HARRY D'ABBADIE D'ARRAST À HOLLYWOOD EN 1929.
Henri d'Ababdie d'Arrast, ou Harry d'Abbadie d'Arrast, né le 6 mai 1897 à Buenos Aires (Argentine) et mort à Monaco, le 17 mars 1968, puis enterré à Saint-Etienne-de-Baïgorry, est un réalisateur et un scénariste de cinéma.
Voici ce que rapporta à son sujet l'hebdomadaire Pour Vous, le 7 novembre 1929, sous la plume de
Nino Frank :
"La bataille muet contre parlant est engagée à Paris. Le public décidera...
D'Abbadie d'Arrast, Français d'Hollywood, dit...
Cet Hollywood féerique et multiforme, aux édifices éphémères de toute sorte et de tous les temps, cette ville peuplée de personnages romanesques qui s'habillent en civil pour la frime, mais qu’on imagine toujours prêts à donner des conclusions nouvelles et excessivement absurdes à leurs films, ce paradis des hégéliens, est-on sûr, en somme, qu’il existe ? En Californie, bien sûr : quiconque pourrait en indiquer la longitude et la latitude exactes (après avoir jeté un coup d’œil sur une carte de l’Amérique). Pourtant, imaginez qu’un Hoover un peu fantasque s’avisât d’ordonner que toutes les bâtisses en bois (qui n’ont que deux dimensions, et ne s’en plaignent pas) construites sur les indications des metteurs en scène, soient détruites dans les vingt-quatre heures. Que resterait-il de la ville du cinéma ? Rien n’indiquerait son emplacement, je présume, si la fatalité qui est toujours pleine de bienveillance pour les archéologues et les curieux en général, ne leur laissait trouver les restes d’un appareil de prise de vues, le pantalon de Charlot, quelques-uns de ces prodigieux bâtons de rouge des girls de Mack Sennet... Je ne serais pas autrement étonné si l’un de ces matins, on constatait la disparition de Hollywood. Bien entendu, MM. Paramount, Métro. Fox et leurs confrères ne seraient pas obligés d’avoir recours aux petites annonces des journaux du Nouveau Monde, pour le retrouver. Mais peut-on extrader les villes, même factices !
HARRY D'ABBADIE D'ARRAST ET CHAPLIN POUR VOUS 7 NOVEMBRE 1929 |
Or Hollywood se déplace. L’Europe les attire : Paris, au seuil de l’Atlantique, leur offre des interviewes et des palaces. Douglas, Mary Pickford, Bancroft, Evelyn Brandt, Chevalier, et tant d’autres s’attardent à Paris, ils disent que tout va bien à Hollywood... Menjou ne retournera pas là-bas. Je ne serais pas extrêmement surpris si Fairbanks et Mary Pickford allaient céder à la tentation de voir si l’air de l’Europe leur est favorable. Et Jannings, Sternberg, Conrad Veidt ?
Qu’est-ce qui se passe à Hollywood ? Voilà Harry d’Abbadie d’Arrast qui en revient : il restera à Paris un mois, le temps de se reposer "à l’européenne" : interrogeons-le. Il n’hésite pas :
— Le film parlant.
D’Abbadie d’Arrast, grand, bien découplé, les cheveux et les yeux d’un Andalou, la mâchoire forte, le rire clair entre deux rangées de dents très blanches : un Français d’Hollywood. Cela veut dire que ses sept années d’Amérique en ont fait un homme très simple et très fort, et qu’elles ont rendu sa voix âpre, et son français hésitant et un peu saccadé. Mais quinze jours de Paris suffisent à atténuer ce pittoresque amusant. Il est sympathique, élégant, pénétrant : la main qu’il vous tend est une main d’ancien combattant, de mutilé.
ADOLPHE MENJOU KATHRYN CARVER ET D'ABBADIE D'ARRAST POUR VOUS 7 NOVEMBRE 1929 |
— Je suis allé à Hollywood en 1922. Je voulais travailler : comme acteur ou comme metteur en scène, je ne savais pas. J'ai eu une chance inouïe : j’ai rencontré Charlie Chaplin... Et voilà.
En 1922, à Hollywood... L’année après le Kid ; l’année où les big four s’unissaient pour créer la société libre des United Artists. Et en Europe ? A quoi bon interroger davantage d’Abbadie d’Arrast sur les raisons qui le poussèrent à s’en aller de l’autre côté de l'Atlantique.
— Comme j’étais Français, on m'avait nommé conseiller technique pour un film de Gloria Swanson, ou plutôt pour une scène de ce film, une course de chevaux en Argentine. Je connais l'Argentine : quand j’étais gosse, on me promenait de tous les côtés... J'ai eu deux chances inouïes : Fitzmaurice, le metteur en scène de ce film, fit annoncer, lors de la présentation, mon nom, à cause de la part que j'avais eue à la composition de cette scène. Première chance : les metteurs en scène ne sont pas toujours si loyaux. Seconde chance : Charlot assistait à la projection, il remarqua ce bout de film, il voulut me voir... C'était le but vers lequel je tendais : toutes les recommandations qu'on m’avait données n’avaient servi à rien, car Chaplin fuit les postulants. J’avais fini par être le seul qui ne lui demandait rien. C’est ce qui lui plut. Il allait tourner l‘Opinion publique : j'étais Parisien. Il voulait introduire une course de chevaux dans ce film et me demanda de la diriger. On finit par y renoncer, mais je demeurai son assistant. J'ai travaillé pendant trois ans avec lui : j’étais son assistant, son docteur, son secrétaire... Nous étions très amis, nous le sommes toujours. Maintenant nous nous voyons presque tous les jours au tennis, nous échangeons nos idées : il me parle de chacune de ses trouvailles, me les jette comme des balles, pour voir ma réaction. Pour mon compte, je sais que je trouve chez lui la solution de toute difficulté... Chaplin est une institution : s’il disparaissait, pauvre cinéma !
FILM A WOMAN OF PARIS OU FILM L'OPINION PUBLIQUE DE CHARLIE CHAPLIN 1923 |
IMAGE DU FILM A WOMAN OF PARIS DE CHARLIE CHAPLIN 1923 |
Harry d’Abbadie d’Arrast s’est animé en parlant de son grand ami ; son affection est émouvante. Ce qu’il a fait depuis, seul, il n’en parle pas ; tout ce qui touche à Chaplin lui tient à cœur, avant tout autre chose.
— Nous avons travaillé ensemble pour l'Opinion publique et La Ruée vers l’Or. En 1925, je suis venu en Europe pour présenter à Londres et à Paris La Ruée vers l’Or, .car Charlie tenait à ce que les orchestres jouent certains airs : il est très musicien. Il y a des scènes de ce film qu’il avait composées en songeant à ces airs. Mais trois années de travail avec Chaplin vous usent assez. Je le laissai faire autre chose. Or, je ne suis pas un salesman, un bluffer : les Européens le sont fort peu. Aussi m’entendis-je mal avec les gens des grandes sociétés. A la Metro-Goldwyn par exemple, j'eus les mêmes malheurs qu’a eus Feyder : devant tourner ce qui est devenu par la suite Femmes, je ne parvins pas à me mettre accord avec eux. Je ne sais pas me plier. Ils finirent par m’envoyer à Paris tourner la scène des deux poivrots descendant à cheval les Champs-Elysées, scène qui se trouve dans les Ailes. Ils pensaient que je n’y parviendrais jamais. Ils eurent tort, car je n’eus pas même besoin avoir recours aux autorisations de la Préfecture de Police pour la tourner... C’est pour la Paramount que je finis par tourner Femmes : là, je rencontrai Menjou, et j'ai fait avec lui Monsieur Albert, Valet de cœur et Sérénade. Mon dernier film est Dry Martini, que j’ai tourné pour la Fox avec Mary Astor. Je vais rentrer en Amérique pour commencer Raffles, avec Ronald Colman, pour la United Artists : mon premier talkie, parlant, je l'espère, le moins possible. Je songe à un film sur l'Espagne, pour lequel je reviendrai en Europe... Je me loue, maintenant, aux sociétés : cela me plaît davantage que si j’avais un contrat trop tyrannique...
FILM DRY MARTINI 1928 D'HARRY D'ABBADIE D'ARRAST |
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