LA PIÈCE DE THÉÂTRE "RAMUNTCHO" EN 1908.
"Ramuntcho" est une pièce en 5 actes et 12 tableaux, écrite par Pierre Loti et représentée pour la première fois au Théâtre de l'Odéon, le 28 février 1908.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Comoedia, le 1er mars 1908, sous la plume de Louis
Schneider :
"Théâtre National de l'Odéon.
Ramuntcho.
Pièce en 5 actes et 10 tableaux de M. P. Loti, de l'Académie française, musique de M. Gabriel Pierné.
"... Vargas (Arrochka, le frère de Gracieuse), sans posséder le naturel d'Alexandre, donne très consciencieusement à son rôle le caractère que l'auteur a souhaité par opposition avec celui de Ramuntcho ; il doit, en effet, représenter le Basque qui fait consister son point d'honneur dans des contingences, dans des extériorités fanfaronnés, telles que la contrebande et le jeu de pelote. Il est loin d'avoir la sensibilité de Ramuntcho. M. Vargas a mis cette physionomie en valeur.
Bernard joue Itchoua ; c'est le vieux Basque, le contrebandier impénitent. Bernard donne bien l'allure rugueuse, âpre, même vile, qui convient à ce personnage ; il était du reste, servi par son organe rocailleux.
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PORTRAIT DE LEON BERNARD EN 1909 PAR A. L. BOISSELIER |
Mosnier est tout à fait remarquable dans le curé d'Etchezar. Voilà un artiste qui compose ses rôles avec un soin attentif, qui les varie avec une remarquable souplesse. Là il a réalisé un type de curé enfant du pays, qui n'admet pas le péché de contrebande même au nombre des péchés véniels ; au besoin, il brouillerait l'Eglise avec la Douane.
Le vicaire, c'est Rollan, qui a l'allure dégagée ; on ne peut guère demander plus à ce rôle qui nous montre un jeune ecclésiastique jouant à la pelote avec les gens du village.
Grétillat paraît dans Florentino ; on le voit à l'acte de la Cidrerie, puis dans l'exercice de ses fonctions de bouvier au dernier acte ; il s'est fait une physionomie simple et naïve.
Desfontaines joue sèchement et de façon conventionnelle le Basque qui revient d'Amérique.
Maupré est élégant dans le jeune touriste parisien. Je ne peux que citer Degeorge et sa rondeur qui est pour la circonstance telle d'un vieux contrebandier. Mitrecey (un Vieux assez pittoresque), les deux douaniers Fabre et Dullin, et de Guingand un joueur. Ce sont là de quasi figurations avec 2 ou 3 répliques ; mais il suffit de citer ces listes pour montrer qu'à l'Odéon on ne sacrifie pas les petits rôles.
Venons maintenant à l'interprétation féminine.
Mlle Sylvie était l'artiste toute désignée pour jouer Gracieuse ; son tempérament doucereux, fait de grâce mièvre et de charme nuageux, s'adaptait à ce personnage apathique et de cire molle. Elle a montré une émotion discrète et dosée selon les principes du métier ; peut-être aurait-on souhaité plus de diversité aussi dans l'expression du bonheur que doit montrer Gracieuse, cette amoureuse platonique et pure. Mlle Sylvie a pourtant mieux indiqué la dernière phase de son rôle ; dans la scène du couvent, elle a montré une douleur farouche en son intensité, sous un masque impassible.
Je ne ferai qu'un reproche à Mme Dux : elle ne s'était pas assez vieillie pour représenter Franchita, la mère de Ramuntcho ; cela n'a pas empêché l'excellente artiste de jouer de façon impressionnante la scène de l'agonie de la pauvre mère qui attend pour expirer le retour de son fils.
Mlle Grumbach a composé avec bonhomie et avec finesse le personnage de la supérieure du couvent d'Amesqueta.
Luce Colas a réussi avec son talent habituel la silhouette de Pilar, la vieille voisine dévouée.
Gabrielle Fleury ne fait que passer dans le personnage antipathique de Dolorès Detchary, la mère de Gracieuse ; c'est un rôle qui plus d'importance sur l'action que dans ses développements.
Mlles Kerwich, Taillade et Darsenne apparaissent sous la cornette de religieuses. Mlles Ludger, Guéneau, Lukas, Cécile Didier et Paz Ferrer se montrent sous la coiffe catalane ; Mlle Marley joue madame Salaberry, la tenancière d'une auberge. Là encore, la figuration est confiée à de vraies artistes.
J'allais oublier trois nouvelles recrues qui ont débuté avec leur tempérament spécial : deux boeufs placides, se souvenant impassiblement d'un passé peut-être brillant, et un chat nerveux, implantant ses griffes apeurées dans la chemise de Ramuntcho puis de Arrochkoa.
La mise en scène. Les décors.
La mise en scène de Ramuntcho tient véritablement du prestige ; elle matérialise avec une fidèle exactitude tout ce que le roman nous avait décrit ; elle précise ce que notre imagination avait rêvé à la lecture. Elle est, à vrai dire, plus importante que la pièce, puisqu'elle est chargée de traduire une des parties les plus marquantes du livre.
Antoine a fait de la mise en scène de Ramuntcho quelque chose d'étonnamment réaliste et il a en même temps idéalisé le pittoresque du pays basque et de ses habitants. Tout cela est harmonieux ; les coins curieux et les habitudes locales sont mis en lumière avec l'art qui présiderait à la composition d'un tableau. Il y a un véritable travail d'artiste, de peintre, dans le groupement de personnages, dans le choix des couleurs de costumes, dans les effets d'éclairage. Là c'est, par exemple, sur la place d'Etchezar, une ombrelle rouge qui tache de sa tonalité crue la foule bigarrée ; ailleurs c'est, dans le jardin de Gracieuse, quelques tournesols qui font flamboyer l'or de leurs pétales parmi les roses. Tout cela, c'est mieux que de la mise en scène, c'est du goût, c'est du grand art.
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PHOTO D'ANDRE ANTOINE PAR CHARLES REUTLINGER VERS 1900 |
Les décors de Jusseaume ne sont pas pour peu dans cette admirable réalisation du pays basque. Ce sont autant de tableaux de maître transportés sur la scène de l'Odéon.
Le porche de l'église au premier acte où l'on aperçoit la place ensoleillée, les tables de l'auberge, avec cet admirable fond de montagnes ouatées d'atmosphère bleue et de flocons de nuages, est un simple chef d'oeuvre ; à gauche, des enfants jouent dans le cimetière, insouciants du mystère de la mort. Puis des joueurs de mandoline jouent et chantent des airs du pays, des petites filles dansent en un gracieux balancement tandis que les hommes boivent du cidre. C'est, par le décor, la vie d'un village pyrénéen mise à notre portée.
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ACTE I 2EME TABLEAU PLACE D'ETCHEZAR PIECE DE THEATRE RAMUNTCHO 1908 |
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