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samedi 9 décembre 2023

LES RÉVOLTÉS DE LA PRISON D'EZKABA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN MAI 1938 (troisième partie)

 

LES RÉVOLTÉS DE LA PRISON D'EZKABA EN MAI 1938.


Pendant la Guerre Civile d'Espagne, le 22 mai 1938, 795 prisonniers s'évadent de la prison d'Ezkaba, en Navarre.




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PRISON D'EZKABA EN NAVARRE

Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Dépêche, le 2 juin 1938, sous la plume d'H.-G. 

Howers-Mainz :



"Ce qui se passe chez Franco.

La dictature du sang.


La raison de la révolte des phalangistes et l'oppression qui pèse sur les populations en territoire franquiste.

D'un correspondant spécial



Hendaye, 31 mai. — Si sévère soit la censure, si minutieux soit le "filtrage" présidant à l'entrée ou la sortie des rares étrangers admis à contempler les beautés du régime factieux d'Espagne, la vérité arrive néanmoins à percer. Elle vient de se faire jour une fois de plus au sujet des récents événements de Pampelune. Comme l'a signalé la presse, quinze cents prisonniers réussirent à s'évader de la capitale navarraise, le 22 mai. Sur ce fait, la presse de Franco garda un silence total ; aucun récit, voire des plus succincts, de cette évasion ne fut révélé par les feuilles fascistes au public espagnol ; quant à la presse étrangère, elle fut purement et simplement priée de s'abstenir de tout commentaire à ce sujet.



La Dépêche l'apprit et signala le fait. Ce fut un des rares journaux qui le firent. Dès lors, les versions plus ou moins fantaisistes eurent beau jeu.



En France, comme il fallait s'y attendre, la presse, consciemment ou inconsciemment favorable à la cause du général rebelle, s'efforça à minimiser les faits. Leur version, habilement insinuée par les agents de Franco en France — et ils sont hélas ! nombreux dans la région pyrénéenne — fut généralement la suivante : il s'agissait là de prisonniers de guerre et surtout de détenus de droit commun, ayant profité d'un "moment d'inattention" pour s'évader. 



Le nombre de ces fugitifs ne dépassait pas trois cents et la plupart avaient été appréhendés à nouveau peu après leur évasion.



En réalité, les faits sont bien différents et c'est d'une véritable révolte dont il s'agit, révolte d'autant plus grave pour le général rebelle et d'autant plus significative qu'elle a pour base l'un des partis qui, dès le premier jour de la rébellion militaire, se rallia à elle : celui des phalangistes.



Ce n'est plus en effet un secret pour personne que les graves différends qui séparent aujourd'hui carlistes et phalangistes devenus depuis quelque temps frères ennemis. Justement inquiétés par les revendications d'ordre social et syndicaliste du parti né sous l'initiative de José Primo de Rivera, tous ceux qui s'efforcent à rétablir en Espagne le régime des privilèges de classe, carlistes en tête, ont senti quel danger présentait pour eux le parti phalangiste. Depuis plusieurs mois l'on a pu se rendre compte que ce parti n'était en réalité qu'une sorte de C. N, T. déguisée et, depuis lors, les arrestations n'ont cessé de se succéder. C'est particulièrement en Navarre et à Pampelune, centre le plus puissant et le plus actif des monarchistes, que ces arrestations prirent un caractère "massif".



Durant le seul mois de mars, plus de 500 phalangistes furent arrêtés rien qu'à Pampelune et — fait singulièrement significatif — parmi eux figurait une centaine d'anciens prisonniers de la F. A. I. délivrés par les rebelles durant leurs avances en territoire conquis aux républicains.



Depuis lois, le feu couvait dans le parti phalangiste : seule, l'extrême rigueur des mesures policières, si cruellement rigides qu'on se demande comment un peuple les peut endurer encore, et la force militaire s'exerçant, de plus en plus sans contrôle, avaient réussi jusqu'à ce jour à maintenir le mouvement de révolte en fermentation. Le discours prononcé quelques jours avant la rébellion de Pampelune par le général Yague fut le signal du mouvement. Les mesures répressives prises contre ce chef, qui ne cache pas sa sympathie en faveur du mouvement syndicaliste de droite, hâtèrent les choses. Cette précipitation devait au demeurant être fatale à la sédition ; alors que celle-ci était prévue pour l'ensemble du territoire soumis au joug de Franco, les ordres furent donnés de façon si précipitée et si confuse que ce n'est qu'à Tafalla et à Pampelune que leur exécution fut possible. Dans la première de ces cités la révolte fut, par suite de son organisation défectueuse, rapidement maîtrisée. Tout autrement en fut-il dans la capitale navarraise.


Il était près de 8 heures du soir quand furent perçus de la ville quelques coups de feu provenant du camp de concentration des phalangistes détenus au camp voisin de la forteresse de San Cristobal, qui domine la route de Saint-Sébastien à Saragosa. Tout d'abord, la population de la ville crut à une de ces exécutions sommaires comme il en est tant, hélas ! depuis quelques mois en territoire rebelle. Pourtant une nouvelle et brève fusillade ne tardait pas à éclater et l'alarme donnée dans la ville, le départ précipité des troupes de la garnison pour la région du fort, les mesures prises sans tarder contre la population civile, contrainte à s'enfermer immédiatement dans ses demeures, permirent d'apprécier dès ce moment la gravité de la chose.



Ce qui venait de se passer n'allait pas tarder d'ailleurs à être connu. Les faits, minutieusement préparés, s'étaient déroulés à une vitesse déconcertant le service de surveillance.



Profitant des amitiés qu'ils possédaient dans Pampelune, une vingtaine de phalangistes détenus, mais autorisés à se rendre dans la ville pour effectuer des achats destinés au camp, avaient réussi à se procurer des armes par complicité.



C'est grâce à cet armement que le dimanche 22 mai au soir les 500 phalangistes détenus dans le camp voisin de la citadelle ayant tué douze de leurs gardiens et blessé vingt-trois autres — et non huit, comme on l'a dit — se précipitaient dans le fort, où, après avoir facilement triomphé de la garde, ils arrivaient dans le bureau du commandant alors que celui-ci alerté téléphonait pour demander du renfort. C'est alors qu'il tenait en mains l'appareil qu'il fut abattu à coups de revolver.



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PRISONNIERS A ESKABA EN NAVARRE


Avant délivré leurs camarades enfermés dans les casemates du fort, et au nombre d'un millier, les détenus phalangistes se dispersèrent alors en petites troupes.



Depuis, il est certain que plus de deux cents ont été repris. La raison en est simple : tandis qu'une minime partie des fugitifs s'efforçaient à gagner la frontière des Pyrénées, la plus grande partie, confiante dans la réussite de la révolte générale, se dirigeait au contraire sur Saragosse. L'alerte ayant été rapidement donnée, le premier groupe n'allait, pas dépasser Tudela, où se trouve justement au repos, actuellement, la division italienne du "23 mars", laquelle avait été alertée et tenait la route de l'Aragon et ses environs. Quant aux autres fugitifs, encore qu'en prétendent les commentaires factieux offerts en pâture à la presse internationale fasciste, il ne fait aucun doute qu'ils ont trouvé un abri chez des sympathisants ou se sont réfugiés dans la montagne pyrénéenne, actuellement sillonnée de toutes parts par les patrouilles franquistes.



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LIVRE LOS FUGADOS DEL FUERTE DE EZKABA


Quoi qu'il en soit, l'alerte a été chaude chez Franco et elle permet de percevoir sous son véritable jour l'esprit général de la population dans la zone fasciste, Celui-ci est jugé si grave, si périlleux pour le nouveau régime fragilement instauré, que des mesures réellement draconiennes ont été prises récemment. L'une de celles, et pour cause, qui frappe le plus rudement la population civile est l'interdiction presque absolue de sortir de la ville, voire du village où l'on habite. Tel cultivateur obligé de se rendre de son village dans le bourg voisin parce qu'il y a des intérêts, ou de se rendre dans la ville la plus proche comme le forcent à le faire les besoins du ravitaillement usuel doit être muni d'un "salvoconducto" qui n'est délivré à présent que pour une période de cinq jours bien que sa délivrance nécessite au moins une semaine de démarches et de formalités. Mais celles-ci seraient peu de chose pour le malheureux peuple espagnol, habitué depuis des siècles à un régime de contrainte et de vexations administratives devant quoi s'est formée une sorte d'état d'esprit de résignation passive. Une mesure plus grave vient donner toute sa portée féodale à cet état de chose : le sauf-conduit ne peut être délivré sans une attestation écrite de deux officiers, reconnaissants que le postulant est favorablement connu d'eux, Et c'est alors que la chose devient particulièrement odieuse. Outrageusement favorisés par un régime qui leur laisse tout pouvoir, les militaires qui délivrent ces certificats n'hésitent pas à s'en faire grassement rémunérer, voire sous une forme particulièrement indigne lorsqu'il s'agit d'une femme qui leur paraît désirable ; ainsi, bien des familles préfèrent-elles abandonner leurs intérêts que de solliciter l'obtention du sauf-conduit.



De telles mesures donnent une idée de ce qu'est à présent la liberté individuelle sous la domination conjuguée des militaires espagnols imbus depuis des siècles d'un esprit de féodalité et d'un clergé qui semble avoir à cœur pour prendre sa revanche d'instaurer une nouvelle Inquisition qui ne le cède à celle des temps passés ni en rigueur ni en intensité.



Contraint, en effet, de s'appuyer sur ces deux bases, armée et clergé, Franco doit laisser à l'une et à l'autre une liberté d'action si étendue qu'elle confine à l'autoritarisme quasi-absolu. Fort de ces prérogatives, l'outrecuidance des officiers, leurs exigences de toutes natures, la contrainte du clergé semblent à présent méconnaître toutes limites. Et, comme il advient chaque fois que les libertés individuelles cessent d'être respectées, ne peuvent trouver une défense dans la légalité, la délation et la calomnie ont beau jeu. Quiconque est dénoncé par un voisin avec qui il vivait en mauvaise entente ou vient d'avoir un différend est le plus souvent arrêté sans enquête préalable. Celle-ci aura lieu par la suite, quand seront vérifiés les faits, lorsqu'on se donne la peine de faire une enquête, et n'en subira pas moins une détention sans raison et parfois longue de plusieurs semaines. Malheur à l'infortuné assez téméraire pour avoir omis d'assister à un exercice cultuel ! S'il est dénoncé, les pires vexations l'atteindront. Quant à la façon de se conduire, de maints officiers, elle est telle que bien des hôteliers en arrivent à redouter chez eux leur présence, certains qu'ils n'ont aucun recours s'il plaît, à ces messieurs de ne pas solder leur note.




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PRISONNIERS AU FORT SAN CRISTOBAL 
EZKABA NAVARRE

Devant un tel état de choses, que faire ? Quel recours à la population civile ? Aucun. II lui faut se soumettre ou encourir les rigueurs d'une police toute puissante, placée depuis quelques mois sous l'autorité absolue d'un homme connu par sa rigueur impitoyable : Martinez Anido, ancien colonel placé jadis dans la police sur sa demande et ancien gouverneur de Barcelone où son nom demeure encore le synonyme d'un Torquemada.



Ainsi se trouve aujourd'hui réduit le prétendu régime totalitaire de Franco, obligé à composer avec des partis politiques animés l'un vers l'autre de sentiments hostiles, avec un clergé — jésuites en particulier — bien décidé à reconquérir toute leur autorité passée, un corps d'officiers imbu des pires idées féodales et, bien décidé, lui aussi, sauf en quelques cas comme celui de Yagüe, à les faire prévaloir par tous les moyens, une police qui tourne aux bourreaux de torture et cela sans le moindre contrôle effectif, un corps de mercenaires italiens dont les excès ont fini par révolter les Espagnols déjà enclins à la xénophobie et l'occupation allemande qui ne tend rien moins que transformer la péninsule ibérique en véritable colonie saxonne, au mépris souvent de la propriété individuelle.



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JUAN YAGÜE Y BLANCO
MINISTRE DE L'AIR AOÛT 1939



Si on ajoute à cela le coût de la vie qui a largement doublé depuis trois mois, le manque de fournitures premières pour ce qui n'est pas industries de guerre, les charges fiscales de plus en plus écrasantes qui pèsent sur la population civile, on comprend pourquoi la garde qui veille sur le repos du général factieux, réfugié en son château de Pedroilla, à quelques kilomètres de Saragosse, et où il se trouve plus en sûreté qu'à Burgos, a été doublée depuis quelque temps et renforcée par des troupes de cavalerie depuis trois jours.



CHÂTEAU DE PEDROLA ZARAGOZA ESPAGNE



On comprendra surtout le malaise qui pèse de plus en plus visiblement sur les cités et les campagnes ; les rancœurs et le mécontentement qui se font jour dans les conversations avec la population civile quand elles ont lieu librement, sans témoins.



On comprendra avant tout l'obstination magnifiquement farouche de la lutte des républicains, préférant la mort à un tel régime de contrainte et d'asservissement total, mais qui savent surtout que ce n'est pas avec les armes seules et l'appui de l'étranger que Franco peut totalement s'emparer du pouvoir, mais qu'il lui faut aussi l'assentiment d'un peuple, assentiment qui plus tôt que ne le croient nos fascistes aux superficielles visions de la chose espagnole, va lui faire défaut, car la lutte tragique qui se déroule depuis deux ans en Espagne nous réserve bien des surprises encore."



A suivre...




(Source : http://www.losfugadosdeezkaba1938.com/ et Ezkaba. 1938-2018 (navarra.es))




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