C'est aujourd’hui que se sont terminées les fêtes de la Tradition basque par une magnifique partie de blaid à mains nues, la grande mascarade souletine et le concert à la place Louis XIV dans la soirée.
Temps superbe, beau soleil, température rafraichie par la pluie tombée pendant la nuit. Beaucoup de monde venu des environs, de Biarritz et même d'Espagne.
La gracieuse reine Nathalie de Serbie a présidé toutes les fêtes pendant les quatre jours qu’elles ont duré ; elle a été accueillie avec une déférence et une simplicité remarquables. Pas de vivats bruyants, mais une sympathie communicative que la reine a su créer autour d’elle par sa grâce et son amabilité. Elle habite le pays basque, ayant sa demeure dans la commune de Bidart, aux confins de celle de Biarritz : elle appartient donc au pays.
CHÂTEAU DE LA REINE NATHALIE DE SERBIE BIDART PAYS BASQUE D'ANTAN
La journée a été un peu chargée. Elle a commencé par des concours divers d’agilité et d'adresse, de course de vitesse, des jeux, etc., etc., sur la tête de pont de Ciboure. Le Nautile était pavoisé.
CHALOUPE NAUTILE 1885 1901
Cette partie du programme a été une des plus intéressantes ; elle avait attiré beaucoup de spectateurs.
La Partie de Blaid.
Décidément, c'est pour la clôture des fêtes que le comité d’organisation avait réservé aux aficionados la surprise de la plus intéressante des parties de pelote. Il s’agit aujourd’hui de lutter au blaid à mains nues, et non plus au chistera. L’infatigable Otharré, secondé par Chiqui et Tokerra, doit prendre sa revanche contre les fameux joueurs de Sempé : Santiago, Chahaténé et Théophile. Sa défaite d’il y a quelques jours, à Sempé, qui avait surpris tous les fervents de la pelote, a apporté un intérêt nouveau à la partie, et, dès les premiers points, nous jouissons du spectacle d’un public passionné, soulignant la clôture de chaque quinze de vivats et d'applaudissements enthousiastes. Les parieurs ne savent où donner de la tête, chacun veut risquer son louis, la cote favorisant toujours Otharré, le match-box de la journée. Pendant les vingt-cinq premiers points de la partie, qui se joue en soixante, pas moyen pour l’un et pour l’autre camp de prendre l’avance de deux quinze : toujours égalité. Les six joueurs sont tellement en forme qu’il est impossible de prévoir l’issue de la lutte, et je compte des quinze qui ne durent pas moins de huit et dix minutes. Sa Majesté la reine Nathalie s’intéresse si vivement au superbe spectacle qui lui est offert que, pour activer encore cet intérêt, elle fait savoir aux joueurs qu’elle double la somme d'argent par elle offerte au camp vainqueur.
LA REINE NATHALIE DE SERBIE SE RENDANT A UNE PARTIE DE PELOTE SAINT-JEAN-DE-LUZ D'ANTAN
JEAN-PIERRE BORDA DIT OTHARRE Copyright : Musées-municipaux Rochefort 17
La lutte se continue de plus en plus vive, Otharré prenant une légère avance ; mais voilà bientôt cet avantage perdu, et nous passons par les péripéties des premiers points : encore et toujours égalité. Il est deux heures, et la partie, commencée à dix heures et demie, se présente comme interminable. D'un commun accord, les champions, épuisés sous les efforts prodigieux imposés par un combat des plus palpitants que leurs forces ne leur permettent plus de soutenir, décident de remettre la continuation du concours à une prochaine séance.
Je quitte la place du Jeu de Paume sous le charme vraiment indescriptible du plus beau concours d'agilité, de force et d'adresse que notre fin de siècle puisse réserver aux amateurs de sport, regrettant que notre court passage dans la ville de Saint-Jean-de-Luz ne me permette pas d’assister au dénouement prochain de la mémorable partie au début de laquelle il m’a été donné d’applaudir.
La Mascarade.
A quatre heures, la mascarade souletine a commencé sa promenade dans les rues, précédée des gaïteros et des tambourins, et attirant beaucoup de monde. Mais, où est la mascarade d’il y a deux ans ? Aujourd’hui les costumes sont plus propres et plus riches. et les corps de métiers qui la suivaient alors ont été éliminés. Où est le chat, le châtreur, le forgeron, avec son tablier de cuir ? Où sont les fous, avec leurs nombreux grelots et leur fouet ? où sont tous les autres comparses ? où sont tous ces fils de la terre, costumés comme le peuple ? où sont même la pluie fine et le temps brumeux qui jetaient une note originale et grisâtre sur toute la mascarade d'antan ? Le soleil brille, et avec lui les dorures, les costumes trop riches et trop propres pour des paysans. C’est une mascarade d’opéra-comique. Qu'on nous rende vite l’ancienne mascarade, avec ses gestes vifs et ses expressions un peu gauloises ! C’est la seule critique à adresser aux organisateurs des fêtes, qui ont été réussies en tout point. Je suis la mascarade et j’entre avec elle dans la cour du pensionnat Sainte-Marie, où se sont données toutes les représentations théâtrales.
CHIBALET ET CANTINIERE PAYS BASQUE D'ANTAN
Les jeunes Souletins montent sur la scène, et je reconnais l’évêque Turpin d’hier, aujourd’hui danseur portant le pantalon blanc brodé de la mère Aymon. Celle-ci et la fille du roi de Gascogne sont aujourd’hui habillées en cantinières. Charlemagne, qui a déposé sa couronne pour le béret rouge, s’avance et chante la magnifique prière d’Abraham, écrite en plain-chant et d’un effet puissant : elle est redemandée. Les danses alternent avec des chœurs et des morceaux loués par les deux gaïteros. Les danseurs sont d'une agilité étonnante. Le Pas du Verre, qui consiste à sauter autour d’un verre plein sans le toucher, est très difficile. Il a été très bien exécuté par les deux cantinières et par les deux chevaliers ; car j’avais omis de mentionner ces deux danseurs, qui sont cerclés dans un mannequin représentant un cheval. Le Pas des Forgerons ferrant les chevaux, celui duMakilha tenu par deux hommes, tandis que le danseur frappe sur le bâton avec une baguette, et bien d’autres encore, très originaux, ont été fort goûtés. Pendant les danses, un fleuriste de la ville a fait remettre trois beaux bouquets à la reine, à M. Daralde et au maire, M. le docteur Goyeneçhe. Le bouquet de la reine était composé de campanules, de verveines violettes et de roses ; il était attaché de rubans blancs et rouges.
GOBELET DANTZA - DANSE DU VERRE PAYS BASQUE D'ANTAN
Les danses étant terminées, dix-sept jeunes gens de la mascarade s’avancent sur le bord de la scène et entonnent un chœur populaire basque d’une grande harmonie, avec un sentiment musical étonnant chez des paysans. Les voix étaient bien timbrées. Puis, un d’entre eux se détache et chante un compliment à la reine, au maire et â la population de Saint-Jean-de-Luz, qui a reçu les délégués de Barcus. Le brave garçon, très ému, a perdu la mémoire plusieurs fois, ce qui a provoqué des manifestations de sympathie à son égard, beaucoup de rires et d’applaudissements. Lo régent de la pastorale, Héguiaphal, de Chéraute, a sauvé la situation en venant se placer derrière le chanteur et lui souiller un rôle qu’il n’avait pas bien appris. Puis le maire s’est levé et a offert aux Souletins, au nom de la reine de Serbie, un magnifique vase de Sèvres qui ne mesure pas moins de 70 centimètres de hauteur. Il est d’un bleu de ciel très pur et ornementé de deux peintures : un bouquet de fleurs et un sujet pastoral Watteau. Les jeunes gens de Barcus remercient par plusieurs irrintzinas poussés avec autant de force que de reconnaissance.
La reine se lève et se retire, la foule l’applaudit, et, gracieuse, elle passe en remerciant. Au moment de monter en voiture, elle remercie les nombreux spectateurs qui l’avaient suivie et leur dit au revoir.
Avant de quitter Saint-Jean-de-Luz, la reine n’a pas oublié les pauvres, auxquels elle a offert une somme importante pour être répartie entre la Société de secours aux malades et en bons de pain et de bois pendant l’hiver.
La Retraite aux flambeaux.
A neuf heures, la retraite aux flambeaux est partie de la place Louis XIV et a traversé la ville, suivie de la foule. Le spectacle était fort beau ; la musique était précédée de porteurs de longues gaules au bout desquelles brûlaient des feux du Bengale ; elle était escortée par des porteurs de torchères, formées de vases en fer jouant sur pivot et dans lesquels brûlaient des éponges imbibées de pétrole. Le défilé de toutes ces torchères dans les rues en pente du port, où se trouvent tant de vieilles maisons d’ancien style, avait quelque chose de "non vu" qui étonnait et séduisait. Que de belles choses dans cette jolie ville de Saint-Jean-de-Luz !
La foule, qui n’avait fait qu’augmenter en suivant la retraite, a vite envahi la place, et les danses populaires ont commencé sous les lanternes vénitiennes et les rampes de gaz. Elles ont continué fort tard ; mais, fait à noter, le peuple a toujours conservé une tenue irréprochable ; je n’ai vu aucun homme ayant trop bu ; je n’ai entendu aucune discussion. et les danses ont toujours conservé leur caractère digne. On sait que dans la danse basque il n'y a jamais accouplement et contact. Dans l'Aurrescu, qui est une sorte de quadrille dans lequel les femmes n’entrent qu’une à une, après invitation des danseurs, on se tient non par la main, mais par l’extrémité du mouchoir.
Les fêtes qui sont terminées comme elles ont commencé, c'est-à dire très bien. Il est à désirer qu’on leur conserve toujours leur caractère primitif, et qu’on ne les transforme pas en fêtes publiques. M. Charles Petit, le distingué conseiller à la Cour de cassation, promoteur de ces fêtes ; M. le docteur Goyeneche, leur organisateur, et M. Charles Bordes, le savant musicien bascophile et l’artiste délicat, sauront éviter cet écueil. On ne connaît pas impunément le pays basque et surtout ce coin charmant de la France qui va de Biarritz jusqu’à Hendaye.
Je ne puis terminer ce compte rendu sans adresser mes remerciements à M. Goyeneçhe, qui a facilité mes fonctions de narrateur ; à M. Sallaberry, l’excellent traducteur, et à M. Charles Bordes, le directeur des Archives de la Tradition basque, pour les précieux documents qu’il m’a donnés sur l’art musical basque."
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