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mardi 11 février 2020

DES TABLEAUX HOLLANDAIS ET ESPAGNOLS À ITXASSOU EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1941


DES TABLEAUX DE MAÎTRES À ITXASSOU EN 1941.


Des tableaux de maîtres hollandais et espagnols se trouvaient à Itxassou en 1941.


pays basque autrefois
ITXASSOU FIN 19EME SIECLE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays Basque, dans son édition 

du 7 mai 1941 :



"Les tableaux hollandais et espagnols d’Itxassou.




Délicieux village basque s'égrenant de la Nive à la montagne, Itxassou était également célèbre par la gorge du Pas-de-Roland, les cerises qui portent son nom et dont la vogue basque éclipsa la renommée des cerises de Guiche, les sources du Laxia providentiellement captées à la veille de 1939 et qui alimentent Bayonne en eau conjointement avec l'Ursouïa : que fut-il advenu, s’il n'avait été passé outre à une opposition inepte, aux jours du grand exode de juin 1940, et si Bayonne avait alors manqué d'eau potable. 



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VUE DU MONT URSUYA ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN


Mais Itxassou a encore bien d’autres célébrités : si Martigues, la petite cité provençale, s’enorgueillit de ses trente beautés, celles d’Itxassou ne se comptent pas. Citons au moins et à nouveau l'église et ses richesses diverses, la contrebande et les contrebandiers du temps de paix, le restaurant Adrien de Robinson, perdu dans un grand chêne à l’instar du Robinson des banlieusards du sud de Paris. Avec les Ezpeletars voisins, les gens d'Itxassou se disputèrent même l’honneur d'aller en procession sur la colline d'Urzumir, toute couverte de fougères, où un voeu de l’autre guerre apporta un beau jour une statue de la Vierge en marbre de Carrare, accompagné d'une table d'orientation.



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HÔTEL TEILLERY ET DU CHÊNE ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Mais Itxassou avait encore la gloire insoupçonnée de posséder un tableau de maître : Pieter Saenredam ou Zaanredam est en effet un peintre hollandais aux œuvres aussi célèbres que  devenues très rares à notre époque. Si Itxassou a gardé le Pas-de-Roland et les cerisiers, elle a en revanche perdu Saenredam. L'histoire vaut d'être contée. 



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LE PAS DE ROLAND ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le tableau était sur bois, haut de 1 m. 25 sur 0 m. 85, représentant le chœur de l’église de Bois-le-Duc en Brabant, daté de 1646 : au milieu du chœur se dressait le maître autel voilé de noir, surmonté d'un tableau figurant l’Adoration des Bergers à la crèche de Bethléem, d'une statue de la Vierge à l'Enfant et de deux bannières armoriées : écussons représentant les armes d'Autriche avec l'aigle bicéphale et la Toison d'or. Ce sont là les armes du cardinal Albert d’Autriche, sixième fils de Maximilien II et gouverneur des Pays-Bas au nom de l’Espagne.



tableau pays basque autrefois
CHOEUR EGLISE BOIS-LE-DUC DE SAENREDAM

Œuvre religieuse, faite pour un Espagnol, cette note curieuse achevait encore de faire l'originalité spéciale de cette toile hollandaise ! A droite de l’autel est un tombeau avec deux inscriptions : 1646, Pieter Saenredam pinxit, au sommet ; au bas une longue ligne de flamand en lettres de forme gothique accompagnait le tombeau du cardinal d'Autriche érigé dans le style du temps. 



peintre hollande pays basque autrefois
PEINTRE PIETER SAENREDAM

Le tableau lui-même rappelait la date de la mort du gouverneur des Pays-Bas en 1621 : Alberto Austriaco Patri Patride silva ducis dicat, consecrat, 1621. Ainsi en 1646, Bois le Duc dédiait et consacrait cet hommage de la reconnaissance à celui qu'elle qualifiait de Père de la Patrie ; peut-être lui devait-elle la reconstruction de son église ? En fait, la sagesse d’Albert n'avait pu éviter la reprise de la guerre entre l’Espagne et la Hollande révoltée cette même année 1621.




Comment un tableau de prix était-il allé échouer à Itxassou ? Bien entendu, la légende faisait intervenir la reine exilée d'Espagne, Marie-Anne de Neubourg. Totalement différente de la caricature de Victor Hugo — la reine aux yeux bleus toujours mouillés du pleurs de "Ruy Blas" — la reine mena joyeuse vie durant son long exil bayonnais de 1706 à 1738. En 1728, et 1729, elle fit même une saison à Cambo dont les eaux étaient réputées de longue date : encore ces dernières années les vieux Bayonnais y allaient en voiture pour quelque partie fine. Marie-Anne de Neubourg multiplia les cadeaux royaux, "donnant aux curés, aux vicaires, aux notables, du bon chocolat d’Espagne, du fin tabac de Séville et de belles tabaquières". Mais les églises ne furent pas oubliées, pas plus que les ministres de Dieu : l’église de Cambo s’enorgueillit encore des ornements offerts, à l'instar des églises voisines recevant des dons en argent. 




pays basque autrefois princesse
MARIE-ANNE DE NEUBOURG



Et l'on supposa qu’Itxassou reçut de la sorte le tableau de Saenredam.




La vérité paraît autre. La première moitié du XVIIème siècle voit les Hollandais, rouliers des mers, développer des colonies dans tous nos ports de l'Atlantique, Bayonne compris. Comme à Bordeaux, diverses familles se fixèrent chez nous. Je renvoie là-dessus aux belles études de M. Foltzer. 




Un Bayonnais célèbre joua par ailleurs un rôle important lors de la guerre de succession d’Espagne et au début du XVIIIème siècle : Pierre Daguerre, "de vieille bourgeoisie bayonnaise" (dont nous avons parlé çà et là dans notre tome III des Lettres Missives notamment) était "agent pour le roi" à Amsterdam ; il renseignait surtout Torcy. notre ministre des affaires étrangères d’alors. Il fut même premier échevin (c’est-à-dire en fait maire) de Bayonne en 1718, à son retour de la Hollande. Or, il avait épousé là-bas une gracieuse Hollandaise Elisabeth van Papenbrouck. Il avait une sœur, Marie-Anne Daguerre qui épousa un Basque d’Itxassou, Jacques Harader. Celui-ci, seigneur de la Salle et Vignolles, joua un certain rôle à Maubourguet et aux Etats de Bigorre, ayant divers fiefs et terres du côté de Vic-Bigorre. Leur fille, Elisabeth Bonne de Harader, fut baptisée le 14 septembre 1724 à Itxassou, ayant précisément pour parrain et marraine Pierre Daguerre et dame van Papenbrouck. En bon Basque, son père avait conservé la terre d'Harader.




Est-ce pour fêter cet événement de famille que notre tableau fut donné à l'église d'Itxassou ? En tout cas, l’hypothèse formulée ces dernières années par un excellent article anonyme d’un journal local, parait fort juste. Peu importe que la femme de Pierre Daguerre fut parmi les suivantes de la reine de Meubourg, Hollandaise au service de cette reine venue du duché germanique des Deux-Ponts, recevant d’elle boucles d’oreille et cadeaux divers. 




C’est d'Amsterdam qu’a dû venir en droite ligne le tableau conservé au presbytère d'Itxassou. 




A mon retour de la guerre de 1939-1940, quand il me fut possible de reprendre mes petits travaux locaux, le hasard des choses m'amena à parler du tableau de Saenredam. J'appris du même coup qu'il avait regagné la brumeuse Hollande peu avant 1939. Une première offre d’achat n’avait eu nul succès. Il n’en fut pas de même d’une seconde. 100 000 francs à ce qu’on dit parurent préférables à la possession d'un tableau de maître dans une église perdue. 




Très fière de son école de peinture, la Hollande y tenait d’autant plus que les œuvres de l'un des nombreux maîtres hollandais, en l’espèce Saanredam avaient survécu en nombre limité. On en citait quelques-unes à peine à Amsterdam, Harlem et même Turin. Le Louvre lui-même n'en possède aucun bien que tel conservateur ait été un moment à l'affût du tableau d’Itxassou. 



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HARLEM DE PIETER SAENREDAM

Seulement, les Hollandais sont gens pratiques et industrieux . Je me suis laissé dire que la Hollande a trouvé moyen de récupérer les sommes par elle déboursées ; dans je ne sais quel Musée de Hollande, il faut payer quarante sous français pour accéder au Saanredam d'Itxassou. Espérons du moins que la toile a survécu aussi aux événements du printemps 1940 au royaume des tulipes.




Mais il est des lieux vraiment prédestinés. A défaut du Saanredam, Itxassou avait à son église un Murillo. Il paraîtrait du Mexique, un certain indiano, M. Eugène Gabarrot, qui dirigeait là-bas une manufacture de tabac, acheta aux enchères publiques deux tableaux provenant d'une église des alentours de Puebla : en ce lieu avait vécu jadis un vice-roi du Mexique. Les sujets traitaient Saint-Christophe et Saint-François d'Assise. Or, en faisant restaurer cette dernière œuvre à Paris, on trouva au revers les lettres... L L O. Le reste avait été mangé "par les rats et par l’humidité." Il n’en fit pas moins don du Saint-François à l’église de son  village natal, Itxassou. Tel est le récit de Bernadou. 



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SAINT FRANCOIS D'ASSISE PAR MURILLO

M. Molia lui a apporté en 1937 quelques éclaircissements dans le Bulletin d’une Société locale : la caisse apportant les tableaux arriva en 1887. Reste bien entendu à examiner de près ce tableau... qui ne peut être d'une copie de valeur. Le récit de son origine récente demeure assez incertain en lui-même quand à l'auteur. 




Et voilà comment un petit village basque s’enorgueillit à des titres divers de mêler son nom à ceux de deux grands artistes de la peinture éternelle. 




Duvoisin, dans Cambo et ses alentours, racontait en 1858 l'histoire des ornements de l'église d’Itxassou. Fabre s’en est inspiré dans ses Lettres labourdines en 1869."



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