L'ABBÉ ETCHART DE SAINT-ÉTIENNE-DE-BAÏGORRY EN 1914.
En novembre 1914, l'abbé Etchart, Curé-Doyen de Saint-Etienne-de-Baïgorry se retrouve au tribunal pour un sermon prononcé dans son église.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La Dépêche, dans plusieurs éditions :
- le 8 octobre 1914 :
"La situation.
Nous avons reçu de M. l'archevêque d'Auch une longue lettre dont il nous demande, au nom de la loi, l'insertion à la place même où, le 2 octobre, nous avons reproduit certaines de ses paroles, à tout le moins imprudentes et certainement trop passionnées. L'honorable prélat est bien exigeant. Que dirait-il si nous envahissions la chaire quelque jour où il aurait le projet d'y prêcher ? Mais nous voulons être bons princes. Nous publierons intégralement la riposte de l'archevêque d'Auch, trop heureux si la censure, une fois indulgente, ne trouve rien à y retrancher. Voici la missive archiépiscopale :
"I. Vous vous armez surtout d'une phrase tombée de ma plume. Vous auriez dû, pour être plus exact, dire que la communication d'où elle est tirée, nullement destinée à la chaire, était strictement réservée à mon clergé. Il aurait fallu surtout ne pas la tronquer. Je transcris, en soulignant ce qui lui donne sa véritable note et que vous avez eu le tort de taire : "On a beau se dire que les prêtres seront providentiellement des sauveurs au milieu de leurs frères. Des sauveurs, on en aurait eu de volontaires plus qu'il n'en eût fallu... Ah ! puisse ce crime ne pas peser trop lourdement dans la balance divine ! Nous le demandons avec un coeur qui, si endolori qu'il soit par l'injustice, entend ne le céder à personne en patriotisme le plus ardent et le plus filial pour notre chère France."
J'ai voulu :
1. Rappeler le fait d'une immunité que l'Etat lui-même a reconnue longtemps au prêtre comme à l'instituteur, immunité que s'arrogent encore à cette heure tant de vos amis que vous connaissez bien ;
2. Affirmer le droit à cette immunité, pour les prêtres qui servent le pays autrement que par les armes ;
3. Me faire le garant de mes frères en disant que, malgré cette immunité, ils se fussent levés, légion volontaire, pour défendre la Patrie.
II. Vous ajoutez un mot, le plus cruel de tous, auquel n'aura souscrit aucun de vos lecteurs, s'il lui reste une lueur de sincérité. "On se demande si la foi ne fait pas oublier la patrie." Ont-ils donc oublié la patrie ces généraux, ces officiers si nettement chrétiens, qui forcent votre admiration ; ces soldats qui, pour raviver leur courage, se sont presque tous agenouillés devant nos autels ; ces curés fusillés par l'ennemi en haine de la France ; ces prêtres-soldats, dont beaucoup sont morts pour la France ou souffrent joyeusement pour elle ; ces infirmiers-prêtres dont les chefs proclament l'intelligent dévouement ; ces missionnaires accourus de bien loin pour répondre à l'appel du pays ; ces religieux revenus d'un cruel exil pour faire leur devoir ; ces soeurs hospitalières frappées par les boulets prussiens au chevet des blessés ; ces religieuses impatientes de travailler et qui se plaignent de ne pouvoir assez se dépenser pour nos blessés... Est-ce que la foi chez ces admirables ouvriers, gène le patriotisme ? Ou bien est-elle sa meilleure inspiratrice, et son plus solide soutien?...
III. Vous terminez par une injure qu'à la réflexion vous aurez regrettée. Comme il me serait facile de prendre ici l'offensive ! Mais je ne veux pas être de ceux que flétrit courageusement l'un des vôtres : "C'est le moment, dit-il, que choisissent, en pleine lutte, en pleine angoisse, je ne sais quels imbéciles pour épancher je ne sais quelles calomnies." (Pierre Mille). Non, monsieur, nos cloches ne sonneraient pas le carillon si l'Allemand entrait dans nos villages ; si elles sonnaient, ce serait pour le tocsin, et nous serions des premiers à courir sus à l'ennemi !...
Espérons ensemble qu'elles ne sonneront que pour le Te Deum de la victoire, et ce chant sortirait plus joyeux de nos cœurs si, en remerciant Dieu d'avoir chassé l'ennemi du dehors, il nous ramenait conquis celui du dedans. Commet nous nous embrasserions tous dans une étreinte fraternelle !...
Veuillez agréer...
— Ernest Ricard, archevêque d'Auch."
EGLISE SAINT-ETIENNE-DE-BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
La lettre de M. l'archevêque d'Auch est, en somme, assez mesurée dans la forme et constitue presque un acte de contrition.
Mais pourquoi diable, met-elle en cause — impertinence gratuite ! — certains de nos amis qui s'arrogent "une immunité que l'Etat lui-même a reconnue". Qu'est-ce que cela veut dire ? Et quels sont ces amis ? Précisez, monseigneur ! Précisez ! Et, en attendant que vous l'ayez fait, laissez-nous appeler votre attention sur la gravité des derniers mots de votre lettre. "Ce chant (le Te Deum) sortirait, dites-vous, plus joyeux de nos cœurs si, en remerciant Dieu d'avoir chassé l'ennemi du dehors, il nous ramenait conquis celui du dedans." Voilà le bout de l'oreille, l'aveu d'une propagande que nous sommes heureux d'avoir dénoncée, parce qu'elle risquait de jeter la division entre les Français, à l'heure où l'union est plus que jamais nécessaire.
L'abbé Etchart, curé de Saint-Etienne-de-Baïgorry, tient lui-même à déclarer qu'il n'a jamais souhaité l'anéantissement total de la France. (Semitia !) Il nous écrit :
"Monsieur,
La Dépêche du 2 octobre, parlant d'un de mes sermons, m'accuse d'avoir souhaité "l'anéantissement", la "disparition" de la France.
C'est là un odieux, un abominable travestissement de mes paroles et de ma pensée. Car, après avoir affirmé que nous étions coupables devant Dieu, toute la suite de mon discours allait à assurer que le Dieu miséricordieux que nous allions prier donnerait la victoire à la France. Je m'efforçai de jeter dans le cœur de mon auditoire des espérances invincibles, tout en exaltant le patriotisme de nos armées. Et c'est cela que votre correspondant n'a pas dit.
Mieux informé, vous auriez su que tout ceci n'est que la suite d'une misérable querelle électorale que les tristesses de l'heure actuelle n'ont pu arrêter.
Je fais appel à votre patriotisme et à votre loyauté pour l'insertion de cette rectification et de ma protestation dans le plus prochain numéro de la Dépêche.
Recevez, Monsieur, etc ..
— Abbé Etchart, curé de Saint-Etienne-de-Baïgorry (Basses- Pyrénées)."
On remarquera que M. l'abbé Etchart ne discute pas l'authenticité des paroles que nous avons fait passer sous les yeux du public. Il semble se repentir de les avoir prononcées, ce qui est d'un bon prêtre et d'un bon chrétien. Nous n'avons, quant à nous, qu'un mot à ajouter. Le texte que nous avons imprimé a été certifié conforme au sermon du curé par diverses personnes et notamment par le maire de la commune qui n'est pas cependant de ces sectaires dont parlent volontiers nos fanatiques.
Le public a sons les yeux les pièces du procès. Il jugera. Pour nous, nous aimons mieux tourner les yeux vers la ligne de feu où tant de vaillants soldats versent leur sang pour la France immortelle. M. l'archevêque d'Auch nous dit qu'il y a parmi eux des prêtres qui savent faire tout leur devoir. Nous n'en avons jamais douté. Mais il nous est bien permis de penser à la noble foule anonyme qui sert la cause ancrée et tombe pour la patrie sans se préoccuper de savoir si l'autorité du pape a été méconnue et sans se demander si le rétablissement du Concordat suivra de près la signature de la paix. Que ceux qui veulent prier prient. Nous avons trop le respect des convictions de chacun pour nous en étonner ou pour nous en plaindre. Mais si l'on va plus loin, si l'on jette dans les coeurs les semences du doute et du désespoir en disant que la France a encouru les châtiments de Dieu et mérité la défaite, nous n'attendrons pas que la bataille soit perdue pour faire entendre nos protestations indignées. France d'abord, voilà notre devise du jour, et nous n'en voulons pas d'autre, tant nous sommes convaincus— les ennemis de la République eux-mêmes rendant d'ailleurs justice à l'armée que la République a préparée — que tous les hommes de bonne volonté doivent mettre aujourd'hui au-dessus de toutes les religions la religion auguste de la Patrie."
EGLISE SAINT-ETIENNE-DE-BAIGORRY 1925 PAYS BASQUE D'ANTAN |
- le 16 novembre 1914 :
"Le cas de l'Abbé Etchart.
Pau, 15 novembre.
— On n'a pas oublié le scandale causé par les passages de certain sermon de l'abbé Etchart, curé-doyen de Baïgorry, en pays basque. On se souvient que l'auteur de ce sermon avait été appelé à s'expliquer en justice. Cette affaire vint le 31 octobre dernier devant le tribunal de Saint Palais, qui acquitta.
Le ministère public ayant fait appel, la cause est revenue devant la cour de Pau, qui, après audition de l'avocat général et du défenseur, a mis l'affaire en délibéré."
EGLISE SAINT-ETIENNE-DE-BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
- le 23 novembre 1914 :
"Justice est faite !
Les Juges d'appel de Pau flétrissent dans leurs considérants les Paroles impies du Curé de Saint-Etienne de Baïgorry.
Les journaux catholiques, sans doute par amour de la vérité, nous ont accusés d avoir reproduit inexactement les paroles de l'abbé Etchart, curé de Saint-Etienne-de-Baïgorry.
Or, l'abbé Etchart, dans la lettre qu'il nous a adressée et que les journaux catholiques ont reproduite, avait confirmé l'exactitude de notre information.
Les journaux catholiques, toujours par amour de la vérité, ont écrit après l'acquittement en appel de l'abbé Etchart "si odieusement attaqué par "la Dépêche", que "justice était faite, à la confusion des sectaires qui avaient tenté d'amorcer dans le Midi, une abominable campagne de diversion (?) et de désunion".
Or, il est vrai que justice est faite, mais pas à la manière dont l'entendent les journaux catholiques.
Les juges d'appel, dans leurs considérants, parlent, en effet, de l'abbé Etchart beaucoup plus sévèrement que ne l'ont fait les "sectaires", et s'ils ont estimé que les paroles de ce prêtre ne tombaient pas sous le coup de la loi, ils ne leur en ont pas moins infligé une "énergique flétrissure".
EGLISE SAINT-ETIENNE-DE-BAIGORRY PAYS BASQUE D'ANTAN |
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