UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1897.
Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.
Voici ce que rapporta à ce sujet la revue mensuelle La Revue du Palais, le 1er novembre 1897, sous
la plume de Georges Haume :
"En Pays Basque.
Un soir de mai très chaud, nous prenons à Bayonne un nouveau train. C’est la dernière étape. La voie unique va jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, au col de Roncevaux. Nous nous arrêterons à Itsatsou.
GARE ROUTE ET TUNNEL ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Après un tunnel, nous retrouvons la Nive paisible, dans une plaine. Au loin, s'estompent les Pyrénées grises, sous un ciel rouge. Dans notre wagon, il y a un Basque gras, énorme, et causant avec lui trois autres Basques, maigres, sveltes. Malgré la différence de leurs formes, ils se ressemblent par la physionomie, les gestes, les costumes. Ils sont rasés, la peau recuite par le soleil, tannée par les vents, toujours la veste courte et le béret, un tout petit béret, pareil, sur les durs cheveux noirs, à une galette de couleur foncée.
Nous passons Villefranque, des masures entrevues parmi des rochers pelée roussâtres ; l’important Ustarits qui échelonne, sur les bords d’un long plateau élevé, ses maisons blanches aux volets jaunes. Le jaune et l’ocre, nous les retrouverons partout en Biscaye. La Nive, verte, douce, au pied du plateau, arrose des prairies et des vergers qui escaladent jusqu'aux enclos d’Ustarits.
Presque tous les voyageurs débarquent à Cambo, la seule station balnéaire de cette partie des Pyrénées. Triste campagne : de rares promeneurs errent par de longues allées, sous des platanes. La Nive devient rapide ; elle s’insinue à travers des rochers plus hauts que des églises, saute, cascade, écume, sous des futaies déjà noires. La voie coupe fréquemment la montagne. Parmi ces fougères, ces broussailles de thym et de genêt, il n’y a plus sensation d’humanité.
Itsatsou. La nuit se fait. Le pays repose dans un calme saisissant. On distingue mal les monts dressés là-bas, à gauche ; et au milieu d’un cirque de collines arrondies, les coteaux qu’il nous faudra gravir peut-être, les vallons que des luzernes et des vergers embaument. Où diantre se trouve le village ? Point d’autre lumière, dans l’obscurité, que la lanterne de la gare, qui est isolée au bord de la Nive.
Ce brave chef de gare est estomaqué de nous voir. Nous n’étions annoncés que pour le lendemain. Car nous sommes des personnages de Paris. Itsatsou nous attend. Mais le train a continué sa route, décrivant à gauche, dans la gorge du Pas-de-Roland, une courbe brusque. Il y mène un fracas d’enfer. Nous distinguons maintenant le cône majestueux qui se détache dans la nuit : le Mondarrain ; plus loin, le Mont des Ours.
BORDS DE NIVE ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le fils du chef de gare nous conduit chez les Camino, à l’hôtel du Pas-de-Roland. Après avoir durant cinq minutes longé la Nive, ici caressante, nous passons sur un pont suspendu et suivons une route qui monte. Des maisons de loin en loin se cachent dans les prairies et les jardins. Au bord de la route, je distingue des bâtisses opulentes, des cours entourées de murs qui doivent être très blancs. J’interroge le gamin dégourdi qui nous accompagne :
HÔTEL DU PAS-DE-ROLAND ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Sommes-nous au village ?
— Oui, monsieur, si vous voulez.... Le village est formé de maisons éparses dans la campagne.... Nous sommes dans un quartier d’Américains.
— Des Américains !... Au cœur du pays basque !...
— Ah ! monsieur, me répond le gamin qui ne parle pas très bien français, ces Américains sont natifs d’Itsatsou. Seulement, ils avaient quitté le pays tout jeunes, pour aller dans l’Amérique du Sud chercher fortune. La Biscaye est remplie d’Américains, qui sont la plupart revenus de leur exil avec beaucoup d’argent.
— Mais le service militaire ?
— Ah ! c’est vrai, ils n’ont pas été soldats. On aime bien la France, pourtant.
— Sans doute. Mais on préfère la Biscaye.
— C’est difficile à expliquer. On s’expatrie : ça n’empêche pas de préférer la France à l’Espagne. Ainsi, quand une amnistie est proclamée, les Américains sont si heureux de retourner dans le pays.... Tenez ! M. le Maire est un Américain.
Nous arrivons au sommet de la côte, chez les Camino. Ils appellent hôtel cette ferme dont l’unique étage est découpé en une dizaine de chambres. La terrasse est obscurcie par des platanes, qui sont taillés de telle sorte que les branches entrelacées forment toiture. Les personnages de l’hôtel sont en l’air, effarés, dès qu’ils entendent le bruit de notre caravane. La mère Camino et sa fille, toutes les deux nerveuses et brunes, nous conduisent à nos chambres, par l’escalier de bois. Le maître de céans et ses deux fils ne parlent pas du tout le français et le comprennent à peine.
Le lendemain, je vais à l’aventure, par un chemin qui traverse de hautes fougères, sous des noyers gigantesques. Des femmes me croisent, le panier sur la tête, des hommes, chaussés d’espadrilles, coiffés du petit béret sombre, et portant sur l’épaule la faux reluisante. Pas un ne manque de me dire : adios ! Je salue du même ton alerte : adios !...
FAUCHEUR PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je pénètre, sans le savoir, dans la gorge du Pas-de-Roland. La montagne s’élève à ma droite, semée de buissons, de chênes rabougris. Le chemin est froid de son ombre, dans une solitude absolue. Un char peut y passer seul, par les ornières qui gagnent l’Espagne. La rivière, encombrée de rochers intacts et de rochers en débris, roule avec vitesse, s’étale en nappes si abondantes que, malgré leur limpidité, on ne voit pas le fond. De l’autre côté, le chemin de fer est tracé dans la roche. La gorge farouche se prolonge jusqu’au vallon de Laxia, où se tient un poste de douane, au milieu des blés et des luzernes que le soleil jaunit de ses rayons. A la chute d’un ruisseau, un moulin gronde, dont le seuil est poudré de la farine de maïs.
VUE DE LAXIA ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au-dessus du moulin, entre le ruisseau et la montagne, apparaît une épaisse masure, qui prend un peu d’air et de lumière par des fenêtres à barreaux. La dernière de ses pièces basses est installée en magasin d’étoffes et de mercerie. Chez la vieille femme, qui vit seule en son trou d’avare, les paysans d’alentour s’approvisionnent. On grimpe au grenier par une échelle peu solide. Le sol battu exhale sa fraîcheur. En hiver, la montagne réchauffe, paraît-il, cette habitation qu'elle protège depuis des siècles. Dans le vestibule, aussi orné de toiles d’araignées qu’une écurie, deux cochons grognent, derrière une porte à deux battants. Mais j’avise, contre le mur du magasin, une armoire colossale dont j’admire les ferrures de cuivre, les animaux et les fleurs taillés à même le hêtre par une main habile.
MOULIN AU PIED DU MONDARRAIN ET DE L'HARTCAMENDY ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Me revoici au Pas-de-Roland. Le chemin monte doucement. Au bout de la côte, se dresse un grand diable de rocher qu’il a fallu couper en son milieu, de sorte qu’une part s'élève contre la montagne et l’autre plonge dans la Nive. C'est lui sans doute qu’entama la Durandal du chevalier légendaire, lorsqu’il voulut frayer un passage à son armée. Je me trompe, soutiennent les Basques qui maintenant m'accompagnent. On aperçoit, au bas du chemin, un rocher mal fendu sous la voûte duquel passe le dangereux sentier que les bêtes peut-être tracèrent, il y a des temps infinis. Les Basques veulent que l’armée de Roland ait suivi ce sentier, sous cette porte de pierre trapue et laide.
Un jeune pâtre mène dans la montagne, pour l’y garder pendant quelques jours, au frais des cimes, un troupeau de moutons chargés de laine. Ils grimpent avec peine, de gradin en gradin. Quelques-uns, fatigués, se couchent en bêlant parmi des broussailles. On entend, assez haut, tinter la clochette du bélier. Le pâtre s’irrite des lenteurs de son troupeau : il crie, gourmande, jette des pierres....
Le dimanche de la Fête-Dieu. Mlle Camino, mince et jolie dans sa robe grise, a posé sur ses cheveux noirs, au bout du chignon, la parure des femmes du pays, un foulard de satin rose, une simple pochette qui s'ouvre et se referme au moyen d’une agrafe.
Le chemin court à liane de coteau, puis dans le creux d’un vallon, entre des jardins et des luzernes plantés de cerisiers superbes. Une porte grillée, que festonnent des liserons poussés durant la semaine, nous arrête. J’hésite à ouvrir. A travers les barreaux de fer, par-dessus les murs séculaires, j’aperçois des croix et des couronnes : le cimetière.
EGLISE ET CIMETIERE ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous marchons au milieu des tertres qui semblent récemment remués, quelques-uns recouverts de dalles rongées, tapissées de mousse. Presque tous sont fleuris de bouquets. On a le culte fervent de la mort, au pays basque. Les vieillards, les jeunes filles, qui arrivent en grand nombre, se reposent sur les pierres tombales, avant d'entrer à l'église. L'église, en plein cimetière, dresse ses lourdes murailles très noires. Un ample porche à colonnes en couvre le parvis. Des vieilles s’abritent là, dans la pénombre, tandis qu’au-dessus, dans les tours carrées, les deux cloches tremblantes, lasses d'avoir sonné pendant des siècles, appellent les fidèles. Le peuple, par groupes assemblés dans les sentiers, contre les murs, sous les branches hardies des arbres du voisinage, rit et bavarde. Les habitants d’Itsatsou ne se rencontrent qu’ici, le dimanche. Presque tous maigres, bien découplés, de haute taille, ils s’interrogent sur la santé des uns, sur les affaires des autres. Si j’essaie de les observer, d’écouter leur rocailleux langage qui m’étonne ainsi que le bruit d’un gave, ils me regardent de leurs veux aigus et déconcertants, leur visage devient immobile de gravité, de mélancolie. Je suis l’étranger. On se méfie de moi, je le sens très bien, je le sentirai jusqu’à la dernière heure de mon séjour. Cependant, les hommes, tous rasés, propres dans leurs vêtements noirs, ont quelquefois un sourire sur leurs lèvres charnues, sur leurs joues sillonnées de fines rides. Mais les femmes nous épient longuement, puis, sans trahir aucune émotion, détournent la tête.
Tout à coup, se répand dans ce paysage sonore, une rumeur de musique. Les gens sont debout sur les tertres, sur les pierres tombales. Chacun surveille avec émotion le chemin de gravier, qui vient de la roule en passant sur la colline, et par où descendent bientôt les garçons de la commune, alignés sur deux rangs.
Les voici : maigres et bruns, ils dansent au son du titre et de la chichoula, rustique clarinette à la voix stridente et nasillarde. Coiffés de bérets rouges à pompon blanc, vêtus de pantalons blancs et de bouffantes blouses rouges arrêtées sur les reins par une ceinture de laine rouge, ils portent des fusils de dimensions diverses, des carabines, des mousquets. Ils jouent de ces fusils avec adresse, les lançant au-dessus de leur tète, les rattrapant au vol. Ils s’avancent, le long du cimetière, sur le pré qu’ombragent des noyers, et vont ensuite, plus bas, au jeu de pelote, danser le saut basque, manier leurs fusils, comme des soldats à l’exercice. Un camarade les commande, le fils d’une des meilleures familles du pays, qu’on appelle le capitaine. Devant la colonne, à droite et à gauche du tambour-major qui brandit une canne à pommeau d’argent, marchent raides et solennels, coiffés de bonnets à poil, deux sapeurs en tablier blanc, la hache sur l’épaule. Un drapeau déploie au milieu des rangs ses plis jaune et rouge, traversés d’une croix blanche.
FÊTE DIEU ITXASSOU PAYS BASQUE D'ANTAN |
PARADE FÊTE DIEU PAYS BASQUE D'ANTAN |
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