de l’ennemi des hommes ; en conséquence, le chancelier Bruslart de Sillery choisit, dans le sein du Parlement de Bordeaux, une commission qu’il investit de pleins pouvoirs pour exterminer les sorciers qui désolaient le pays de Labour.



Cette commission sc composait du président d’Espagnet, du conseiller de Lancre, et de Gestas substitut du procureur-général. Le premier était un philosophe hermétique et qui cherchait avec ardeur la pierre philosophale ; le second était le plus érudit des démonologues de cette époque ; quant au troisième, nous ne lui connaissons d’autre titre de gloire qu’une course au clocher qu’il fournit contre le diable et dont nous reparlerons plus lard.



Dans les faits que nous allons raconter, le président d’Espagnet ne joua qu’un rôle secondaire. Il appartenait à une classe de savants qu’en général le vulgaire accusait de sorcellerie, et l’honneur de cette expédition revient tout entier au conseiller de Lancre qui nous en a laissé le récit dans un livre composé en 1610. Ce livre est intitulé : "Le tableau de l’inconstance des mauvais anges et des démons, où il est complètement traité des sorciers et de la sorcellerie ; livre très utile et très nécessaire non seulement aux juges, mais à tous ceux qui vivent sous les lois chrétiennes." Avec cette épigraphe : "MaIeficos non patieris vivere. Exode."



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LIVRE PIERRE DE LANCRE



Il avait voué aux sorciers et à la sorcellerie une guerre à mort. Il était doué de cette érudition vaste et désordonnée qui caractérise les érudits de cette époque, il savait du grec et du latin autant qu’homme de France. Il avait lu et médité tous les auteurs anciens, tant sacrés que profanes. Il connaissait à fond les poètes et les philosophes de l'antiquité, les pères de l’Eglise, les historiens de l’empire grec, les chroniqueurs, l’indigeste phalange des glossateurs et des scholiastes, celle non moins lourde des théologiens orthodoxes ou non orthodoxes et loua les polygraphes du moyen-âge qui, comme Paracele, Raymond Lulle, Albert-le-Grand, Agrippa, Cardan, sentaient tous plus ou moins le fagot.



Il ne faut pas croire, toutefois, que ce fût un de ces savants sauvages et moroses, qui n'ont d’autre horizon que leurs in-folios : il avait de l'ambition et du savoir-faire ; il ne dédaignait ni ce que nous appelons aujourd'hui le confortable, ni les distractions permises. Il avait, comme Montaigne, voyagé en Italie. Il tournait assez bien les vers, et certains passages de ses ouvrages, l'enthousiasme passionné avec lequel il parla des beautés basquaises, un fort accès de goutte dont il fait mention nous portent à croire qu’il n’avait pas uniquement sacrifié aux muses.



Il possédait auprès de Bordeaux, à Preignac, une villa dont il fait l’éloge avec une emphase toute gasconne. Il faut reconnaître que cette villa était heureusement située : placée sur le sommet d'une hauteur, elle dominait le cours de la Garonne et les riches campagnes que cette rivière arrose. Par les temps clairs, on apercevait les Pyrénées et leurs cimes bleues couronnées de neiges. Toutes les heures qu’il pouvait dérober aux audiences et à l’étude, il les consacrait à son jardin et à son verger, qu’il avait plantés d’arbres rares et précieux : on y voyait des oliviers, des citronniers, des capriers, des orangers, des vignes de Corinthe, des poiriers, etc. Il n’était pas gentilhomme en France qui pût se vanter de posséder une seule espèce que de Lancre ne possédait pas. Il y avait aussi dans ce jardin un écho si clair et si bien répondant, qu’on n’en pouvait trouver un meilleur ; il y avait des fontaines naturelles ornées de plantes aquatiques dont les larges feuilles et les fleurs éclatantes venaient embellir cette retraite champêtre.



Nous n’en finirions pas s’il nous fallait le suivre dans la description de sa propriété, de sa chapelle qui est la plus belle de toutes les chapelles, de ses grottes qui sont les plus belles des grottes, sans compter les coquilles amoncelées qui forment ces grottes et qui sont les plus précieuses de toutes les coquilles ; il ne les eût pas données, c’est lui qui l’affirme, pour les huîtres d’où furent tirées la perle de Lollia Paulina et celle de Cléopâtre.



Il paraît que les coquilles de Preignac étaient des coquilles anti-diluviennes et qu’elles avaient fourni à de Lancre l’occasion de bâtir une théorie, dont je ne parlerai pas, parce qu’elle nous entraînerait trop loin et que nous n’arriverions jamais à la sorcellerie.



A force de lire des ouvrages qui traitaient de la sorcellerie et de la démonologie, de Lancre avait fini par croire que le diable intervenait activement dans les affaires de ce monde. Don Quichotte était devenu fou à force de lire les aventures des Amadis, des Galaor et des Roland ; la lecture trop assidue d’Agrippa, de Spranger, de Del Rio, de Daneau, de Bodin, avait influé sur le cerveau de de Lancre. Le héros de Cervantes voyait partout des chevaliers errants et des dames enchantées, de Lancre voyait partout des sorciers et des sabbats.



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LIVRE LE MARTEAU DES SORCIERES
D'HEINRICH KRAMER ET JACOB SPRENGER  



L’idée du diable surtout le poursuivait sans cesse. Personne mieux que lui ne connaissait la carte, la statistique et l’histoire de l’enfer. Il trouvait bien qu’Uvier, disciple d’Agrippa, avait été un peu loin en affirmant que la monarchie de Satan contenait 72 princes et 7 405 929 diables, et en donnant le nom des sommités de cet empire ; mais il croyait que l’enfer contenait neuf hiérarchies, et que les chefs de ces hiérarchies s’appelaient Beelzébuth, Python, Belial, Asmodée, Satan, Mérésin, Abaddon, Astaroth et Maimon.



A cette liste il ajoutait tous les dieux du paganisme, qu’il considérait comme des démons ; tous les thaumaturges et tous les hérésiarques tant anciens que modernes.



Il connaissait à fond tous les tours de sorciers, les marques qui trahissent leur affiliation et les horribles mystères du sabbat. Il croyait au transport réel des sorciers, et traitait Montaigne de mécréant, parce que ce dernier disait que les malheureux qui affirmaient être allés au sabbat n’y avaient été en réalité transportés qu’en songe. Ce à quoi de Lancre répondait : Les lois civiles et religieuses punissent de mort ceux qui vont au sabbat. Or, ces lois seraient cruelles et injustes si le sorcier ne s’y transportait qu’en rêve ; donc il faut croire au transport réel, et ceux qui ne l’admettent pas sont des mécréants. Il n’allait pas jusqu’à dire qu’il fallait les brûler, mais peu s’en fallait, car le conseiller de Lancre, humain, charitable, éclairé, quand il s’agissait de toute autre chose, devenait cruel et même sanguinaire pour tout ce qui touchait la sorcellerie, et il voyait des sorciers partout, excellent magistrat, du reste, craint des justiciables et estimé de sa compagnie.



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LIVRE DE PIERRE DE LANCRE


Voilà donc en quelles mains le chancelier Bruslart de Sillery remettait le sort des habitants du pays de Labour. La commission fut vérifiée par le Parlement de Bordeaux, et accompagné de d’Espagnet et de Gestas, de Lancre partit pour Bayonne, plein de zèle et d’ardeur, bien déterminé à ne faire aucun quartier à l’ennemi du genre humain et à brûler tout le pays plutôt que d’y laisser un seul sorcier.



§ II. 

Pourquoi il y avait dans le pays de Labour plus de sorciers que dans tout autre. 



Dans les premiers jours de juin, la commission arriva à Bayonne et fut reçue à merveille par l’évêque de cette ville, et par le sieur d’Amon, bailli du pays de Labour qui habitait le château de Barbara, près de Saint-Pé.



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CHÂTEAU DE SAINT-PEE
DESSIN DU BMB N10 1929


Le pays de Labour fait partie aujourd’hui de l’arrondissement de Bayonne et du département des Basses-Pyrénées , c’est-à-dire ce qu’on appelle encore maintenant le pays Basque. C’est un pays éminemment pittoresque, situé sur l’extrême frontière. Bordé, d’un côté, par la Bidassoa et par la chaîne des Pyrénées, qui va s’abaissant en s’approchant de la mer, il est entouré, de l’autre par l’océan Atlantique, qui forme dans cette région le golfe de Biscaye.



Les Basques ont exercé et exerceront encore longtemps l’érudition des historiens et de glossographes. Longtemps on a cherché à quelle race pouvait appartenir cette peuplade qui par les mœurs et surtout par le langage, se distingue si complètement des populations gallo romaines qui l’entourent. On les a fait descendre des anciens Celtes et d’une colonie phénicienne. Aujourd’hui tout le monde est à peu près d’accord sur ce point que les Basques appartiennent à la race des Ibères et qu’ils en ont conservé l’idiome, qui tranche fortement sur les idiomes voisins qui sont tous de famille latine.



Jetés sur la terre aride, placés sur une frontière, rassurés entre la montagne et l’Océan, entre l’avalanche et la tempête, les Basques apprirent de bonne heure à lutter contre les hommes et contre les éléments. On chante encore dans les montagnes le récit des rudes combats qu’ils ont soutenus contre les Romains. Longtemps ils firent une guerre acharnée aux baleines, qui se réunissaient par troupes dans les eaux profondes du golfe de Biscaye. Plus lard, les baleines émigrèrent sous des climats plus rigoureux, et les intrépides marins du Labour les suivirent dans l’immensité des mers. Une tradition veut que les Basques aient découvert l’Amérique ; il faut se hâter d’ajouter que c’est une tradition basque. Mais il est fort probable que les premiers ils ont planté leur pavillon sur les côtes du Canada, et il est certain que de très bonne heure ils firent la pêche sur les bancs de Terre-Neuve.



La population basque est brave, irascible, intelligente, douée d’une agilité prodigieuse et d’une habileté remarquable dans tous les exercices du corps ; les Basques aiment la danse avec passion et se servent avec une dextérité égale de l’épée et du bâton. 



C’est au sein de cette population que la commission venait exercer ses pouvoirs. Après avoir examiné le Labour et ses habitants, de Lancre resta convaincu que nul autre pays n’était plus propre à fournir à Satan des victimes, et nous allons le laisser déduire ses raisons dans un style qui ne manque ni de couleur, ni de pittoresque.


"Et pour montrer que la situation du lieu est en partie cause qu'il a y tant de sorciers, il faut savoir que c’est un pays de montagne, la lisière de trois royaumes, France, Navarre, Espagne ; le mélange des trois langues, française, basque et espagnole ; l’enclavure de deux évêchés, car le diocèse de Dax va bien avant dans la Navarre. Or, toutes ces diversités donnant à Satan de merveilleuses commodités de faire en ce lieu assemblées et sabbats, vu d ailleurs que c'est une côte de mer qui rend les gens rustiques, rudes et mal policés. Leur contrée est si infertile, qu’ils sont contraints de se jeter dans cet élément inquiet (la mer), qu’ils sont tellement accoutumés à voir orageux et plein de bourrasques, qu’ils n’appréhendent rien tant que sa tranquillité bonace ; logeant toute leur bonne fortune et conduite sur les flots qui les agitent nuit et jour ; traitant toute chose quand ils ont mis pied à terre, tout de même que quand ils sont sur les ondes, toujours bâtés et précipités ; gens qui, pour le moindre grotesque qui leur passe devant les yeux, vous courent sus et vous portent le poignard à la gorge.


Le pays est si pauvre, stérile, ingrat, et eux (hors la mer) si fainéants, que cette oisiveté les mène, presque avant qu’ils soient vieux, à une intolérable mendicité ; je dis intolérable, car, pour être voisins de l’Espagne, ils se ressentent merveilleusement de la superbe et arrogance des gens de cette nation.


On comprend que le diable a ville gagnée dans ce pauvre pays. Les mendiants ont toujours été plus qu’à moitié siens. Il les secourt pour mieux les surprendre. Il les éblouit facilement par les pompes du sabbat qui leur semble un paradis terrestre.


De plus les hommes n’y aiment ni leur patrie, ni leurs femmes ni leurs enfants. Ils sont comme ces velours à deux poils, marqués de deux marques en leur lisière. La nature les ayant logés sur la frontière de France et d’Espagne, partie en montagne, partie sur la côte de la mer, l’absence et les longs voyages sur mer causent ce désamour, d’autant qu’il n’y a que les enfants et les vieillards qui gardent le logis, lesquels, comme on sait, le diable manie comme il lui plaît.


Ce qui rend les femmes sorcières, c’est qu’elles n’aiment pas leurs maris. Ceux-ci ne reviennent chez eux que pendant l’hiver. Pendant cette saison, ils ne font rien, boivent et mangent tout ce qu’il y a dans la maison, et après avoir dévoré toutes les provisions, repartent pour Terre-Neuve. Si bien que la plupart se trouvent à leur retour que leurs femmes ont choisi et donné à leurs enfants un autre père, en ayant fait un présent à Satan.


Ce qui les prédispose encore à la sorcellerie, c’est que les hommes usent du petun ou nicotiane. Ils en ont chacun une plante en leurs jardins, si petits qu’ils soient. Ils se servent de la fumée de cette herbe pour se décharger le cerveau et se soutenir contre la faim. Cette fumée leur rend l'haleine et le corps si puant, que ceux qui n’y sont pas accoutumés ne sauraient soutenir cette puanteur. Et ils en usent trois ou quatre fois par jour. De telle sorte que leurs femmes, accoutumées à cette odeur , ne craignent plus de baiser le diable en forme de bouc puant."



A suivre...



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