CONCOURS DE POÉSIE BASQUE À SARE EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1869 (deuxième et dernière partie)
CONCOURS DE POÉSIE BASQUE À SARE EN 1869.
A partir de 1851, Antoine d'Abbadie institue, au Pays Basque, des concours annuels de pelote et de vers basques, dans le cadre des fêtes patronales des communes désignées ou volontaires pour les accueillir, des deux côtés de la frontière.
FETES BASQUES SARE 1867 PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet Jules Vinson, dans la Revue de Linguistique et de Philologie
Il est minuit à l'horloge du pays ; — nulle part il n'y a de lumière sur la terre ; — dans la montagne, rien ne peut être entendu, — si ce n'est le bruit du vent.
Yautsia da loa begietarat ;
choit halere neskatcha gazte bat,
bere leihoan, gau hura bezen triste,
atzarria dago orai arte.
Le sommeil est descendu sur (tous) les yeux ; — seule cependant une jeune fillette, — à sa fenêtre, triste comme cette nuit, — n'est pas encore endormie (1).
Zazpi urthe bethe dire yadanik,
yoanez geroz maitea herritik ;
eta huna urthe bat Mariari
ez diola berririk egorri (a)
Sept années se sont écoulées (2) déjà, — depuis que le bien-aimé est parti du pays ; — et voici une année qu'à Maria — il n'a pas envoyé de nouvelles (3).
Idortean lorea laster histen (b) :
tristezian Maria hiratzen (b) ;
ezpainetan ya hil zayo irria ;
bethea du nigarrez begia.
Dans la sécheresse, la fleur se fane vite : — dans la tristesse, Maria dépérit ; — sur ses lèvres déjà est mort (4) le sourire ; — elle a les yeux (5) pleins de larmes.
Urso batek, galduz geroz laguna,
kantatzeaz eztitzen du phena ;
andregeyak, hegaztia bat iduri,
igortzen (a) 'tu (c) hitz kauk haizeari :
Une palombe, après avoir perdu sa compagne, — par le chant (6) adoucit sa (7) peine ; — la fiancée, semblable à un oiseau, envoie au vent ces paroles :
"Yoan denean, oraino haurra nintzen ;
anaya bat kasik neretzat zen ;
erreztun bat, ait'-amen aintzinean,
eman darot (d), adios erraitean."
"Quand il est parti, j'étais encore enfant ; — il était pour moi presque un frère ; — un anneau, en présence de mes parents (8), — il me donna, en disant adieu."
"Orduz geroz, maiz egiten dut nigar ;
hain eder zen, hain erne, hain azkar !
etzuen, ez (e), mendietan parerik ;
urrundu da... nik ez dut berririk."
"Depuis lors, souvent je pleure ; — qu'il était beau, vif, fort ! (9) — Il n'avait pas, non, d'égal dans les montagnes ; — il s'est éloigné... je n'ai pas de nouvelles (3)."
"Bihotzean duda bat dut sentitzen :
maitea hil beldur naiz othe den ;
nere ama gaitzak niri yoan daut (d) yaz (f),
oinhazeak gabetu nau aitaz."
"Dans le coeur, j'éprouve une inquiétude (10) : — je crains que le bien-aimé ne soit mort ; — la maladie m'a enlevé l'an passé ma mère ; — la douleur (causée par cette perte) m'a privée de mon père (11)."
"Gelditu naiz nere amasorekin ;
sustengatzen gare elgarrekin :
nik gidatzen ditut haren urratsak,
hark chukatzen dait nere nigarrak."
"Je suis restée (seule) avec ma grand'mère ; — nous nous soutenons mutuellement (12) : — moi, je guide ses pas ; — elle, elle sèche mes pleurs."
"Emaiten dut ner', ustea Yaunean (g) ;
indarra dut hartzen othoitzean ;
bainan ez da neretzat zorionik :
maitearen ez baitut berririk."
"Je mets ma pensée dans le Seigneur ; — je prends de la force dans la prière ; — mais il n'est pas de bonheur pour moi : — je n'ai pas de nouvelles (3) du bien-aimé."
Kolpez, borthan yotzen du esku batek,
boz batek dio : "Idekazu, idek !"
andregeya, boz hau ezagutzean,
chutitzen da, ikhara zainetan.
Tout à coup, une main frappe à la porte, — une voix dit : "Ouvrez, ouvrez !" — La fiancée, en reconnaissant cette voix, se lève toute tremblante (13).
Idekitzen du amasok athea :
Mariaren han zagon maitea !
"Oi ! Yaun ona !" et', altchatuz eskuak,
bedeikatzen ditu bere haurrak.
La grand'mère ouvre la porte : — là était le bien-aimé de Maria ! — "Oh ! Seigneur bon !" et, levant les mains, — elle bénit ses enfants.
Iduzkiak argitzen du (h) mendian...
Mari' orai ez da tristezian ;
elizako ezkilek bozki yotzen (b) ;
andregeya egun da ezkontzen.
Le soleil brille dans la montagne... — Maria maintenant n'est pas triste ; — les cloches de l'église sonnent joyeusement ; — la fiancée se marie aujourd'hui.
CONCOURS DE POESIE BASQUE SARE 1867 PAYS BASQUE D'ANTAN
Les mots entre parenthèses ne se trouvent pas dans le texte.
— (1). Litt. : reste éveillée jusqu'à maintenant. — (2). Litt. : sont pleines. — (3). Litt. : de nouvelle. — (4). Litt. : dans-les-lèvres déjà mort lui-est. — (5). Litt. : l'oeil. — (6). Litt. : par le chanter. — (7). Litt. : la peine. — (8). Litt. : des père-mère. — (9). Litt. : combien beau il était, combien vif, combien fort ! — (10). Litt. : je-le-sens un doute. — (11). Litt. : du père. — (12). Litt. : nous nous soutenons avec-les-deux : ou, avec-l'un-l'autre. — (13). Litt. : se met debout, le tremblement dans les nerfs.
Notes grammaticales :
(a). igortzen, egorri. Remarquez la variation de la voyelle initiale. — (b). histen, hiratzen yotzen. L'auxiliaire est sous-entendu. C'est une licence fréquente dans les chansons basques. — (c). 'tu pour ditu. Abréviation très communément employée dans la conversation ; les écrivains modernes ne la conservent pas dans leurs écrits, mais voyez la deuxième édition d'Axular (Bordeaux, s, d., 1650 ?). Remarquez ici la faute labourdine : ditu "il les a" est pour diotza ou diozka "il les a à lui" — (d). darot ; daut. C'est la même forme ; daut seul est employé dans la conversation ; darot est théorique, mais tous les Basques, même les moins lettrés, la tiennent pour réelle et authentique — (e). Cette répétition est très familière aux Basques ; en parlant français, ils diront toujours par exemple : "je ne suis pas malade, non" ou "il voulait, oui". — (f). yaz suivant les dialectes varie en chaz et igaz, cf : port. chegar, esp. llegar. — (g). Cette forme de locatif n'est pas employée ici correctement ; comme il s'agit d'une personne il eût fallu dire yaunaren baithan. — (h) argitzen du, sans régime déterminé. Expression très basque.
En basque, le tutoiement existe à toutes les personnes ; c'est-à-dire que toutes les formes verbales sont susceptibles de 4 modifications différentes que M. l'abbé Inchauspe appelle les traitements indéfini, masculin, féminin et respectueux ; ces 3 derniers sont appelés par le prince Bonaparte formes allocutives. Le second ou le troisième s'emploie lorsqu'on veut adresser familièrement la parole à un homme ou à une femme ; c'est là le tutoiement basque. Ainsi un émigrant dira à sa fiancée : dirua irabaziko dinat, eta gero ezkonduko gaitun, "je gagnerai de l'argent et nous nous marierons ensuite", et elle lui répondra : bainan itsasoa traidorea duk ? "mais la mer est traîtresse ! Ainsi, le sexe de la personne à laquelle on parle détermine l'emploi des formes masculines ou féminines.
Le traitement indéfini est généralement usité ; les Basques ne connaissent pas tous les trois autres qui servent très peu. Et même le labourdin, le guipuzcoan et le biscayen ne possèdent pas le respectueux en dehors de la seconde personne du singulier ; un autre dialecte au contraire n'a pas d'indéfini ; le respectueux est usité à sa place. Dans tous les dialectes, la seconde pers. du pluriel n'a que de l'indéfini ; la seconde pers. du singulier a un respectueux qui n'est probablement que le pluriel indéfini ancien : cette seconde pers. du singulier n'a souvent ni masculin ni féminin : c'est à tort en effet selon moi que M. Inchauspe ne voit pas des indéfinis dans haiz, huen, bahu, hezake, etc. : il y voit e formes à la fois masc. et fem., sans indéfini."
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