UNE PASTORALE EN SOULE EN 1898.
La pastorale souletine est une pièce de théâtre en langue Basque et plus particulièrement en souletin.
Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel Mercure de France, le 1er mai 1898, sous la plume d'E.
Vigié-Lecoq :
"Une pastorale au Pays Basque.
Saint-Jean-de-Luz, Août 1897.
La décentralisation est en faveur. Les traditions locales sont volontiers exhumées. Du nord au midi, elles fleurissent, tels des archaïsmes ressuscités par un caprice de lettré et qui retrouveraient quelque vigueur avant de disparaitre pour toujours. Après s’être efforcé, pendant des siècles, d’unifier les coutumes, de réduire à une commune mesure tous les groupements rationnels, de déraciner et de transplanter les individus, il semble qu'on s’effraie de l’œuvre réalisée. On s’aperçoit que sont chassés des provinces le pittoresque, l’allure originale, la spontanéité. A vivre d’une vie contraire aux suggestions ataviques, les races s’adultèrent, les caractères essentiels s’effacent. Le Breton, le Provençal, le Basque même sont bien près de n'être plus que des Français. D'aucuns s’en réjouissent et rêvent d’un avenir proche où la fraternité des nations, l’abaissement des frontières rendraient impossibles les grandes tueries d'un autrefois barbare. D’autres déplorent l'absorption des petites sociétés par la masse confuse, la disparition des vitalités locales et restreintes au profit d’une vague collectivité qui se soucie peu des éléments qu'elle s’incorpore. Ils voudraient, d'un courage admirable, restituer à ces débris d’antiques peuples — qui longtemps gardèrent leur langue, leurs mœurs, leurs superstitions — la physionomie propre perdue de jour en jour en cédant à l’ambiance. Après avoir fait des Français avec des Bretons, des Provençaux, des Basques, on tente aujourd'hui, avec des Français, de refaire des Basques, des Provençaux, des Bretons. Tel homme du nord s'affilie aux félibres, un méridional préside les banquets celtes et, durant les fêtes de la Tradition basque, des érudits de toutes nations pérorent.
FÊTES TRADITION BASQUE ST JEAN DE LUZ 1897
PAYS BASQUE D'ANTAN
PAYS BASQUE D'ANTAN
Mais la survie des traits distinctifs d’une race tient, aux circonstances plus qu’à l’humaine volonté. Dans les vallées d’accès difficile, l’isolement lit les habitudes, tyranniques, elles se transmirent d’une génération à l’autre avec la rigueur d’un instinct. Pour les pauvres et rudes montagnards, l’étranger fut, comme autrefois pour le Grec, le Barbare, l’ennemi dont on se défie, qu’on hait et qu’on exploite. Cependant les voies ferrées ont tourné les montagnes, quand elles ne les ont pas pénétrées : l’esprit local s’est affaibli par l'émigration des jeunes et l’immigration des voisins. Partout alors le même phénomène s’accuse : tandis que la masse se transforme, que les besoins se multiplient et rendent nécessaire l’acceptation de mœurs et de lois uniformes, un petit nombre, l’élite, prend conscience de la personnalité défaillante de la race, s’y attache, essaie de la maintenir, de la défendre. Sous l’impulsion des érudits que toute résurrection passionne, cette élite se penche curieusement sur le passé ; comme le vieillard qui veut revivre sa jeunesse, elle aime à redire les chansons oubliées, applaudir les jeux défunts. C’est l’éveil factice, mélancolique et vain de coutumes surannées, filles d’une civilisation caduque que des efforts individuels, naïfs ou présomptueux, ne raviveront pas. Peut-on déjouer l’action du temps, reprendre à rebours l’œuvre des siècles et se rire des évolutions fatales de l’histoire ?
BATEAU DE L'EMIGRATION PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le pays basque, mieux que tout autre, se prête à ces restitutions : ses caractères subsistent, adoucis plutôt qu’altérés. Mieux que tout autre, il a su longtemps retenir et garder ses fils, fournir à leurs rêves inconscients. Pays contrasté : montagnes austères qui s’achèvent en roches rudement striées de roux, anses gazonnées, fleuries d’ajoncs ; mer d’azur, brodée d’argent, bruissant au sable fin des plages ou bien glauque et furieuse, éclaboussant d’écume les falaises à pic ; ciel gris pleurant sur les cimes et ouatant de brume les villages épars dans les vallées, ou bleu radieusement faisant songer de Provence ou d’Orient.
La population semblable à la terre est grave mai passionnée, avide comme l'Espagne de faste religieux et de luxe barbare, ardente au labeur comme aux jeux et fière de ce qui l'isole et la différencie au point de ne se vouloir pas mêler aux autres peuples. Elle parle une langue mystérieuse, jalousement et pieusement transmise, contemporaine des vieux âges — celle d’Adam au paradis terrestre, disent les légendes — unique en Europe par son lexique et sa structure, langue agglutinante parmi nos langues à flexions et dont les sons rauques et inusités étonnent nos oreilles qui ne retrouvent en ce langage aucune sonorité connue.
CARTE LANGUE BASQUE LL BONAPARTE 1863 |
De toutes les provinces basques, — soit espagnoles soit françaises, — la Soule, éloignée des côtes, protégée par ses collines contre l'influence des patois latins, offre le plus de résistance au flot montant des nouvelles coutumes. Presque seule, elle a conservé le théâtre des aïeux, leurs chansons et leurs rythmes, dans la simplicité originelle. Aussi quand il s’agit de présenter aux étrangers une vision exacte des traditions anciennes et d'entretenir au cœur des hommes du pays le culte de leur passé, les Souletins sont-ils appelés et conviés à donner une de ces représentations scéniques qui réjouissent encore la foi et la naïveté de leurs hameaux.
BIENVENUE EN SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La préparation d'une Pastorale est laborieuse. Les jeunes hommes y songent longtemps : leur race est fière, point indifférente au succès. Les plus beaux, les mieux disant, les plus agiles, sont désignés par les Anciens. Ce montagnard de haute stature et robuste quoique mince, à la voix belle, à la mémoire sûre, sera le héros ; à ces autres, plus grêles, moins hâlés du soleil, conviendront les rôles de femmes, ces petits bergers aux joues innocentes et poupines seront des anges fort congruents, et ces souples garçons habiles au saut basque, brillants lutteurs dans les parties de blaid, mimeront les danses des intermèdes.
SAUT BASQUE 1907 |
La troupe improvisée se disperse pour les besognes quotidiennes. Dans la montagne, les clochettes des vaches rythment les vers euskariens répétés sans fatigue par les laboureurs et les pâtres ; l’écho, dans l’air sonore, les redit au voyageur étonné qu’attirait la sauvagerie du site. Les rôles extraits sont longs, la pièce compte des milliers de vers, qu'importe, le jour est long aussi ; les strophes s'égrènent dès le labeur, de l'aube au soir tombé. Les mémoires sont tenaces, accoutumées à mépriser le livre qui permet d’oublier.
Au jour marqué, ils descendent nombreux les gens de la Soule : ce sont les acteurs, leurs amis qui vont tout à l'heure, selon l'usage, encombrer la scène, surveillant les entrées, interrompant la pièce de leurs acclamations ; ce sont les belles filles de Barcus et d'ailleurs, la plupart en robes sombres, en sombres mantilles abattues pudiquement jusqu’à leurs yeux profonds. De taille haute et mince, elles ont, comme les hommes, la démarche légère, une originelle noblesse dans les attitudes, une distinction de gestes propre à cette race. Venues avec leurs frères ou leurs amants, elles applaudiront, elles aussi, la vieille légende ressuscitée par eux sur les tréteaux de la place, insoucieuses des sourires et des étonnements que le spectacle provoque parmi la foule bigarrée des touristes qu'assemblent les hasards d'une villégiature estivale.
PASTORALE D'ABRAHAM BARCUS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les acteurs s’habillent sous l’œil des vieillards, gardiens des coutumes. Les voilà prêts. Ils défilent dans les rues en longue théorie, éclatants, impassibles, tels des hiérophantes accomplissant un rite. Le son des instruments nationaux accompagne leur marche cadencée. Par les fenêtres des maisons blanches, aux colombages bruns, se penchent, curieux, des visages de leur race, faces glabres et un peu hautaines. Ils arrivent. La foule les acclame, massée autour de l’estrade, sous les arbres, et bariolée assez pour, de loin, donner l’illusion, à qui la cherche, d'un public d’autrefois dévotement accouru. Ils montent sur la scène, étroite, bizarrement ornée de bannières basques aux armes et aux couleurs des provinces ; le fond simule un mur percé de deux portes, l'une rouge, l’autre bleue. Ils se rangent en bel ordre, comme à la parade, toujours graves, sans qu'un muscle de leur visage rasé trahisse une émotion. Le soleil rayonne et les atteint. Eclat de pourpre et d’or, clinquant, panaches, joie des yeux pour la puérilité des foules. Les anachroniques costumes sont d'une audacieuse et traditionnelle fantaisie. Chaque époque a été pillée : c’est un musée de grotesque suranné. Voici des tiares emplumées, brillantes de verroteries, toutes moyenâgeuses, si elles ne proviennent d’une dépouille de roi nègre ; des culottes de soie, des pourpoints chamarrés, des fraises Henri II, des guêtres espagnoles, guêtres à grelots pour trois agiles garçons qui marchent par jetés-battus, un chapeau bicorne balance sa plume énorme sur la tête blanche d’un grand vieillard, la croix d’honneur s’épingle sur le velours de son habit renaissance ; des jupes second empire soulevées par d’invraisemblables crinolines ont des gonflements de voiles sous la brise, attachées aux hanches étroites d'adolescents imberbes et travestis. Les hommes, gantés de coton blanc, agitent au lieu d’épée le makhila, sorte de canne ferrée à lanières de cuir, ancien aiguillon des conducteurs de char. Deux couleurs dominent : le rouge, le bleu ; l’azur le sang.
LES SATANS PASTORALE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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