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jeudi 21 septembre 2023

LE RETOUR AU PAYS BASQUE D'ARMAND HABARBURU EN 1935

LE RETOUR AU PAYS D'ARMAND HABARBURU EN 1935.


Armand Habarburu, pour une peine de coeur, a quitté la Basse-Navarre, dans les années 1910, sans donner de ses nouvelles, et il y revient quinze ans plus tard.



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ST JEAN PIED DE PORT 1935
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il y a bientôt 5 ans, je vous parlais dans un article de la disparition d'un jeune homme de Saint-

Jean-Pied-de-Port, Armand Habarburu.



Voici ce que rapporta à son sujet le quotidien Paris-Soir, dans un autre article, le 23 avril 1935, 

sous la plume de Stéphane Manier :


"Le mystérieux retour d'Habarburu le Balafré qui ramena au pays sa fiancée perdue.

(De notre envoyé spécial Stéphane Manier.) 


Saint-Jean-de-Luz,... avril.



"Armand Habarburu sera là." m'avait-on promis. Je tenais à le connaître mieux, à percer le mystère de son retour, Je l'avais aperçu le jour du marché, à Saint-Jean-Pied-de-Port, si peu semblable au portrait que mon imagination retenait du jeune pelotari aux amours muettes, Le teint cuit, le regard gris, à peine visible, sous la dure arcade sourcilière, les traits taillés à coups de hache, haut de taille et de jambes, les mains musclées et cependant fines, l'air hargneux, insociable, violent. Un trou au milieu du front, cicatrice profonde, rendait sa personne obsédante..



Il est revenu après quinze ans d'absence, sans avoir jamais écrit une lettre ni même envoyé à ses parents, comme les autres, une photographie. Maïtena l'accompagnait, une Maïtena méconnaissable, aux grands yeux fiévreux, maigre et craintive, malade certainement et qui dissimulait le plus possible sa voix enrouée.



Habarburu, taciturne et nerveux, serra quelques mains d'anciens amis et ne dit rien. Qu'avait-il fait ? D'où venait-il ? Quelles aventures avaient ramené auprès de lui Maïtena ? Etait-elle veuve, divorcée ? Cette cicatrice profonde qu'Armand portait au front témoignait de quel combat sanglant ? Le mari argentin, fils de Basque, qu'était-il devenu ? Où Maïtena avait-elle pris l'habitude du fard interdit aux Basquaises dociles, par l'Eglise ? Ces questions effleuraient les esprits. Mais les Basques sont discrets. Armand ne voulait rien raconter. Tant pis. Il apprit que son père était mort et il alla prier sur sa tombe, fit dire une messe, commanda une stèle, l'orna de quelques couronnes de perles artificielles. Il racheta au prix fort la vieille maison et le bout de terre, qui formaient, cinquante ans plus tôt, la ferme de son père, à deux heures de marche d'une route entre Urepel et les Aldudes, dans la solitude enchantée des nuits pyrénéennes. Il s'installa, prit sa mère avec lui, fit l'acquisition de trois cents moutons, d'une paire de boeufs et resta fermé sur son secret.



Trois mois plus tard, on le vit arriver à la gare de Saint-Jean-Pied-de-Port entre deux gendarmes. Le conseil de guerre l'appelait. Habarburu allait être jugé pour insoumission devant la loi militaire. La loi ? Sans doute, à travers les plaines immenses et les montagnes désertiques, de l'autre côté de l'Océan, Armand ne s'en souciait guère. Il demeura deux mois en prévention puis fut acquitté. Son aventure sentimentale, des services rendus à la France dont il suppliait qu'on ne parlât point et trois frères morts au front, plaidaient en sa faveur.



Le matin de son retour, Maïtena, que personne n'avait revue, rendit le dernier soupir. Habarburu n'eût pas à expédier de faire-part. Beaucoup de gens se retrouvèrent autour du cercueil, par devoir. Pourtant, le chemin était long, difficile dans le pays sans routes. Deux heures de trajet pour arriver à la commune. Quatre fossoyeurs, paysans, portèrent le cercueil sur un brancard. Habarburu avait revêtu la cape de drap noir des hommes en deuil. Sa mère et sa sœur disparaissaient sous leur pèlerine à cagoule. Tous les trois restent seuls à prier sur la tombe jusqu'au crépuscule...



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COSTUMES DE DEUIL
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le photographe ami du Basque.


J'avais l'insigne faveur d'être invité à une noce où la présence du farouche Armand, fanatique de la solitude, était escomptée. Qu'un étranger ne soit pas poliment éloigné d'une fête entre Basques est rare. Je dus cette hospitalité insolite à la présence du photographe, un ami. Le photographe est devenu depuis un demi-siècle l'allié des familles basques. Les fils cadets, respectueux du droit d'aînesse, même après que la loi française l'eût aboli, partent pour les Amériques. S'ils ont l'instinct des chiffres et le sens inné de l'orientation, ils manifestent peu de goût pour l'écriture et s'en vont à peu près illettrés.



En vingt ou trente ans, la mère n'aura reçu d'eux d'autres nouvelles qu'une collection grandissante de photographies heureusement plus éloquentes, plus inépuisables que des lettres. Elle en tapisse un grand rectangle, sur le mur de la cuisine, la pièce principale où brille le feu, symbole du foyer, près duquel le père et ses enfants, chaque jour délibèrent, où l'hiver les jeunes répètent danses, chants ou rôles de comédie pour les fêtes prochaines. Les photographies sur le mur, quand passe sur elles le reflet des flammes, font rêver aux absents. Elles disent qu'ils vivent encore, qu'ils sont mariés, qu'ils ont femmes et enfants. Les petits-fils qu'on ne verra peut-être jamais, mais qu'on aime, qui étendent mystérieusement le pouvoir de la race basque, ressemblent à l'oncle Ramuntcho, au grand-père Etchemaïté... Avec son appareil étrange et bienfaisant, le photographe a mis du bonheur dans les vieilles maisons basques. Il supprime les distances sentimentales. La noce sera photographiée. Les photos de ceux du pays croiseront celles qui viennent des Amériques et adouciront la solitude des cadets exilés. La présence du photographe garantissait mes bonnes intentions, ménageait à ma présence un accueil sympathique. Pourtant, l'hôtelier hésitait encore à m'accorder une place.



Trois jours plus tôt, dans le hameau montagnard, une cérémonie pittoresque, traditionnelle, s'était déroulée : le défilé des cadeaux offerts aux nouveaux époux et des meubles. Sur le chemin rocailleux, descendaient en silence vers la maison du nouveau foyer dix moutons enrubannés. Suivaient sur un chariot les meubles puis le cortège des cadeaux : l'un portait un jambon, l'autre un petit baril de cidre, un troisième un makhila. Derrière la fiancée se tenait la couturière, portant bien droit en mains un miroir. Ainsi la communauté présidait-elle, symboliquement, pour l'assurer de son appui, le ménage neuf.



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CORBEILLE DE NOCES
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le jour du mariage.


Le vent du sud, le jour du mariage, avait balayé les nuages. Mariés et invités quittèrent dès l'aube le hameau pour descendre au bourg, habits de fêtes et fines chaussures dans des paquets. Deux heures de marche dans la montagne nécessitent l'usage de vêtements rudes et pour le moins de sabots aux pieds.



La petite troupe déboucha dans la lumière du levant, face à la vallée profonde et verte, dès neuf heures et s'engouffra dans la dernière ferme du bourg. Elle en ressortit transformée. Les invités endimanchés, moins libres de gestes un peu guindés dans leurs vêtements neufs et comme gênés, s'étaient habillés chez un ami. La mariée, vêtue de noir, le front ceint d'un voile blanc, accompagnait son père, vieux Basque, de type pur, heureux de marier son quatorzième enfant. Un silence religieux, compassé, austère, groupait d'une part les hommes et de l'autre les femmes. Dans la petite église, les hommes montèrent dans la galerie de bois, les femmes s'agenouillèrent sur les chaises de l'abside. La mariée et le marié passèrent entre des guirlandes de fleurs artificielles et des pots de lys. Des couleurs fraîches chantaient dans la petite église où brillait l'autel, riche en imageries dorées, en torsades. Le vieux curé fit en Basque un long discours sur la race et ses traditions.


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INTERIEUR DE L'EGLISE
SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT DONIBANE GARAZI
BASSE-NAVARRE D'ANTAN


Je cherchai des yeux Armand Habarburu et ne le trouvai pas. Tandis que près du fronton de pelote, attribut indispensables, le photographe rangeait la noce, étageait les invités pour les photos que recevraient bientôt les cadets d'Amérique, l'hôtelier mis en confiance me contait par bribes, prudemment, son histoire. Je savais qu'il revenait lui aussi des Amériques et ne l'aurais-je pas su que les dents en or de sa mâchoire m'eussent révélé l'intervention du dentiste américain. Il n'était pas le seul à en porter la marque : dans le cortège de la noce basque une douzaine d'hommes au teint cuit découvraient en parlant une denture aurifiée, souvenir des hivers rigoureux de la Nevada où pendant dix ans ils gardèrent les mérinos des grands éleveurs yankees. Ceux-là étaient revenus avec deux ou trois cent mille francs d'économies forcées, ayant gagné — c'était la bonne époque — trois cents dollars par mois, sans compter les primes, le bénéfice sur la vente des laines et le produit des brebis que de temps à autre ils achetaient pour leur compte.



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COUPLE DE BASQUES A ST-JEAN-PIED-DE-PORT
PAYS BASQUE AUTREFOIS


Sagement, ils étaient revenus vers la trentaine, sans tenter l'aventure des grandes fortunes.


— Hé oui, le métier avait du bon, me dit l'aubergiste. Mais combien pénible. Quarante degrés au-dessous de zéro, souvent. Avec notre cheval et la roulotte, nous suivions les troupeaux qui se déplaçaient pour trouver de l'herbe.


— Nous déjeunions avec nos revolvers près de nos assiettes, car quand les cowboys des territoires voisins s'ennuyaient, ils venaient se distraire en faisant la guerre aux Basques à coups de fusil.



L'"Américain" taciturne ne daigna pas venir.


Le cafard... Il est absent de la dolente terre basque. Mais il cinglait avec le vent dans les solitudes féroces. Mon hôtelier "américain" l'avoue. Quand le cafard devenait insupportable, mon hôtelier-berger en exil franchissait bride abattue quarante kilomètres sur son cheval pour aller faire une partie de "Mutz" avec un "pays" dans la roulotte d'un pâturage voisin, voisin si l'on peut dire...



De ces dix années de patience, de froid et de privations, loin de tout plaisir, "l'Américain" rapporte précieusement et met en place d'honneur la selle de son cheval. 



... Le cortège de la noce passait en silence sous le porche enrubanné qu'ornait, symbole de fécondité et de bonheur, une couronne de papier où pendait une orange.



... Ce fut seulement devant la table, loin des regards curieux que la gaîté jaillit. Le menu ne comprenait pas moins de neuf plats de viande et six desserts. Dès les premiers verres de vin d'Espagne, fort en alcool, léger au palais, les chants s'élevèrent et les anciens se souvinrent des sauts basques : demi-tour à gauche, demi-tour à droite et bondissements aériens sur les pointes. Un simple accordéon accompagnait le tapage. Deux hommes pour lesquels la famille des mariés. témoignait d'attentions particulières, les forçant à boire, à manger, demeuraient, intimides, mal à l'aise, et s'épiaient d'un regard angoissé. Deux improvisateurs. Poètes basques conviés à la noce, ils tardaient de céder à l'inspiration populaire. L'un maréchal ferrant, l'autre meunier, ils jouissaient dans le pays d'une réputation admirative. Les hommes et les femmes durent les supplier pendant une heure. Ils rougissaient et ne se décidaient pas à se lever. Les assistants proposaient des sujets en langue basque : "L'espadrille et le sabot" ; "La pelote et la chistera" ; "Le facteur et le cantonnier". Enfin, le plus âgé des deux improvisateurs posa son verre et d'une voix tremblante encore, la gorge étreinte par l'émotion, déclama en vers de treize pieds la première strophe. Il vantait l'espadrille qui donne aux bonds basque légèreté, puissance. Le tournoi poétique commençait. Le second improvisateur défendit, en vers improvisés les bienfaits du sabot. Toute timidité évanouie, l'inspiration devient torrentielle, véhémente. Un vrai combat de mots, de rimes, aux accents claironnants. Applaudissements et rires déferlèrent, diminuèrent, cessèrent. Les danses reprirent. Le combat des deux improvisateurs intarissables, continuait dans le tumulte. Il ne devait cesser qu'après la fin du jour et du repas.





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BERTSULARI PAR JOSE ARRUE



J'attendais encore Armand Habarburu le solitaire. Apprit-il par messager alerte et prudent, la présence intruse d'un journaliste ? Armand Habarburu replié sur sa vie intérieure et son passé ne daigna pas venir."







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