LE CAÑON D'HOLCARTE-OLHADIBIE EN 1908.
Les gorges d'Holzarte forment un étroit canyon creusé par l'Olhadoko erreka, un précurseur du gave de Larrau, en Haute-Soule.
Voici ce que rapporta à ce sujet E. A. Martel, dans le quotidien Le Matin, le 26 décembre 1908 :
"Le monde souterrain.
Une merveille pittoresque.
Le cañon d'Holcarte-Olhadibie.
Un corridor d'eau de quatre kilomètres.
Un angle mal connu de la France vient de nous révéler des splendeurs, qui atteignent aux plus fantastiques conceptions susceptibles d'éclore dans la mise en scène des féeries à grand spectacle. C'est à l'extrémité sud-est du pays bien plus reculée que les parages de Ramuntcho, plus séduisante, plus prenante encore par la majesté de ses forêts, par la fierté de ses cimes, où la muraille pyrénéenne s'élève déjà à 2 000 ou 2 500 mètres, par la beauté et la psychologie si attractives de sa population euskarienne. Là, depuis quelques années, des touristes de Mauléon, MM. Veïsse, Bourgeade, Dufau, Larre, Casamajor (il faut les nommer), nous ont ouvert entre les hautes vallées de la Nive et d'Aspe, entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Urdos, tout un paradis de recherches, une longue suite de sites, entièrement inexplorés. Car ils ont pénétré dans des replis des monts, où même l'oeil de l'homme n'avait pu plonger ; ils ont découvert des crevasses, où, sur des kilomètres de longueur, des hectomètres de profondeur et des décimètres d'étroitesse, les gaves descendus des pics ou cols d'Orhy, Otxogorrigagne, Bimbalette, Ihiscondissé (et autres noms qu'on n'inventerait pas), bondissent ignorés au fond des cañons ou barrancos, obscurs à l'égal des cavernes. Dès 1902, ces pionniers m'appelèrent à contrôler la valeur inestimable, pour la science comme, pour le tourisme, de leurs trouvailles à ces gorges de Cacouette, Usaix-Charra, Harribillibilia, etc., etc. Devant l'importance du sujet et les difficultés de son investigation, il fut tout de suite manifeste que l'initiative et les ressources particulières demeuraient impuissantes à parfaire la tâche commencée. Comme pour les cluses formidables du Verdon de Provence (dont il fut question ici même en mars 1906), les subsides et l'autorité morale des pouvoirs publics étaient indispensables pour étudier à fond le profil en long, la puissance de chute hydraulique, les qualités alimentaires de ces torrents cachés presque dans les entrailles du sol ; à fond, n'est pas un mauvais jeu de mots, puisque ces peu banales visites, par une méthode aussi nouvelle qu'insolite, doivent s'effectuer dans l'eau des cascades et les tourbillonnements des rapides, tout au bas de fissures rocheuses où jamais ne tombe un rais de soleil. Le ministre de l'agriculture a bien voulu comprendre le programme de recherches que je lui ai soumis pour les cañons du pays basque, parmi les travaux pratiques d'hydrologie proposés pour 1908 par le comité d'études scientifiques de la direction de l'hydraulique et des améliorations agricoles ; et la mission m'a été confiée de consulter, pour cette année, les ressources motrices et alimentaires des eaux sauvages et souterraines aux Pyrénées occidentales. Exécutée avec la collaboration d'une élite de savants spécialistes, géologues, hygiénistes, météorologistes (qu'on me permette de citer au moins E. Fournier, Le Couppey de la Forest, Lucien Rudaux, docteurs Jamines, Jeannel, Maréchal, etc.), cette première campagne a fourni des résultats qui imposent la continuation de l'entreprise. Un seul provoque ici ces lignes, quelque peu arides sans doute pour un grand journal quotidien : c'est la trouvaille d'une merveille pittoresque sans seconde en France, et peut-être en Europe, le cañon d'Holçarte-Olhadibie. Fn 1907 déjà, j'en avais parcouru et admiré la partie inférieure, difficile à souhait, en l'état actuel de la viabilité du gave, qui suscite plusieurs heures d'inévitables immersions. Cette année, sous la direction spéciale de E. Fournier, la reconnaissance a été poussée au delà des obstacles jusqu'alors jugés infranchissables. Il a fallu profiter des basses eaux d'août pour pénétrer les arcanes de la gorge ; il a fallu surtout contre les superstitions locales, contre les préjugés de terreur qui avaient toujours écarté de là les plus audacieux pécheurs de truites, il a fallu monter, comme de vrais capitaines d'escalade, à l'assaut des cascades vierges, pour que les porteurs basques, si braves pourtant, affrontassent les passes ignorés.
SPELEOLOGUE EUGENE FOURNIER |
Qu'est-ce donc que ce cañon d'Holçarte-Olhadibie ?
RAVIN D'HOLZARTE SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Un long corridor d'eau, de quatre kilomètres et demi d'étendue, avec une pente extra-rapide de 10 0/0. et si encaissé que, du sommet de ses bords, on ne voit nulle part le fond mystérieux !
Par deux fois, l'escouade Fournier a donné l'attaque, tandis que d'autres membres de la mission se chargeaient des ravitaillements et secours éventuels les 16 et 17 août, on débuta par le haut de la gorge à 800 mètres d'altitude ; déployées au long des volutes d'eau, les échelles de cordes laissèrent contourner deux cascades de 15 mètres et 49 mètres ! une troisième, de 50 mètres, occupait toute la largeur (un mot, ici, fort mal en place) de la crevasse, déjà profonde de 150 mètres faute de cordages suffisamment longs, toute cette hauteur de falaises surplombantes ne put être descendue depuis le sommet même des murailles en bas, le terrent grondait, tout à fait invisible, à peine entendu. Longeant le rebord des escarpements, on l'aperçut plus loin, enfoncé à 250 mètres et refusant de se laisser atteindre malgré plusieurs tentatives. Par l'amont donc, on n'avait acquis la connaissance que de 400 mètres du parcours et 150 mètres de dénivellation..
GORGES D'HOLZARTE SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Par l'aval, on recommença le 19 août, avec le très efficace concours du docteur E. Reymond, sénateur de la Loire, et de l'enseigne de vaisseau H. Reymond, remontant le fil de l'eau et gravissant les cascades au lieu de les descendre ; il faut laisser au scrupuleux dessin ci-contre (la photographie perd toutes ses capacités dans ces sombres et humides étranglements) le soin d'expliquer quel genre de manœuvres, pour lesquelles l'adroite expérience d'un marin se montra précieuse, exigent les échelles extensibles et les bateaux démontables, parmi les obstacles alternatifs des bassins profonds, courants, rapides, cataractes ou chaos d'éboulis. Mais quels spectacles ! Les verticales absolues sont de 200, 250, 300 mètres les parois se rapprochent parfois à 3 mètres l'une de l'autre ; dans ses cavités latérales se fracassent les remous terrifiants des ondes violées pour la première fois ; le caprice des cassures géologiques a créé des coudes, dont les pseudo culs-de-sac, aux voûtes surplombantes, remémorant les plus grandioses rivières souterraines, telles Padirac ou la Recca de Trieste ; l'espacement diminue au point qu'un bloc énorme est coincé très haut dans les tenailles du couloir ; il ne fait ni jour, ni nuit, mais une lueur verdâtre, indéfinissable, filtrée par la végétation puissante que l'humidité accroche aux moindres saillies des escarpements ; du ciel, on n'aperçoit pas le plus petit ruban. Et toujours progressent et s'amplifient les scènes indescriptibles, sans termes de comparaison connus et qu'il faut quitter au bout de dix heures d'efforts pour conserver l'énergie nécessaire aux six heures de retour ! On a conquis, cette fois, 1 500 mètres de terrain (?) nouveau. Il en reste plus de mille à vaincre, certainement plus rébarbatifs encore, pour une autre campagne et avec des moyens de plus en plus puissants, si l'on veut se rendre maître de toute cette force vive, trop bien dissimulée par la nature et qu'il s'agit de lui arracher pour de salutaires utilisations.
EMILE REYMOND SENATEUR DE LA LOIRE 1908 |
Mais, dès maintenant, une chose est acquise, et qui intéresse le plus la curiosité publique : c'est l'existence, au pays basque, de sites plus admirables par la richesse de leur végétation, par la singularité et l'ampleur de leurs accidents, par l'énormité de leurs proportions, que les cluses ou klamme alpestres, si justement réputées cependant, du Fier, de la Diosaz, du Trient, de la Tamina, etc. etc. Cela s'ajoute aux charmes, déjà si délicieux, de notre vieille Navarre : la littérature a bien fait de prôner Saint-Jean-de-Luz, Cambo, Saint-Jean-Pied-de-Port, la Rhune et autres monts d'élévation, et tous ces vallons si dignes de célébrité par le cachet d'une ambiance ethnographique qui n'a point d'émule. Or, voici que l'arrière-pays de cette bienheureuse Euskarie fournit un appoint de grandeurs et d'étrangetés qui pose la contrée de Soule (tel est le nom local) en vedette parmi les plus rares beautés de la France. Et non pas dans une région perdue, au lointain des pires chemins ; car le village de Licq-Atherey, verte et reposante campagne, à l'issue même des cañons de Cacouette et d'Holçarte n'est qu'à deux heures d'une station balnéaire à la mode, Salies-de-Béarn !
ETABLISSEMENT THERMAL ET CASINO SALIES-DE-BEARN 1908 |
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