UN VOYAGE À ANDAYE-HENDAYE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1857 (deuxième partie)
UN VOYAGE À ANDAYE-HENDAYE EN 1857.
En 1857, la ville d'Hendaye, en Labourd, compte environ 430 habitants et son Maire est Joseph Lissardy.
HENDAYE VERS 1842 GRAVURE DE LOUIS GARNERAY
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Presse, le 21 septembre 1857, sous la plume de
Frédéric Thomas, Avocat à la Cour impériale :
"Courrier du Palais.
XXIII.
Fontarabie est une politesse archéologique faite à la France, afin qu'elle pût, du bord de la Bidassoa, contempler un ravissant échantillon de la dévote et chevaleresque Espagne.
Tous ces hôtels sont vides, il est vrai. La rouille envahit le fer, le ver dévore le bois, le temps ronge la pierre ; le délaissement et l'oubli, qui sont pour les édifices l'éternité de l'agonie, accomplissent aussi leur oeuvre lente et sourde. Un des nobles écus de ces palais est recouvert d'un voile noir si ancien que l'étoffe en est devenue fauve, et que le deuil dont ce crêpe était le signe doit se perdre dans le lointain des âges. Ici tout est conservé. Vous vous attendez à voir passer, à chaque instant, la mule de Charles-Quint ou la litière de don Louis de Haro. On voulait nous louer pour 200 réaux (une cinquantaine de francs) un de ces palais habités jadis par des princes. O propriétaires de Paris, contemplez Fontarabie et convertissez-vous !
On a dans cette ville la vénération du délabrement et la religion du souvenir. Le temps y laisse ses empreintes et la guerre ses blessures. L'homme respecte tout et ne répare rien : on dirait qu'il n'ose pas toucher à l'oeuvre des temps.
Un exemple : l'église, à côté de son chevet, a un vaste boudoir ; c'est une salle datée de marbre, étincelante de miroirs, de tableaux de madones, reluisante d'armoires en bois des îles ; des caissons sculpté forment le plafond et de riches boiseries revêtent les murailles. Ce boudoir est une sacristie. Cette sacristie ouvre sur la Bidassoa, et juste en regard d'Andaye, un large balcon dont le garde-fou est un balustre en fer. Un boulet français est tombé sur l'accoudoir de ce balcon, si bien qu'en s'affaissant le fer a formé un creux en cet endroit. Le fer espagnol, qui est ductile et maniable comme de la cire, a cédé sous le choc, mais sans se rompre ; un seul coup de marteau aurait suffi pour remettre cette rampe dans son état primitif ; mais ce coup de marteau n'a jamais été donné : la nonchalance et le far-niente protégeront toujours ce vestige laissé par notre artillerie. Toutefois, aucun de ces délabrements n'est triste. La ruine rit en Espagne comme la pauvreté. Des nuées d'enfants nous escortaient en gambadant et tendant la main. D'une fenêtre du clocher nous nous amusions à leur jeter des sous qu'ils attrapaient en se culbutant à terre ou en les saisissant au vol, dans les attitudes les plus grotesques. Nous faisions ainsi de la couleur locale ; ces largesses sont un des usages les plus anciens du pays basque et des Castilles.
FONTARRABIE ALBUM DES DEUX FRONTIERES 1852
Un escalier en bois remplit la cage poudreuse du clocher de Fontarrabie ; avant d'arriver au sommet, on rencontre une balustrade, du haut de laquelle on découvre un admirable paysage. On voit, d'un côté, les vagues bleues de la mer, et de l'autre, les cimes vertes des montagnes. Au-dessus de la tête, et à portée de la main, sont suspendues des cloches qui dorment sous un casque de pierre qui couronne l'édifice.
CLOCHER EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA D'ANTAN
Parmi ces cloches, il en est une vaste comme un bourdon, et sur laquelle Quasimodo eût pu chevaucher tout à l'aise. Elle porte en lettres gothiques une inscription gravée sur un cordon qui borde son orifice. Cette inscription, nous l'avons copiée, et la voici : Plebem voco — Congrego clerum — Defunctos ploro — Pestem fugo — Festa decoro— "J'appelle le peuple ; j'assemble le clergé ; je pleure les morts ; j'éloigne les fléaux, et je suis l'ornement des fêtes."
De la place où nous étions sur la balustrade, la cloche nous dominait. Dans cette position, l'oeil en embrassait l'extérieur et en mesurait l'immense envergure.
Tout à coup, la joyeuse tête d'un enfant se glissa sous cet éteignoir d'airain. Un enfant sous une cloche, quoi de plus simple, direz-vous ; est-ce bien la peine de s'y arrêter. Eh bien ! c'était tout uniment un spectacle plein de charme. C'était un tableau ravissant, que nous recommandons au premier peintre spirituel qui passera par là. Sans l'avoir vu, on ne peut se faire une idée de la poésie, de l'imprévu, de la grâce, et surtout du piquant attrait de cette scène muette.
Cet enfant, le rire aux lèvres, les dents entr'ouvertes, comme le petit mendiant qui mange la pastèque de Murillo, balançait de la main gauche la corde accrochée au lourd battant de cette cloche, pendant que son oeil émerillonné braquait sur nous un regard interrogateur où se lisaient une prière et un défi.
TABLEAU LE MANGEUR DE MELON ET DE RAISIN DE MURILLO VERS 1650
Son geste semblait dire : faites un signe, et je laisse tomber ce battant, je sonne le tocsin et je donne l'alarme à Fontarabie. Voilà le sujet.
Eh bien ! le rapprochement de cet enfant si gai sous cette cloche sérieuse ; cette solennité sainte encadrant cette familiarité mutine ; cette éternité de l'airain (oere perennius) couvrant cette fleur si frêle de l'enfance ; cette physionomie espiègle s'épanouissant sous ce bronze qui pleure aux funérailles ; tout cela saisissait le regard : car de cette opposition jaillissait un contraste agaçant formant un tableau tout fait. Et ce tableau, il ne s'agissait plus que de le traduire sur le papier ou sur la toile pour avoir une des pages les plus heureuses de la poésie et de la peinture.
Pourquoi faut-il qu'un autre enfant nous ait gâté bientôt après le plaisir que nous avait causé celui-là ?
Ce second enfant, je le rencontrai dans une ruelle où je m'étais engagé tout seul pour examiner un vieux marteau de porte cochère.
Le muchacho avait attaché un gros rat par la queue, et il s'amusait à le balancer au bout d'une ficelle, le jetant sous la robe des femmes pour les effrayer ; mais nous devons constater, comme observation de moeurs, que les femmes ne s'effarouchaient guère. Les rats ne sont-ils pas les hôtes familiers de la vieille Espagne ? Quand le gamin fut fatigué de ce manège, il déposa le rat tranquillement à terre, et, lâchant la ficelle à mesure, il fit à la pauvre bête l'illusion de la liberté : Anda a la casa ! lui criait-il en l'excitant : Anda ! anda ! Le malheureux rat, qui ouvrait des yeux de sang et hérissait son poil souillé de boue, s'élançait vers un escalier ou vers un couloir ; mais quand il allait aboutir à quelque trou, son bourreau le retirait brusquement et le rejetait dans le ruisseau.
Ce manège fatigua encore le gamin. Alors il entra dans la boutique d'un menuisier. J'imaginai qu'il allait donner le coup de grâce à sa victime. Je me trompais : il sortit bientôt après de la boutique avec le rat toujours vivant ; mais, cette fois, il l'avait enduit d'une couche de térébenthine."
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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