RENAU D'ELISSAGARAY D'ARMENDARITS.
Bernard Renau d'Eliçagaray, né le 2 février 1652 à Armendarits (Basse-Navarre, Basses-Pyrénées) et mort le 30 septembre 1719 à Pougues-les-Eaux (Nièvre), est un ingénieur et officier de marine, à l'époque de Louis XIV.
AFFICHE PASTORALE RENAU D'ELISSAGARAY |
Voici ce que rapporta à son sujet le bulletin N° 10 de la Société des Sciences, Lettres et Arts de
Bayonne, le 1er juillet 1932 :
"Un Basque illustre.
Renau d'Elissagaray 1652-1719.
Certaines époques ont une pléthore de grands hommes. Il semble que tous les grands artistes, les grands capitaines, les esprits éminents se soient entendus pour paraître en même temps. Ce spectacle nous est offert plusieurs fois dans l’histoire du monde, mais, fait curieux, ces hommes ne semblent être grands que par rapport à un autre plus grand encore, qui pour accomplir ses vastes desseins a su les découvrir et donner à leur génie, l’impulsion nécessaire à son développement. C’est ainsi que Louis XIV nous apparaît réellement comme une planète éblouissante ayant pour satellites Colbert, Condé, Luxembourg, Villars, Duquesne, Vauban et bien d’autres. Mais de même que Louis XIV absorbe en partie la gloire de ces hommes illustres, ceux-ci, à leur tour, éclipsent d’autres personnages de second plan qui, à n’importe quelle époque moins riche en génies de premier ordre, auraient été considérés comme tels et auraient eu la place qu’ils méritent. Tel est le cas du Basque Bernard d’Elissagaray dit petit Renau dont je vais avoir l’honneur de retracer devant vous l’étonnante carrière, tout en m’efforçant de vous dépeindre son caractère magnifique, incarnation parfaite des vertus de la race euskarienne.
Le nom d’Elissagaray est des plus anciens au Pays Basque. Un membre de cette maison, originaire de la Navarre espagnole, avait suivi Jean d’Albret quand en 1512 il fut dépouillé de ses possessions transpyrénéennes par Ferdinand II roi d’Aragon. Les d’Elissagaray ont été Seigneurs de l’abbaye laïque portant leur nom sur la paroisse d’Ibarrolle-Bunus. Par des mariages ils se sont alliés aux d’Arcangues-Gurrutchea, aux d’Yrumberry, aux d’Orzaiztegui ; mais je suis très porté à croire que Petit Renau n’a aucun lien de parenté avec ces nobles familles et que le nom d’Elissagaray qu’il n’emploie du reste jamais lui vient de sa maison natale située tout auprès de l’église d’Armendaritz, comme l’indique du reste l’étymologie basque : Elissagaray, au-dessus de l’église. Comme tant de fois dans notre région, la maison a donné son nom à ses habitants. En effet, au-dessus de la porte principale de cette demeure, aujourd’hui une auberge et une épicerie, on peut lire l’inscription suivante, qui entoure une croix gravée : "Pierrech eta Maria 1626" et au-dessus "Eliczagaray". Quoi qu’il en soit, les Elissagaray mènent à Armendaritz la vie simple et patriarcale des paysans de l’époque. Le père de notre héros, Tristan, qualifié dans son acte de mariage d’héritier d’Hostatuberri et de maître de la maison d’Elissagaray, a épousé le 31 Janvier 1645 Marie de Guilendéguy dont il a déjà quatre enfants Bertrand, Guillaume, Jean, et Marie, quand le jour de la Chandeleur de 1652 lui naît un quatrième fils, Bernard, baptisé le jour même par le vicaire François Durruty. C’est dans le cadre admirable d’une famille navarraise que le petit Bernard passe ses premières années. La tendresse, la piété de sa mère, les fortes vertus, la douce mais ferme autorité de son père et surtout l’atavisme de toute une ascendance plongeant ses racines dans le plus lointain du sol euskarien lui inculquent dès l’âge le plus tendre ces principes de foi, d’honnêteté, de patience et d’honneur qui le suivront dans toute sa carrière et que jamais il ne démentira.
Le vicaire Pierre de Suhart donne à l’enfant les premiers rudiments d’instruction. Son intelligence s’éveille, tout l’intéresse et on est émerveillé de tant d’esprit dans un corps si petit car les années passent et le jeune Bernard ne grandit pas comme il devrait, non toutefois qu’il reste un nain ou qu’il soit difforme. "Il avait, nous apprend Fontenelle, une très petite taille mais très bien proportionnée et qui tirait de l’agrément de sa petitesse même, l’air adroit, vif, courageux."
Claude de Montréal, baronne d’Armendaritz, dont le château est situé à un quart de lieue du village, remarque l’enfant et l’engage à son service. Bernard tout jeune encore quitte ses parents et revêt la livrée de page. En cette qualité il prend part aux jeux et surtout aux études des enfants de la châtelaine. Il est facile de s’imaginer tout le profit qu’il en tire, tellement que Madame de Gassion, en visite chez la baronne d’Armendaritz, est séduite par l’allure de son page et manifeste le désir de se l’attacher. Madeleine de Gassion, femme du président à mortier du parlement, nièce du fameux maréchal, est la fille de Monsieur Colbert du Terron, cousin germain du grand Colbert. Claude de Montréal ne peut rien refuser à une dame si bien apparentée et lui cède le jeune Bernard. Celui-ci quittant le Pays Basque pour le Béarn vit avec ses nouveaux maîtres dans leur château d’Arbus, à une lieue de Pau. A partir de ce moment, et je n’ai pu savoir pour quelle raison, Bernard change de nom et prend celui de Renau qu’il gardera toute sa vie. Etant donné l’exiguïté de sa taille, on y ajoute le qualificatif de petit et c’est sous le surnom de Petit Renau qu’il passera à l’histoire.
Au château d’Arbus, la société est choisie, policée. Au contact des gentilshommes béarnais, s’essayant à imiter le ton et les manières de la cour Petit Renau s’affine. Il écoute tout ce qui se dit, en fait son profit. C’est quand on parle le plus qu’il parvient à s’isoler davantage, à voir le plus juste, et à penser le plus profondément. De tout ce qu’il entend, il tire des réflexions tellement extraordinaires chez un jeune homme, qu’elles frappent M. Colbert du Terron en visite chez sa fille.
Monsieur Colbert du Terron n’est pas le premier venu ; si sa maison n’est pas très ancienne, il a su se créer une situation importante dans l’administration du royaume. Intendant de Sa Majesté à La Rochelle et très versé dans les questions maritimes, il a été chargé par le souverain de chercher un emplacement favorable à la création d’un nouveau port de guerre. Son choix s’est porté sur une petite seigneurie située à l’embouchure de la Charente, nommée Rochefort où depuis 1666 il est occupé à creuser un port, à bâtir un arsenal.
ARSENAL DU PONANT 1666 17 ROCHEFORT |
Colbert du Terron est la bonne fée de Renau. Sentant chez le jeune Basque des dispositions extraordinaires pour les mathématiques, il demande et obtient de sa fille l’autorisation d’emmener son page. Madeleine de Gassion consent bien à contre-cœur à se séparer de cet enfant qu’elle appelle son fils. Dans le lourd carrosse de voyage de son protecteur, Petit Renau gagne la Saintonge. A Rochefort il est accueilli avec joie au foyer de Monsieur du Terron. Traité en enfant de la maison, il fait partie de la famille à tel point que les deux filles cadettes de son bienfaiteur qui deviendront plus tard, l’une, la Princesse de Carpègne, l’autre, Madame de Barbançon, l’appellent leur frère. Et, comme le fait très justement remarquer Fontenelle, il faut qu’un jeune homme ait de rares qualités pour se faire ainsi aimer de tous dans une demeure étrangère.
Dans la ville naissante, l’actif du Terron mène tout de front : constructions civiles, militaires, navales, terrassements de toute sorte, assainissement des marais environnants. A la suite de son maître, Renau parcourt les chantiers, s’informe de tout avec une soif intense de connaître. Les maîtres charpentiers surpris de sa vive intelligence le promènent dans la coque des galères, entre les ponts, sur les mâts des frégates. A l’arsenal il étudie à loisir les différents canons, leur calibre, leur portée. Bientôt la construction et l’armement d’un navire de guerre n’ont plus de secrets pour lui.
ARSENAL 1690 17 ROCHEFORT |
Le soir dans la grande salle de l’intendance où sont réunis les du Terron et leurs hôtes, il s’isole, réfléchit, repasse dans son esprit tout ce qu’il a vu et entendu et s’instruit à force de méditer, sans presque jamais ouvrir un livre. L’adolescence de Renau s’achève ainsi dans cette atmosphère d’intense labeur. Son esprit est totalement accaparé par ses études et il y trouve son seul plaisir, ignorant tout des passe-temps de son âge. On est étonné qu’un garçon de vingt ans, vivant dans un port de guerre où fréquentent toute espèce de gens, conserve cette pureté de mœurs, cette intégrité totale et mène droit son chemin sans jamais défaillir. On ne peut expliquer cette attitude que par la profondeur de sa foi inébranlable de Basque. Aussi, ne faut-il pas s’étonner quand à vingt-deux ans, en 1674, il s’enthousiasme pour la doctrine que le père Malebranche, un oratorien, expose dans son traité sur la "Recherche de la vérité". Renau trouve un nouveau sujet de méditation dans les grands thèmes exposés par le maître, dans cette abnégation totale en la personne de Dieu.
LIVRE DE LA RECHERCHE DE LA VERITE DE NICOLAS MALEBRANCHE |
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