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vendredi 7 février 2020

VOYAGE DE BAYONNE EN LABOURD À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1854 (quatrième et dernière partie)


DE BAYONNE À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN 1854.


Au milieu du 19ème siècle, on commence à découvrir le Pays Basque intérieur, en particulier la Basse-Navarre.




labourd autrefois
CAMBO 1846
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette nationale ou Le Moniteur universel, dans son 

édition du 22 novembre 1854, sous la plume d'A. Germond de Lavigne :



"Autour de Bayonne.



...Lorsque le souper fut servi, nous primes place, l’hôte, Iribarren, moi et seulement l'aîné des enfants, l’héritier. L'etchekanderea nous servait, les garçons assistaient au repas de leur père, et les jeunes filles, assises auprès du foyer, avaient pris leurs quenouilles et filaient en silence. Ce ne fut qu’au dessert que la mère, prenant, elle aussi, sa quenouille, vint s'asseoir auprès de son mari. 




Après le repas, des pipes furent allumées, les enfants rompirent le silence, les jeunes gens se mirent à battre du genêt ou à préparer des instruments aratoires, et les jeunes filles, tout en filant, se racontaient les petites chroniques du village ou quelqu’une de ces fables populaires du pays basque, qu'on nomme elhezahar (vieux récits), et qui se transmettent d’âge en âge. 




J’ai entendu presque toutes ces fables : le Coursier blanc (zaldi chouri), l’Œil du Devin (azti beguia), la jeune Fille et le Taureau d’or (urhesko chahala), le Bassa jaon, le Seigneur sauvage ; c’est le mélange le plus étrange de science naïve, de merveilleux et de superstition. 



legende pays basque autrefois
BASA JAUN
PAYS BASQUE D'ANTAN

Lorsque fut venue l’heure du repos, notre hôte me conduisit dans une petite chambre simple et propre, et je m’endormis au bruit des causeries et des rires de la famille. 




Mon sommeil fut rapide. Je fus réveillé bien avant le jour par une voix sonore qui chantait, dans une pièce voisine, ce couplet d’une vieille chanson du Labourd : 


Gouatçan lagun, gouatçan bada 

Biak Arthizanera 

Urzo chouribat elkitçen beyta 

Arthizaneco plaçala, 

Houra nahi nouke arrapi 

Nauren sarietara. 



"Allons ensemble, allons donc tous deux à Arthizana. Une palombe blanche paraît sur la place d’Arthizana, et je voudrais la prendre dans mes filets." 


chasse pays basque autrefois
FILET PALOMBIERES SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Ce chant me rappela notre chasse ; je savais que nous devions être à la pantière avant le lever du soleil, et je sautai du lit à la hâte. 




"Allons, monsieur, me dit Iribarren en entrant dans ma chambre, l’aube s'approche, hâtons-nous ! 


— Je suis prêt, répondis-je.


 — Le sommeil vous a-t-il bien reposé ? vos poumons ont-ils repris leur souplesse, et votre poitrine sera-t-elle en état de bien jouer son rôle ?


 — Quel rôle ? demandai-je. 


— Ah ! il vous faudra crier ce matin, et crier de la bonne façon, comme cela..."



En ouvrant ma fenêtre, qui donnait sur le village, il poussa à mes oreilles le cri le plus perçant, le plus prolongé que j'ai jamais entendu : c'est le kikissaï, le cri d’appel de la montagne, de même que le sinka est le signal des rendez-vous amoureux. Il n’y a qu’une poitrine basque qui puisse, sans en être déchirée, proférer cet appel, qui remplit l’espace et provoque tous les échos au loin ; les douze notes de la gamme chromatique seraient impuissantes à en reproduire les étranges modulations. 




Au cri d'lribarren en répondirent vingt autres dans le village, vingt fenêtres s’éclairèrent, vingt portes s’ouvrirent, et au bout d’un instant nous étions vingt chasseurs réunis vers le chemin qui conduit à la pantière. Ou m’avait donné un fusil, du plomb, de la poudre ; et comme la matinée était froide, l'etchekanderéa, au moment où j’avais pris congé d’elle, m’avait jeté sur les épaules la capuchaïlla d’un de ses fils.



chasse pays basque autrefois
PALOMBIERE SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Tous nos chasseurs étaient pourvus de ce curieux vêtement. C’est la dalmatique ancienne ; il conserve la forme primitive que lui ont donnée les montagnards euskariens. Il donne une apparence solennelle à l’homme qui le revêt. La capuchaïllla se compose de deux pièces d’étoffe grossière en poils de vache, jetées devant et derrière, et réunies sur les épaules, en laissant une étroite ouverture où passe la tête ; sur les côtés pendent deux bandes qui protègent les bras ; un capuchon de forme triangulaire recouvre la tête et enveloppe le visage. Ainsi vêtue, notre troupe ressemblait à une bande de pénitents procédant à quelque cérémonie mystérieuse. 




La nuit était des plus noires ; à la sortie du village, nous nous mimes à la file, le plus expérimenté prit la tète, et nous le suivîmes à l'aveuglette et dans le plus grand silence, par une multitude de petits chemins étroits pourvus d’ornières profondes, bordés çà et là de fossés pleins d’eau et de bouc. Je glissai dix fois, je tombai trois fois au moins. 




Enfin, après bien des souffrances, nous arrivâmes à la pantière avec les premières lueurs de l’aube. 




Deux collines couronnées d’arbres forment un étroit défilé dans la direction du sud au nord. Au sud, et bien avant le défilé, sont postés des rabatteurs armés de raquettes blanches, dont la forme affecte celle d’un oiseau de proie. Une partie des chasseurs se cache parmi les arbres, à l’entrée du vallon, le fusil armé, la poitrine prête. Au nord, on suspend à deux arbres, à l’entrée du défilé, un immense filet vert à larges mailles, et au delà se placent les autres chasseurs également cachés. Un haut sapin, qui a crû sur le penchant de l’une des collines, domine toute la scène. Iribarren, capitaine de la chasse, y grimpe et se blottit au milieu des branches. 




Tout est prêt, chacun est à son poste, le silence se fait, attendons ! 




Bientôt, à d'imperceptibles vapeurs qui surgissent à l’horizon, les rabatteurs devinent leurs victimes, quelques cris nous préviennent. Bientôt encore nous entendons dans l’air de nombreux frémissements, bientôt un grand bruit : c’est le vol qui s’avance. 



chasse pays basque autrefois
PREMIER RABATTEUR PALOMBIERE SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Une raquette s’élève dans l’air à sa droite, le vol effrayé se rejette à gauche ; une seconde s’élève encore, puis une troisième, puis d’autres, chaque fois que la bande voyageuse semble vouloir quitter la ligne qui conduit vers nous. Ainsi, forcément guidées vers le but fatal, les palombes, en vol serré, s’engagent entre les arbres du vallon : derrière elles des cris s’élèvent qui leur défendent le retour, devant elles se prépare une manœuvre perfide. 




Le capitaine de la chasse tient dans ses mains une palombe artificielle aux ailes déployées. Il la lance à la tête de la bande et dans la direction du filet. Le leurre plonge et tombe sur le sol ; la troupe ailée, croyant obéir à son chef, imite le mouvement, se rabat, et se jette en tourbillonnant au milieu des mailles. 


chasse pays basque autrefois
SECOND RABATTEUR PALOMBIERE SARE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Alors les cris redoublent, des coups de feu partent de tous côtés, et ceux des pauvres oiseaux que le filet n'a pas arrêtés tombent frappés de mort. 




C’est au milieu du champ de bataille, attristé de ce carnage facile, que j’ai quitté le vieux soldat d’Ascarat et mon hôte de la nuit. J’ai crié autant qu’un Basque, j’ai improvisé avec mille variantes tous les cris montagnards. N’en pouvant plus, la poitrine malade, j’ai repris avec une part de la chasse le chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port, retrouvant avec joie, après tant de tumulte, le calme et l’isolement de la vieille cité, et le cacolet qui ramène à Bayonne."



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