WENTWORTH WEBSTER AU PAYS BASQUE.
Wentworth Webster, né le 16 juin 1828 à Uxbridge, en Angleterre et mort le 2 avril 1907 à Sare, en Labourd, est un prêtre anglican, collecteur des contes traditionnels du Pays Basque, érudit de langue anglaise, française et basque.
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WENTWORTH WEBSTER PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire La Côte basque : revue illustrée de
l'Euzkalerrria, le 25 janvier 1925 :
"Basques. Extraits de l’ouvrage du Révérend Wentworth Webster.
Les Loisirs d’un Etranger au Pays Basque (Suite).
"... On compte en Europe six cent mille personnes qui parlent l'escuara : sur ce nombre, cent vingt à cent quarante mille habitent la France, et quatre cent mille l’Espagne. Des milliers d’émigrés Basques se sont établis dans l’Amérique du Sud, et sont généralement répartis entre les Républiques Argentine et Orientale. Mais la langue, comme la nation elle-même, n’est plus qu’un débris de ce qui fut jadis, et le débris lui-même se partage en huit dialectes principaux : le labourdin, le souletin, le bas-navarrais-oriental, le bas-navarrais occidental en France ; en Espagne, le bas-navarrais du Nord, le bas navarrais du Sud, le guipuzcoan et le viscayan. Le prince L.-L. Bonaparte en a fait dresser d’admirables cartes géographiques où il délimite leurs sous-dialectes mêmes.
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CARTE DES SEPT PROVINCES BASQUES 1863 PAR LOUIS-LUCIEN BONAPARTE |
La population basque est une des plus belles de l'Europe. Quoique son langage indique probablement une origine non aryenne, elle ne le cède en rien pour la majesté du port et la régularité des traits, aux plus beaux types de la race indo-européenne. J’ai déjà parlé des caractères physiques des crânes basques. Les Escualdun sont en général de taille moyenne, plutôt grands que petits, sveltes, élancés, vigoureux, d’une agilité surprenante. A la course, à la danse ils n’ont pas de rivaux. Il n’y a guère de meilleurs marcheurs.
Ils s’adonnent aux exercices athlétiques, et souvent la force musculaire des femmes est bien au-delà de ce qu’on pourrait attendre de la délicate élégance de leur corps. L’amusement favori des Basques est le jeu de paume, dont on connaît trois variétés distinctes : la balle est beaucoup plus lourde que celle dont on se sert dans les autres pays et demande non moins de vigueur que de souplesse pour être lancée à la distance requise. Il faut les voir à un de leurs jeux de "pelote à la longue" surtout quand la lutte prend un caractère international et a lieu de Basques français à Basques espagnols. D’autres fois, on s’amuse à jeter le plus loin possible une grosse barre de fer (la palenka), puis vient le saut, l’escrime au bâton ferré (le makilla).
De même que chez les anciens Grecs, la danse est tenue en haute estime et pratiquée avec un sérieux remarquable par les hommes surtout. Ce n’est plus une simple distraction, un amusement de jeunesse, mais un exercice viril, un juste sujet d’orgueil pour ceux qui y excellent. Tous les pas sont réglés, les gestes déterminés d’avance. Villages et cantons se disputent la gloire de posséder les meilleurs danseurs. A la fin d’une pastorale — j’expliquerai ce mot tout à l’heure — les acteurs mettent à l’enchère et vendent à beaux deniers comptants le droit aux représentants de communes voisines de paraître les premiers sur l’estrade pour y commencer le saut basque, la danse favorite des Escualdun français, avec celle des "Satans", une variété de la jota aragonaise. Les Basques espagnols préfèrent "l’Espata Danza", la danse à l’épée, "l’Aurrescu" ou Zorzico, et d’autres branles solennels, en usage aux fêtes locales. Les danses les plus anciennes, le saut basque et "l’Ezpata Danza" par exemple, sont exécutées par des hommes. Les femmes ne figurent que dans celles dont l’origine est plus récente.
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SAUTS BASQUES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais tout passionné qu’il est pour les exercices du corps, le Basque, même ne sachant ni lire ni écrire, même réduit à sa seule langue maternelle, n’est point abandonné à une complète ignorance. Il a ses goûts littéraires et artistiques, et si les rimes imprimées sont pour lui lettre close, il est à la fois poète et rhapsode ; il improvise des vers, il sait par cœur des chansons sans fin ; sa mémoire est fournie de contes et légendes. Bien plus, le Pays Basque est une des rares contrées où le théâtre populaire du moyen âge s’est continué sans interruption jusqu’à nos jours. La Bretagne ne le connaît presque plus. Tous les dix ans en Bavière, on représente le "Passion-spiel" devant un immense auditoire d’étrangers, mais le drame de l'"Ober-Ammergau" est plutôt une œuvre de dévotion, une cérémonie religieuse qu’un divertissement populaire. Au contraire, dans les villages de la Soule, le théâtre est la plus goûtée des distractions. Les "Pastorales" ou mieux les "tragédies" se jouent chaque année aux grandes fêtes du printemps et de l’été. Rien de plus primitif que la scène. Construite à ciel ouvert, sur la grande place, elle ne se compose que de planches assujetties sur des barriques dressées ; au fond, un rideau de toile ; à droite l’entrée des "bons" (les bleus) ; à gauche, celle des "méchants" (les rouges) ; un pantin de bois représente "l’idole des païens" ; deux ou trois musiciens du pays forment l’orchestre. Les pièces tirées de la Bible et des Vies des Saints, ou bien des contes et légendes de la littérature populaire française, ont été mises en vers par l’instituteur ou le poète de l’endroit. Mais, — et c’est en cela que consiste souvent toute l’originalité du drame euskarien, — l’on a toujours eu soin d’y intercaler un chœur de "Satans" plus un "Roi des Turcs" avec ses affidés. Toute la pièce récitée sur le même ton, accompagnée d’une musique lente et solennelle pour les bons, de plus en plus précipitée pour les méchants, se termine invariablement par l’air et danse des Satans, qui tiennent le rôle principal dans toute la pastorale basque. La tragédie compte de trois mille à sept mille lignes rimées, et parfois ne demande pas moins de neuf heures pour être jouée toute entière. En ces temps dégénérés, il est vrai, on y fait d’assez larges coupures. Les rôles sont nombreux, rarement moins de douze, et peuvent aller jusqu’à la soixantaine.
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DANSE DES SATANS PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais comment décrire l’hétéroclite mélange des éléments divers qui entrent dans le costume des acteurs ? Les uniformes fanés, empruntés au douanier ou au gendarme en retraite, la défroque du lycéen, ou l’habit officiel du sous-préfet contrastent avec la culotte en velours, la jupe à l’avant-dernière mode de Paris ; la couronne de clinquant rouge, surmontée de plumes ou de fleurs artificielles, fabriquée par la couturière de l’endroit, étincelle auprès du chapeau à claque. Le costume des Satans, fait d’après les anciens usages du pays est toujours fort joli. Aux coins de l’estrade, quatre gardiens improvisés armés de vieux fusils à pierre, maintiennent l’ordre dans l’assistance, et tirent de grands coups de feu quand un héros tombe ou qu’une bataille à lieu. Les épées et les cannes qui les remplacent s’entre-choquent dans les combats en marquant l’air joué par l’orchestre. Un drap blanc, roulé sur un coin de la scène et étendu à la hâte sur le plancher au moment des très nombreuses catastrophes d’une tragédie, sert à recevoir les morts et à préserver de la poussière les beaux uniformes prêtés pour l’occasion.
Tous les morceaux sont appris par cœur, souvent par des gens, qui ne savent pas lire, et la tâche de les leur loger dans la cervelle occupe en hiver les veillées de la ferme. A la représentation les deux sexes ne sont jamais mêlés. Généralement la tragédie est jouée par des hommes seuls, parfois par des jeunes filles. Comme partout avant le XVIIe siècle, les rôles de femmes sont remplis d’une façon admirable par les jeunes garçons. Les fillettes ne réussissent pas aussi bien armées du sabre des héros.
Les Basques célèbrent le carnaval par des mascarades ou charivaris sorte de pantomime, de procession dramatique où les hommes représentent divers animaux ou caractères typiques du pays. On y conserve, avec leur musique propre, des danses traditionnelles, des danses qui demandent la force et l'adresse des jarrets fameux du canton ! Les plus renommées sont la danse du cheval "zabalçain" et la danse de l’ours (hartza) ; la première vaut la peine d’être vue.
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CARNAVAL ITURREN NAVARRE
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Après les pastorales et les mascarades viennent les concours poétiques, où seulement on donne un prix au meilleur des poèmes composés d’avance par les rivaux, mais ou les "coplaçari" (improvisateurs) luttent à qui mieux ou plus vite trouvera des vers sur un thème donné. Leur langue se prête merveilleusement à toute sorte de rimes, on en entasse parfois jusqu’à vingt ou trente sur la même finale. Voilà tout ce qui, avec quelques livres de dévotion et les prônes de l’Eglise, constituait autrefois la vie littéraire des Basques et donnait satisfaction à leurs goûts intellectuels.
Aujourd’hui l’enseignement régulier se répand de plus en plus, et les Escualdun entrent dans le grand courant de la science européenne. Les enfants basques ont l’esprit vif et ouvert, ils apprennent avec une facilité surprenante ; pourtant ils ne dépassent guère une certaine limite. On trouve assez de noms viscayens parmi les poètes et les dramaturges de l’Espagne, mais excepté Ercilla, l’auteur de l'"Araucanie", aucun ne marche en tête de ses contemporains : de même pour les diverses branches de la science, la navigation surtout. Ils font des marins actifs, intelligents, intrépides. Le Basque El Cano fut le seul survivant des officiers du Magellan, le premier à achever le tour du monde : Primus me circumdedisti sur un globe, sont les armoiries de sa famille. Très braves, bon soldats, ils ont rarement le génie militaire ; ils fournissent d’admirables officiers aux flottes de la France et de l’Espagne et aux armées des brigadiers excellents, mais pas un d’entre eux n’a emporté d’assaut le commandement suprême. Le maréchal Harispe, Zumalacarreguy dans la première guerre carliste, l’amiral Jauréguiberry dans la campagne de 1870-71, sont presque les seuls qui se soient fait une réputation européenne.
Il est néanmoins deux grands faits, ou pour mieux dire deux grandes institutions à porter à l’actif des Basques : par la première ils se sont rattachés au mouvement général, ils ont exercé et exercent encore une influence majeure ; dans la seconde, ils ont montré un génie pratique vraiment digne de tous les suffrages, je veux parler du jésuitisme et de l'administration locale de leurs "Fueros".
Sous quelque aspect qu’on l’envisage, le Jésuitisme restera toujours un produit essentiel de l’esprit basque. Ignace de Loyola et François Xavier furent par excellence des types basques. Le second possédait au haut degré le charme personnel qui se rencontre si souvent chez les jeunes hommes du pays. Le mysticisme du premier, sa puissance d’absorption dans l’idée, sont encore communs parmi eux. Le seul caractère quelque peu distinctif de leur poésie est l’emploi fréquent de l'allégorie, une grande propension à présenter les idées abstraites sous des formes concrètes,— trait principal des "Exercices spirituels de Loyola". "Qui dit Basque, dit catholique" est proverbe déjà ancien chez eux. Quoique le plus précieux joyaux de leur littérature soit le Nouveau Testament traduit par le protestant Liçarrague et imprimé en 1571 à La Rochelle, sous les auspices de Jeanne d’Albret, il n’en est pas moins vrai qu’ils se cramponnent à la religion catholique romaine, avec la même ténacité qu’ils s’attachaient autre fois au culte Païen. A eux par Loyola et J.-François Xavier, revient l’honneur d’avoir conçu et organisé la contre-réforme en Europe et prolongé ainsi de plusieurs siècles l’existence de la papauté. Mais, tout dévoués qu’ils sont à ce qu’ils croient la vérité religieuse, les basques sont rarement bigots, et dans le domaine politique, ils n’ont jamais courbé la tête sous le joug du clergé."
A suivre...
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