LES "COLLABORATEURS" DE PIERRE LOTI EN 1900.
Dans son oeuvre littéraire, Pierre Loti s'est inspiré de nombreux écrivains du Pays Basque.
PIERRE LOTI ET SON CHAT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Temps, dans son édition du 30 septembre 1900,
sous la plume de Gaston Deschamps :
"La vie littéraire.
Les collaborateurs de Loti.
La Tradition au pays basque : Les Basques ont-ils une histoire ? par Adrien Planté, président de la Société des sciences, lettres et arts de Pau.
— Basques d'autrefois, par Alexandre Nicolaï, avocat à la cour d’appel de Bordeaux.
— Coutumes morales du pays basque, par Berdeco.
— Les coutumes successorales du pays Basque, par Louis Etcheverry.
— L'idée religieuse dans la famille basque, par Carmelo de Echegaray.
— La contrebande au pays basque, par Clément Hapet, membre du conseil d’arrondissement de Bayonne.
— Recherches historiques sur les corsaires de Saint-Jean-de-Luz, par E. Ducéré, sous-bibliothécaire de la ville de Bayonne.
— Les pastorales basques, par Wentworth Webster.
— Les mascarades souletines, par J.-D.-J. Sallaberry, notaire et conseiller d'arrondissement de Mauléon.
— Proverbes, sentences et dictons basques, par l'abbé Haristoy, curé de Ciboure.
— La musique populaire des Basques, par Charles Bordes, directeur des Chanteurs de Saint-Gervais.
— Quelques légendes poétiques du pays de Soule, par Jean de Jaurgain, publiciste à Mauléon.
— La langue basque, par Arturo Campion, ancien député de Pampelune.
— Antoine d’Abbadie, par Charles Petit, conseiller à la Cour de cassation, 1 vol. in-8°, Paris, Gougy, 1899 ; etc.
Cf. Les Basques et le pays basque, par Julien Vinson, 1 vol. in-12, Paris, Cerf.
LIVRE LES BASQUES ET LE PAYS BASQUE PAR JULES VINSON |
... M. d’Abbadie, passionné pour toutes les choses basques, avait entrepris de stimuler par des concours de poésie le lyrisme de ses compatriotes. Il encourageait ces improvisations où excelle, dans l’allégresse des jours de fête, après une copieuse libation de cidre doux, la verve des trouvères de Sare ou d’Espelette. Parmi les poètes-lauréats de la Biscaye, on cite M. Casal y Otéguy, de Saint-Sébastien, champion espagnol, et M. l’abbé Bécas, curé de Bidart, champion français. Quelques-unes de leurs strophes, couronnées aux fêtes de 1897, ont été recueillies dans le livre de la Tradition basque. Malheureusement, je ne puis les comprendre et je ne veux pas les juger d’après une traduction.
Les premiers improvisateurs de la contrée, les plus recherchés et les plus applaudis sont : Çubiat Iribarne (qui, au concours de 1897, a gagné, en une demi-heure, 60 francs avec sa langue) et son concurrent Duhaldebehère, titulaire du second prix (20 francs). On cite aussi Erguy, de Mendive, et Larramendy, de Lecumberry, L’énoncé de ces noms fréquemment glorifiés dans les palmarès locaux, indique suffisamment que tout cela est loin, très loin de nous... Loti a suivi son penchant d’exotisme, lorsqu’il a écouté, aux fêtes d'Ascain ou de Sare, les dialogues de ces improvisateurs basques. Quand ces orateurs montent sur les planches, on les partage en deux camps, comme une équipe de joueurs de pelote, et on leur donne deux thèmes contradictoires à développer tour à tour. Tels, les bergers des églogues virgiliennes charmaient la longueur des heures, en modulant des versets alternés. Au concours de 1897, Iribarne, Duhaldebehère, Erguy et Larramendy vantaient, à tour de rôle, les plaisirs de la ville et les joies de la campagne. C’était la fable du rat de ville et du rat des champs, mise en scène et en dialogues.
FABLE LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS DE JEAN DE LA FONTAINE |
— Moi, disait l’un, je vois des belles maisons, bâties en pierres de taille.
— Moi, répliquait l'autre, je vois de jolies métairies, blanchies à la chaux, très avenantes avec leurs gerbes de maïs, qui sèchent au balcon et les guirlandes de piments rouges qui pendent aux fenêtres.
— Je porte un chapeau de feutre et des souliers bien cirés.
— J’aime mieux mon béret de laine et mes espadrilles de corde.
— J’ai l’Adour à Bayonne.
— J’ai une claire fontaine, à l’ombre d’un platane, à mi-côte de la Rhune.
— Je vais au café, boire de la bière.
— La belle affaire, si l’on aime mieux le cidre !
— Je mange des biftecks aux pommes. Je m’en pourlèche les babines.
—Et moi, la ménagère m’accommode des chipiroles à la sauce noire. Oh ! que c’est bon ! Rien que d’en parler, l’eau me vient à la bouche.
— Après dîner, reprend le citadin, je joue aux cartes, je cause, au coin du feu...
— Et moi, riposte le villageois, j’aime mieux la pelote, le jeu au soleil, le jeu basque, le jeu fier qui fait sauter et courir, depuis des siècles, les lestes et les vigoureux...
Et ainsi de suite. Une fois lancés, les improvisateurs basques ne sont pas faciles à retenir. Ils vont, ils vont, d’une allure impétueuse et vaillante. Si la montre du jury, pareille à la clepsydre des orateurs antiques, n’imposait des limites à leur surabondance oratoire, ils parleraient sans désemparer, jusqu’à la nuit tombée. Chaque interlocuteur est un "caquet-bon-bec", qui ne veut rien céder à son partenaire. La thèse et l’antithèse, ingénieusement présentées, se succèdent, s’opposent en des surprises d’escrime, que pourraient envier nos plus brillants avocats. Rien n'est plus amusant que cette "conférence Molé" en plein air. Malheureusement, pour nous autres étrangers, la meilleure part de cette commedia dell'arte est lettre close. Nous n’avons que le spectacle extérieur. Nous ne pouvons apprécier que la mimique des orateurs et des auditeurs. Ceux-ci manifestent joyeusement leur plaisir ; ils rient à gorge déployée ; ils battent des mains lorsqu’un des deux combattants a triomphé de son adversaire et lui a, comme on dit, "rivé son clou". Le vainqueur, alors, reste grave au milieu des acclamations et des hilarités. Sa face rasée ne décèle aucun émoi. La popularité ne le grise point. Il touche le prix de sa victoire avec beaucoup de bonne grâce et de dignité.
BERTSOLARIS A MONDRAGON GUIPUSCOA 1896 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En somme, ce sont là des divertissements élégants et spirituels, qui dénotent la finesse native de cette race. Avoir du temps à dépenser en amusettes ingénieuses, c’est un signe d’aristocratie. Le peuple basque est une aristocratie champêtre. La Biscaye française est un pays où il n’y a pas de paysans.
M. d’Abbadie, attentif à conserver tous ces titres de noblesse, s’appliquait aussi à sauver du naufrage les vieilles chansons et les vieilles danses du pays basque, menacées par les refrains des bouis-bouis et par les polkas des bals publics. Il préférait la flûte d’érable, la chirola, très douce et très gaie, au tonitruant bugle ou au cornet à pistons. Le tambourin de Gascogne lui plaisait. Il ne dédaignait pas la gaïta, flageolet en cuivre aux sons aigus et stridents, ni la manjureta, sorte de corne à bouquin, dont les sons se prolongent, le soir, d’écho en écho, dans les hauts pâturages. Amoureux de toutes les musiques qui semblent être la voix et, pour ainsi dire, l’expression sonore de ses montagnes natales, il guettait, dans le loger souffle des brises, le carillon des clochettes lointaines, qui annoncent les troupeaux errants sur les sommets. Il craignait surtout que ses compatriotes ne perdissent la tradition de l’irrintzina.
L’irrintzina, c’est le cri de guerre par lequel les Vascons et les Cantabres avaient coutume de se rallier pour les batailles d’autrefois. C’est ce cri, sans doute, qui se répercuta d’écho en écho, jusqu’au val de Roncevaux, en cette jour née sinistre où Roland vit les Basques terribles se précipiter sur sa cavalerie à travers les ravins d’Altabiscar.
L'irrintzina ne sert plus guère qu’aux contrebandiers. Loti a entendu l'irrintzina et a noté les moindres sonorités de cet appel farouche :
Un cri s’élève, suraigu, terrifiant ; il remplit le vide et s’en va déchirer les lointains... Il est parti de ces notes très hautes qui n’appartiennent d’ordinaire qu’aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage ; il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d’humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d’angoisse qu’il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur... Il avait commencé comme un haut bramement d’agonie, et voici qu’il s’achève et s’éteint en une sorte de rire, sinistrement burlesque comme le rire des fous.
Et c’est simplement l'irrintzina, le grand cri basque, qui s’est transmis avec fidélité du fond de l’abîme des âges jusqu’aux hommes de nos jours, et qui constitue l’une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri d’appel de certaines tribus peaux-rouges dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion et l'insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu des solitudes du vieux monde, hurlaient des hommes au gosier de singe.
L’Académie des sciences, le Bureau des longitudes et le pays basque ont perdu M. d’Abbadie en 1897. Quelques semaines après sa mort, on grava une inscription en son honneur sur une pierre de la mairie de Sare, à côté d’une autre épigraphe qui commémore les sentiments d’estime qu’éprouvait le roi Louis XIV envers ses fidèles sujets de Biscaye :
Antonio Abbadiari
Eskual Herriaren
Orhoitzapena
Agorrilaren 19an 1897an
A M. Antoine d'Abbadie
— Souvenir du Pays basque.
19 août 1897.
ANTOINE D'ABABDIE D'ARRAST |
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