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samedi 23 décembre 2023

UNE PASTORALE EN SOULE AU PAYS BASQUE EN 1898 (troisième et dernière partie)

 

UNE PASTORALE EN SOULE EN 1898.


La pastorale souletine est une pièce de théâtre en langue Basque et plus particulièrement en souletin.




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UNE PASTORALE EN SOULE EN 1880
UNIVERS ILLUSTRE 10 JANVIER 1880



Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel Mercure de France, le 1er mai 1898, sous la plume d'E. 

Vigié-Lecoq :



"Le théâtre euskarien, né dans ces tragiques circonstances, ne se présente à nous que modifié et déformé par la tradition locale, par les exigences d’une civilisation plus compliquée. A l’origine, le spectacle se prolongeait beaucoup plus. L’histoire d’Abraham a été fort mutilée. Le choix des suppressions parait être guidé par un moderne souci des convenances, un pudique dessein d’écarter tout ce qui dans les scènes bibliques pourrait être objet de scandale. Ainsi s’en va la belle naïveté de jadis, ainsi se prouve, peut-être, la vanité de ces restitutions. On ne s’offusquait pas alors de voir Abraham, mari fort avisé, présenter Sara comme sa sœur au Pharaon qui la trouve belle, et par cet ingénieux expédient, renoncement conjugal tout moderne, obtenir honneur et profit. On suivait intrépidement l’auteur à Sodome et à Gomorrhe, cités de perdition. Il en étalait les vices avec une complaisance pieuse destinée à en inspirer l’horreur. Le procédé n'est point perdu. Tels de vos romanciers, animés de la même préoccupation morale, prennent ce chemin détourné, et vont se délectant à décrire ce que leur austérité s’est donné pour mission de rendre haïssable. Il est à présumer que ce moyen parut dangereux à nos Anciens, ou mieux aux ecclésiastiques qui président ces solennités et ne veulent plus, pour nos fois vacillantes, que des jeux expurgés. L’on n’entend pas aujourd’hui Cocor et Patar, habitants de Sodome raconter leurs "onze cents amours", ni Cattilie et Manéton, belles dames du lieu, avouer ingénument la souveraine impudeur de leur vie. Supprimées aussi les scènes de harem. Sara, acariâtre et orgueilleuse, n’accable plus, de sa supériorité d'épouse légitime. Agar, jeune et choisie par le maître. Sara jalouse d'Agar, c'est la situation dramatique que les Grecs ont exposée maintes fois avec des effets de tragique sombre et attendrissant. Cassandre et Clytemnestre, Andromaque et Hermione, la captive, l'esclave, la femme en marge de la société, sans droits autres que ceux de l’amour, en lutte avec la femme bien née. considérée et hautaine, mais qu’on aime point malgré cela ou à cause de cela. C’est l’union libre, dirait-on aujourd’hui, en face du mariage légal. La querelle s’émeut entre les enfants. Le petit Isaac bien sage et bien vêtu, déjà imbu, comme sa mère de la supériorité que lui donne le code, mais peureux et timide, se laisse molester par lsmaël, le fils naturel, jaloux des prérogatives de son cadet, et qui use, en avisé fils d’Abraham, d’arguments touchants. Et les siècles passeront et Dumas en vain proclamera l’égalité des enfants nés selon la loi ou la nature. 


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BIBLE : AGAR SUIT ABRAHAM ET SA FEMME SARAH


Du texte primitif, toutes scènes un peu vives élaguées, resserrées, il reste de longues disputes entre les serviteurs d'Abraham et ceux de Loth, entre, les bons rois et les mauvais, disputes provoquées par d’intraduisibles vantardises, sortes de gabs dont le moyen âge aima la bouffonnerie énorme. Nous sommes proches de l’Espagne d’ailleurs, ou les imaginations grossissantes fanfaronnent de race. Mais le clou de la Pastorale, c’est, bien entendu, et conservé dans son intégrité, le sacrifice commandé à Abraham par le Jéhovah des Juifs, sanguinaire divinité d’Orient qui ne dédaignait pas la chair des petits enfants et, plus cruelle que celles de Grèce, ordonnait à un père d’immoler son fils sans que le salut d’une armée fût en cause. La scène est belle. Les démons tentent le patriarche. 



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TABLEAU : LE SACRIFICE D'ABRAHAM PAR REMBRANDT



Ils incarnent l'humaine défiance devant ce qui dépasse la raison, mais que vaut le raisonnement pour celui qui a la foi mystique ? L’intervention de l'ange sauvera seul l'enfant. 



Le dernier tableau est apaisant. C’est la mort du juste. Abraham, entre ses deux fils, expire doucement et l'ange reparait un instant pour recevoir son âme et l'offrir au Seigneur. Ceci pour satisfaire le public qui entend suivre ses héros jusqu’au voyage suprême. Les épopées grecques allaient plus loin, elles ne faisaient pas grâce des funérailles... 



Ainsi disait mon interlocuteur, cachant sous des airs d'esprit fort la fierté de sa race. Je le quittai pour la mer. Je vins l'ouïr au Socoa. Ses chocs sourds contre la digue, ses jaillissements fous me parlèrent du génie basque. Fils de cette terre heureuse que gardèrent longtemps libre les montagnes et l'eau, il est fruste, mais puissant. Tandis que dans nos grasses plaines, le paysan moissonne depuis des siècles pour l’oisif propriétaire, que dans les villes, à l'usine, l’ouvrier s’épuise, chair et âme, condamné par le capitaliste au travail sans trêve ou à la faim sans merci, le Basque vit de la mer : sur sa barque de pêche, il peine, dédaigneux du labeur mercenaire. Le rude combat livré dans les nuits de tempête exalte sa force, mais ne l’enrichit pas. Sa vie est quotidienne, il ne gagne pas assez pour préparer l’avenir ; sans esprit de lucre, il aime, une fois la barque rentrée, somnoler au soleil sur les parapets de pierre, ou s’exercer à la pelote pour les parties du dimanche ; son fils fait comme lui, trop pauvre pour s’enliser dans la bourgeoisie. 



Le Basque vit aussi de la montagne : pasteur ou contrebandier, il a le choix du rêve ou de l’action ; ses jeux c’est son rêve ou sa vie amplifiés. Des exercices mâles, le rebot, le blaid, qui supposent la force et l’adresse, des spectacles appropriés à une somptueuse et naïve imagination, à une âme peu complexe que satisfait un art sans nuances. Habitué aux ors du couchant sur la mer, il veut sur la scène des couleurs éclatantes ou triomphent le rouge de l’astre et le bleu de la vague : des danses légères et pressées comme le balancement de la yole aux marées d'équinoxe ; des gestes augustes comme les lignes de son horizon ; une déclamation plaintive qui rappelle le vent sifflant au volet, réclamant sa place au foyer de la cabane ; une musique grêle et sauvage évoquant le cri des bêtes de nuit qui ululent aux passes de la montagne ou la voix des oiseaux du large avertisseurs des tempêtes. Leur chirola suggère de rustiques paysages : c’est le pâtre qui s’exerce en paissant ses moutons aux fines pattes noires, le gave qui dévale sur les gradins du cirque avec un bruit de cristal. Le son devient-il aigu ou rauque ? On songe à cette clameur étrange, entendue dans la nuit, l'irrintzina, cri national d’appel ou de ralliement, plainte lente qui s’achève en un rire de fou. 



Le Basque jouit en enfant des aspects de la nature ; inapte à sérier ses sensations, il les confond en un émoi unique ; de même au théâtre, pour être captivé, il veut le mélange du chant, de la musique et de la danse, le rythme du vers, la rutilance des couleurs et l’harmonie des attitudes. 



Une autre terre française doit beaucoup à la mer : c'est la Provence. Là encore évolue un peuple vivant et spontané, aux sensations fortes. La mer bleue, aux colères féminines, l’air transparent, les roches blanches harmonieuses de lignes, lui ont façonné une âme légère s’arrêtant volontiers aux apparences, se souciant peu du mystère, prompte aux changements, souple et ironiste, apte à voir le côté plaisant des choses, plus facile au rire qu'à l’admiration. Il a ses pastorales aussi qui se jouent sous le gai soleil de décembre pour fêter la Noël. 



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13 PASTORALE EN PROVENCE : LE FADA DU VILLAGE



Si la pastorale basque fait revivre notre ancien drame liturgique, la pastorale provençale rappelle la farce du moyen âge : même réalisme, même liberté de satire, même goût du burlesque. Les acteurs, en costumes modernes et locaux, se démènent, grossissent les effets jusqu'à la caricature avec une remarquable intelligence de l'optique théâtrale. Ils brodent sur un thème lâche un dialogue de capricieuse verve. Ils transposent pour la scène les événements de chaque jour, les incidents vulgaires, en y mêlant la note mélodramatique — plus volontiers une aventure de brigands — qui touche l'âme des foules et qui ne peut manquer d’agir sur des arrière-neveux de forbans. Voici le meunier habile aux choses de ce monde, prélevant la dime sur le blé du pauvre : dur et rusé, craignant Dieu toutefois et plus encore le diable. Son apprenti le dupe, déguisé en spectre. Et le public d’applaudir à ce conte italien habillé à la provençale. Voici la classique querelle conjugale : le mari est naturellement berné et l’on retrouve dans cet intermède le sel de tel vieux fabliau, quelque peu affadi, comme il sied, par les modernes pudeurs. Ces tabarinades sont rattachées, sans nul artifice, à l’idylle de Jésus naissant. Tous les personnages, y compris les brigands, se rencontrent devant la crèche et se convertissent. Dieu, les anges et la Vierge, gens notoires, parlent un français d'une sonorité toute méridionale, ceux du peuple s’en tiennent au provençal. Ni musique, ni vers, ni danse, mais des jeux de scène que la comédie dell’arte eut avoués, une mimique expressive et d'un art tout instinctif. Composition incohérente, dira-t-on — pas plus sans doute qu'une pièce d’Aristophane — composition vivante, sans cesse remaniée et toujours conservant la pure saveur du terroir. L’on rit à un tel spectacle, populaire et naïf, mais pénétré de modernisme. La pastorale basque nous dépayse, nous ramène brusquement au passé. Un aspect du moyen âge a surgi : des gens auprès de nous se sont émus, qui comprenaient et revivaient les émois des ancêtres, et cela est mélancolique, cette persistance d’une race à travers les siècles. Avec la curiosité s'éveille une inquiétude à se sentir si loin de ce peuple euskarien qui reste mystérieux, même quand il livre les secrets de son imagination.


Saint-Jean-de-Luz. Août 1897."








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