UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1897.
Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.
Voici ce que rapporta à ce sujet la revue mensuelle La Revue du Palais, le 1er novembre 1897, sous
la plume de Georges Haume :
"En Pays Basque.
... Eh bien, ces ornements d’autel, deux candélabres, un saint sacrement, si lourds qu’on les soulève avec peine, le maire voudrait les obtenir pour les garder, pieuses reliques communales, à la mairie, là-haut, sur la Place, tandis que le curé les garde au presbytère, afin de s’en servir à l’église, les jours de grande solennité....
Le pays basque était autrefois infesté de sorciers, qui troublaient la conscience des meilleurs fidèles, fomentaient la haine et l’envie dans les familles, et même de commune à commune. Le curé m’assure que, quelques années avant la Révolution, un de ces sorciers, après un procès solennel au Parlement de Bordeaux, fut brûlé à Bayonne, au faubourg Saint-Esprit qui était réservé aux Juifs.
Je ne sais si le sacristain d’aujourd’hui égalerait son devancier en héroïsme. Mais il jouit d’une grande importance, étant à là fois sacristain, chantre, barbier et fabricant de gants pour le jeu de la pelote. Je vais, ce matin, me confier à son rasoir.
Il habite non loin de nous. La route traversée, je longe le champ de fougères où chaque soir l’aîné des Camino mène paître les vaches. Par un chemin creux qui, tournant à droite, passe à l'ombre de ce coteau, je pénètre entre deux escarpements très élevés de roches, fleuris de coquelicots et tapissés d’herbes. Au fond du ravin, cascade un ruisseau que franchit un pont étroit, mal bâti, et qui tout de même résiste depuis des siècles. Dans tin pré, çà et là, des hêtres et des platanes. Derrière un rideau de chênes, apparaît la maison basque, bien isolée, les murs blanchis à la chaux et quadrillés de bandes transversales formées par des poutrelles brun foncé. Ils aiment à se sentir jalousement chez eux, les Basques, à posséder le lopin de terre que les aïeux ont élu et à s’y croire seuls au monde. Le recueillement des choses, loin de la route, est si profond qu'on entend le murmure du ruisseau, le frémissement du feuillage, le crincrin d'un grillon dans la luzerne, jusqu’au bourdonnement de la ruche qui est placée là-bas, au bout du potager. Le soleil chauffe ici comme dans une serre, mais une voix très forte anime ce coin de nature primitive : c’est la rivière qui court dans un lit tourmenté de roches énormes, de troncs renversés, ployés par les tempêtes.
FERME BASQUE PAYS BASQUE D'ANTAN |
J'entre, par l’unique porte du logis, dans la cuisine où la femme allume des sarments pour faire cuire la soupe, pendant que l’enfant dort dans son berceau, sous des étagères garnies de vivres et de vaisselle. La figure blanche et paisible, elle me répond par signes, et me montre son mari en train de confectionner, auprès d’une haute fenêtre, des gants de pelote, des chichtras.
L'homme, en pantalon de drap noir et en bras de chemise, me salue, en français. Une marche à gravir : me voici dans l’atelier où des gravures de jeux de pelote et des affiches de fête tapissent les murs, où sont disposés sur des étagères les gants à raccommoder, des osiers, des morceaux de cuir. L'homme demeure grave, parle peu, même lorsque, assis sur le siège étroit de la chaise, les joues barbouillées de savonnade, un petit linge blanc posé sur mon épaule, je l’interroge. Pourtant, sa tâche de barbier accomplie, il veut bien me renseigner sur cet art de gantier, dont il est fier.
— Je ne crains aucune comparaison dans toute la Biscaye, me dit-il. Tenez, voici des gants qui valent vingt, trente francs. Le prix dépend de leurs dimensions, de leur solidité, de leurs parures.
J’examine ces longs outils, un peu lourds. Car ce sont des outils de bataille, ces sortes de pelles en osier recourbé, ces mains de colosse recouvertes de cuir à la paume, et dont les doigts semblent crispés. Chez moi, en Languedoc, on ne fait pas tant de façon. Les joueurs, sur un espace de trois à quatre cents mètres de long, se renvoient la balle avec ces petits tambourins, qui sont tout simplement des cerceaux de bois tendus d'une peau d’âne. Et je vous jure que la balle vole très loin, tantôt très haut, tantôt très bas, selon la malice des joueurs qui s’efforcent de tromper ou de surprendre leurs adversaires. Les Basques, dans leur fierté, s’imaginent que ces jeux de paume leur sont spéciaux. A vrai dire, ce qui leur est particulier, c’est la pelle d’osier qu'ils s'attachent au poignet et qui facilite beaucoup le jeu.
Il n’y a pas de grands domaines dans la Biscaye. Chaque famille possède des lambeaux de terre, dans un desquels elle habite, de préférence auprès d’un cours d’eau ou d'une source. Nous ne trouvons ici qu’un château, de construction récente. La blancheur de ses murs éclate presque en face de nous, au penchant d’une colline, de l’autre côté de la Nive. De riches industriels de Bordeaux l’habitent une partie de l’année, le temps de chasser dans les bois. Les paysans, ici, tirent toutes leurs ressources de la terre. Economes, industrieux, ils expédient dans les grandes villes, jusqu’à Paris, les fruits de leurs enclos, leur bétail très apprécié, le mouton surtout.
Les femmes sont peu portées aux rêves. Elles travaillent, fidèles à l’époux, autant que jalouses de la maison où elles sont entrées. On prononce de bonne heure les fiançailles des jeunes gens, comme dans toutes les campagnes, en obéissant surtout aux goûts des deux familles, à des considérations d’intérêt.
Je remarque dans l’auberge l’existence sournoise des deux fils du maître : ils se détestent ; ils n’échangent entre eux que les mots nécessaires. L aîné, svelte, maigre, me sourit doucement, avec une mélancolie qui semble appeler un sentiment de tendresse. C’est qu’on ne l’aime guère dans la maison. Il s’efforce de conserver, en sa qualité d’aîné, une certaine suprématie : il soigne les bêtes et conduit le char. Le malheureux est souvent interrompu dans son travail : il "tombe du haut mal, du mal de la terre", l’épilepsie. Son frère, un trapu, balourd, la figure mangée de cheveux, essaie parfois de nous sourire, en montrant ses dents blanches. Quand il nous croit absents, nous l’entendons dans l’étable rebuter son aîné, se révolter d'une voix brutale qui fait peur. Tous les deux, ainsi que leur jeune sœur, et la mère, mangent avec les domestiques, à la cuisine où une longue table est chargée de victuailles. Chacun vient à son heure, dans un intervalle de l’ouvrage, remplit son assiette de pain et de fricot, puis va s’asseoir sur une chaise, dans un coin. Le maître, qui va dans les champs donner un coup de main ou visiter des camarades, se rend chez lui à midi précis. Il arrive, coiffé de son béret sombre, en sabots, en bras de chemise, son grand corps aux larges épaules appuyé sur un bâton de cornouiller. Il va lentement, flâneur, inspectant deçà delà les cultures, afin de dicter ses ordres tout à l'heure ou d’adresser quelques réprimandes. Son épouse lui a préparé, au fond du couloir, dans une salle silencieuse et fraîche, son repas bien chaud, le pain, le vin, les assiettes blanches qui reluisent sur une nappe blanche. Il mange à son aise, écoute les bavardages de l’épouse qui, debout, allant et venant, le sert avec respect.
Depuis mon arrivée, je demande inutilement à voir un cagot, un spécimen de cette race maudite qui fut pendant des siècles tenue en servitude. Mes questions gênent ces Basques orgueilleux. Ils avouent péniblement l'existence des cagots dans le passé. Ils affirment qu'on n’en rencontre plus un seul descendant. Pourtant, je rencontre à Itsatsou et aux environs quelques faces blondes aux cheveux de chanvre, aux oreilles sans lobe. Et souvent se révèle, pour ainsi dire, devant ma curiosité, la trace des préjugés que les Basques nourrissaient contre ces parias.
On entend, pour la première fois, parler des cagots, au Xe siècle, sur le versant septentrional des Pyrénées Occidentales, dans le pays basque surtout. Le moyen âge les regardait comme des hommes livrés à tous les vices, des sorciers, des hérétiques, des anthropophages même. Ils vivaient dans des hameaux reculés, des cagoteries, que surveillaient, placés sur des éminences, des petits châteaux flanqués de tours et couronnés de créneaux. Ils étaient astreints à porter un costume spécial, une chaussure rouge, une casaque rouge marquée d'une patte d’oie ou de canard de couleur tranchante, afin qu'on pût les apercevoir de loin et les éviter. Jamais il n’était donné à un cagot d’effacer l’ignominie de sa naissance, et sa mère, fût-elle du plus pur sang basque, ne pouvait se relever aux yeux des siens de la déchéance encourue par un mariage impie. Car on vit de ces mariages entre deux individus des races ennemies. Le cagot, en certains villages, s'enrichissait, et il parvenait, bien que fort rarement, à séduire par sa fortune la fille d’un Basque. Il s’enrichissait, parce que, profilant de la stupidité de ses voisins crédules, il savait défricher les terres délaissées, planter les bois, entretenir les prairies. Souvent aussi, il vendait des sachets qui préservaient de tous les maux ; il prédisait l’avenir, jetait de mauvais sorts, donnait des herbes dont la vertu faisait vaincre à la lutte et à la course.
LIVRE HISTOIRE DES CAGOTS PAR OSMIN RICAU |
Dans les premières années du règne de Louis XVI, un riche cagot de Saint-Jean-Pied-de-Port prenait à l’église de l'eau bénite dans le bénitier défendu. Un soudard qui le guettait, lui coupa la main avec son sabre. La main sanglante demeura jusqu'au dimanche suivant fixée sur la porte de l’église. Toute fonction était interdite aux parias, hormis celles de bûcherons et de charpentiers. L’Église et l’État les repoussaient de tous les emplois. On leur désignait les sources où ils devaient puiser. Dans beaucoup de villages de ces Pyrénées, il y a encore la Fontaine des Cagots. On leur interdisait de porter toute espèce d’armes, à l’exception d’un couteau sans pointe. Ils ne prenaient part aux bals que comme ménétriers, joueurs de flûte ou de tambour de basque. La pèche leur procurait de grands bénéfices. Ils ne pouvaient acheter que le lundi, ne devaient jamais entrer dans les tavernes, y prendre du vin ni y toucher les hanaps et les brocs. Ils ne pouvaient entrer dans l’église, pour assister aux offices, que par une porte étroite ; et ils se tenaient hors de la nef, bien à l’écart des fidèles. J’ai vu à Luz, dans le Béarn, un trou pratiqué dans la muraille du rempart qui entourait le cimetière de l’église : c’est par ce trou que les cagots s’introduisaient, en rampant comme des bêtes, dans la partie de l’église qui leur était assignée. Les prêtres faisaient difficulté de les ouïr en confession, de leur administrer les sacrements. Dans les processions, ils marchaient les premiers. On ne sonnait leur angélus qu’après l’angélus ordinaire. Dans le cimetière, une ligne de démarcation les éloignait, de crainte que leurs cendres ne souillassent celles des races pures. Le prêtre et le rébellion, chargés d’inscrire sur les registres de l’état civil et sur ceux du fisc les noms des cagots qui naissaient, se mariaient, mouraient, étaient devenus propriétaires à force d’intelligence et de travail, oubliaient rarement d’accompagner ces noms de la qualification qui les vouait au mépris et à la haine. On reconnaissait facilement les cagots à leur teint livide, à leurs oreilles sans lobe, leurs yeux bleus ou olivâtres enfoncés dans de petites orbites. Ils offraient un contraste frappant avec les parias d’une autre race maudite, les Bohémiens ou Zingaris, qui vivaient dans leur communauté, sans qu’il se produisît jamais un mélange des deux races.
BENITIER DES CAGOTS 65 ST SAVIN |
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