LE CHANT DES PÈLERINS BASQUES EN ROUTE POUR LOURDES PAR FRANCIS JAMMES EN MAI 1927.
Francis Jammes est un poète, romancier, dramaturge et critique français qui a passé la majeure partie de son existence dans le Béarn et le Pays Basque, principales sources de son inspiration.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien L'Echo de Paris, le 4 juin 1927, sous la plume de
Francis Jammes :
"Le chant des pèlerins basques (29 et 30 mai 1927).
Nous avons quitté Hasparren en pays basque. Et, d'abord, la route longe la rivière qui a nom "Joyeuse ", parce qu'elle rit entre les pierres. Çà et là, au flanc des coteaux, se posent des maisons ailées, toutes blanches. L'une s'appelle Iribarnia : une petite vierge, entre deux géraniums, dans une niche, et son jardin à l'ombre parfumée, et ses abeilles à qui l'on annonce rituellement la mort de leurs maîtres, la rendent vénérable entre toutes. Au tournant d'Ayherre, il y a une croix auprès d'un rocher. Là, un bouvier fut tué : Priez pour lui.
Le bourg de Labastide-Clairence, où nous sommes passés ensuite, ouvre la Gascogne. Massif est son clocher. Son cimetière recèle un juif appelé Abraham. Sa place est bordée d'arceaux épais, à la mode mauresque. Au sortir de ce village, des peupliers frémissent sur des prairies humides et, à Belloc-sur-Joyeuse, s'élève un monastère bénédictin. J'y connais un moine, Michel, Il est vieux, et je l'affectionne. Priez pour lui.
LABASTIDE CLAIRENCE - BASTIDA PAYS BASQUE D'ANTAN |
A droite, nous avons monté vers Bardos. D'un côté, l'on voit, entre Espagne et France, les petites Pyrénées bleues comme le mantel de Notre-Dame. Et, de l'autre côté, une plaine sans fin jusqu'à la mer et les Landes, si fertile et boisée qu'il semble que ce soit une Terre-Promise. Dieu nous y mène !
Bardos franchi, c'est Bidache, qui fut chef-lieu de Navarre, où coule la lente Bidouze, et où sont les foires aux chevaux. Et l'on voit le château des Gramont, dont plusieurs gisent en l'église romane. Priez pour ces seigneurs !
CHÂTEAU DE BIDACHE - BIDAXUNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous vînmes à Peyrehorade, où j'ai connu Lapeyre, bon poète gascon, et mort d'avoir trop ri. Priez pour lui !
A Puyoo, j'ai supplié Notre-Dame, quand l'une de mes enfants était malade, qui est maintenant bien guérie. Seigneur, soyez béni !
A Baigts, j'ai salué la dépouille du vénérable Tauzin, prêtre érudit, qui, aussi fut de mes amis.
Aux portes d'Orthez, à Castétarbe, nous nous sommes assis pour manger dans la verdure, au bord du gave, sous de beaux arbres animés par la brise, qui me rappelaient les voix de ma jeunesse. Pardonnez-moi.
Voici Orthez, et la tombe, et la maison natale de mes pères. Priez pour eux.
Voici l'antique demeure de mes vingt ans, et de mes premières chansons. Et les autres maisons où j'ai aimé, souffert et reçu des amis. Pour ceux-ci, priez.
FRANCIS JAMMES ORTHEZ BEARN D'ANTAN |
Après Orthez, c'est Castetis aux ruisseaux bleus de myosotis, où j'ai chassé jadis. Là est le noble château de Candau, habité par Champetier, notre chrétien député. Et, sur le fronton, se lit : "Nul pauvre en vain ici ne frappe." Priez pour tous ses hôtes.
CHÂTEAU DE CANDAU 64 CASTETIS BEARN D'ANTAN |
Ensuite, nous franchissons le tournant d'Argagnon, un peu lavant la gare. Là, plusieurs, en peu d'années, ont péri en automobile. Priez pour eux.
Lacq et Mont sont aux Lestapis, qui sont chrétiens, faisant le bien. Et les d'Ariste aussi, à Lescar, où est une cathédrale. Ce sont de vieilles familles aimées. Priez pour leurs morts et pour leurs vivants.
Les pèlerins traversant Pau ne se trompent de route : on longe le parc où Henri IV chassait biches, lièvres et bécasses ; on prend par la place Gramont, où est la statue d'un maréchal. Les cloches de Saint-Jacques et de Saint-Martin sonnent. Apôtres, priez pour nous.
STATUE MARECHAL BOSQUET PLACE GRAMONT 64 PAU BEARN D'ANTAN |
A la descente de Bizanos, au-delà du château Franqueville, les gais jardiniers cultivent leurs beaux légumes. A Meillon aussi. Et, encore à Assat, où, à vingt ans, je poursuivais la caille tandis que dans la gloire des cieux, à l'horizon de la moisson, grandissait à perte de vue la montagne. Là, j'ai écrit encore des chansons. Priez pour elles.
A Nay, on fabrique des bérets et des manteaux avec la laine des troupeaux ; et des chapelets aussi, avec le buis de la montagne, pour les pèlerins comme nous qui les égrènent à genoux. Prions.
A Bétharram, la Vierge a premièrement, apparu. Il y a un grand collège où j'ai dit ma chanson, où j'ai mangé avec le bon René Bazin, courageux dans l'épreuve. Priez pour lui.
ECRIVAIN RENE BAZIN |
Mais, voici Lourdes, où, secondement, la Vierge est apparue à Bernadette. Des pèlerins, des pèlerins encore, et toujours ; pèlerins basques et béarnais. C'est le rendez-vous des catholiques béarnais et basques. Il en sort de partout. Il ne se peut point qu'ils fussent davantage à Compostelle, dans le vieux temps. Nous sommes allés d'abord à la grotte, où l'eau pure prie.
Ayant lavé notre visage et rafraîchi nos cœurs, nous allons au Rosaire, à la Crypte, à la Basilique, voir les ors, les reliques, les drapeaux, les statues, tant de richesses qui réjouissent les pauvres qui n'en ont point chez eux et n'en sont pas envieux. Il y aura toujours des pauvres parmi nous. Priez pour eux.
PELERINAGE DEVANT LE ROSAIRE 65 LOURDES HAUTES-PYRENEES D'ANTAN |
Mais, avant tout, prions pour ce long, cet interminable défilé d'infirmes qui appellent au secours leur Mère. Une femme craignant pour sa petite fille, tant la presse était grande, l'a placée dans les bras et sur le cœur de l'un de nous. Saint Guy, priez pour elles.
Nous avons assisté aux vêpres solennelles et à la procession du Saint Sacrement. Elle s'avance, magnifique, avec ses filles de Marie en tête, dont la double rangée se déploie et s'évase à la fin comme un grand liseron bleu et blanc. Priez pour elles.
PROCESSION SAINT SACREMENT 65 LOURDES HAUTES-PYRENEES D'ANTAN |
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