LES CAGOTS AU PAYS BASQUE EN 1877.
Un(e) cagot(e), dans le Sud-Ouest de la France, était aussi appelé agote, sur le versant Sud des Pyrénées, en Espagne. Il s'agissait de termes dépréciatifs qui désignaient des groupes d'habitants, exerçant des métiers du bois, ou du fer, frappés d'exclusion et de répulsion dans leurs villages, surtout au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Journal officiel de la République française, le 9 juin 1877, sous
la plume de Frédéric Béchard :
"Etudes historiques.
Les races maudites de l'Europe.
(2e et dernier article).
IV
Dans son Histoire des races maudites de France et d'Espagne, M. Francisque Michel passa en revue, province par province, département par département, les cagots des Pyrénées, les cagots de Gascogne, les colliberts du Bas-Poitou, les cacous de Bretagne et de Paray-le-Monial, les chuetas de Majorque, les vaqueros des Asturies, etc., etc., et discute un à un les divers systèmes à l'aide desquels on a essayé d'expliquer leur origine. Il réfute l'opinion de Marca, qui voit en eux des descendants des Arabes et des Sarrazins et qui attribue à cette origine syriaque le soupçon de ladrerie et de puanteur dont ils étaient atteints. Il n'admet pas davantage qu'ils soient les petits-fils des Goths vaincus à Vouillé, malgré la vraisemblance que donne à cette origine l'apparente étymologie de leur nom (ca-gots, chiens de goths). Le système qui en fait des réfugiés espagnols ou d'anciens ariens lui paraît également contraire à la vérité. Il combat tour à tour Court de Gébelin, leur donnant une origine albigeoise, et le Bordelais Venuti, prétendait, en vertu de l'homonymie des mots chrestians et lépreux dans la plupart des documents relatifs aux ladreries, qu'ils sont des chrétiens partis pour la croisade, d'où ils auraient rapporté la lèpre. L'idée qu'à la suite de ces controverses il finit par adopter, c'est qu'ils sont les héritiers de ces Espagnols compromis pour la cause de Charlemagne, qui se virent forcés, après la défaite de Roland à Roncevaux, d'émigrer dans le Midi de la France, et qui, mal accueillis et molestés par les indigènes, durent recourir, comme on sait, à la protection de Charlemagne d'abord, de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve ensuite.
M. V. de Rochas, dans son volume sur les Parias de France et d'Espagne, n'a pas de peine à faire ressortir tout ce que cette dernière thèse présente de spécieux. A son tour il examine les divers systèmes déjà analysés par M. Francisque Michel et s'applique à faire ressortir la logique et la vraisemblance de ceux qui font descendre les cagots des lépreux.
LIVRE LES PARIAS DE FRANCE ET D'ESPAGNE DE V ROCHAS |
"L'année 1555, dit Jean Darnal, avocat au Parlement et jurat de Bordeaux, MM. les jurats firent ordonnance que les gahets qui résident hors de la ville, du côté de Saint-Julien, en un petit faubourg séparé, ne sortiraient sans porter sur eux, en lieu apparent, une marque de drap rouge." Un autre document du seizième siècle, un règlement des corps et métiers de Bourdeaux, relatif à l'estat des pasticiers et en date de 1557, met les gabets à côté des ladres proprement dits. Enfin le Parlement de Bordeaux, par ordonnances des 12 août 1581, 9 décembre 1592 et 7 décembre 1596, fit défense aux gahets de toucher aux vivres des marchés et de sortir sans porter sur leur poitrine un signe rouge en forme de patte de canard, sous peine du fouet : ordonnances applicables aux capots de Labourd et de Soule (en pays basque) qui relevaient du Parlement de Guyenne.
Le parlement appliquait, on le voit, aux gahets les mêmes lois qu'aux lépreux. Toutefois il se gardait de les confondre. Ce qui le prouve, c'est son ordonnance du 14 mai 1578 qui prescrivait aux officiers et consuls de Casteljaloux et autres lieux de "policer ladres et gahets et, de leur faire porter la marque et le signal qu'ils ont accoutumé en tout temps, savoir : auxdits lépreux, les clignettes, et aux capots et gahets un signal rouge à la poitrine en forme de pied de canard". C'est sur cette distinction entre les ladres réels et "cette espèce de ladres, non du tout formez, mais desquels la conversation n'est pas bonne, qui sont charpentiers et bons travaillants et qui gaignent leur vie en cet art dans la ville et ailleurs" que M. V. de Rochas fonde sa théorie.
Il consacre son premier chapitre aux léproseries et mentionne les mesures terribles prises contre les lépreux : "Sis mortuus mundo sed sempervivus pro Deo." Plus sévère que la législation juive, celle du Moyen-Age n'admettait pas que le malade pût guérir. Bien plus certaines coutumes frappaient de déchéance sa famille tout entière. En retranchant le lépreux de la société, la loi visait l'hérédité plus encore que la contagion. "Lospros et mesetz ne se entremescleran ni se maridaran ab los aoutros." Ces sages rigueurs de nos pères, en circonscrivant le mal et en l'anéantissant à sa source, nous ont délivrés de l'effroyable fléau, mais elles créèrent une véritable population de maudits. L'horreur qu'inspiraient les lépreux retomba sur leurs enfants et, dans toutes les provinces où avait sévi l'affreuse maladie, on vit se perpétuer des générations en quelque sorte frappées d'anathème. Le préjugé avait survécu au péril.
Après avoir historiquement démontré, à l'aide d'authentiques et nombreux documents, que les cagots ne sauraient être considérés comme des petits fils d'hérétiques, de Sarrazins ou de Visigoths, M. de Rochas constate que les divers termes sous lesquels ils ont été désignés dans les différentes provinces répondent tous à l'idée de lépreux. Ainsi, en Bretagne, tous les dictionnaires donnent au nom de cacous le sens de ladres. M. Hersart de la Villemarqué a publié une chanson où le mot de caqueux est synonyme de celui de lépreux. En Espagne, le dictionnaire de l'académie espagnole, le vieux for de Navarre, le Romancero du Cid s'accordent à appeler un ladre gafo et une ladrerie gaferia. Lest mots de gafets (gahets) et ladros (ladres) sont indistinctement employés dans les coutumes du Midi de la France. Celui de Chrestians, quelle qu'en soit l'origine, était synonyme de gahets, ainsi que l'atteste une ordonnance des jurats de Bordeaux au seizième siècle, par laquelle "il est statué qu'aucuns de ceux que l'on nomme chrestiens ou chrestiennes, ou autrement dit Gahets, de quelque lieu qu'ils soient, ne pourront sortir de leurs maisons". Quant à l'étymologie de cagot, il suffit de suivre les transformations du mot celto-breton cacous ou caquous, dont le radical est le mot celtique kakodd qui signifie ladre, pour se l'expliquer. L'étymologie de cassot et capot est encore plus facile à trouver, puisque cassot (cassalus en latin) en basse latinité, séparé, (cassati, les séparés du monde), et que capot désigne évidemment la casaque à capuchon, la cape que portaient les lépreux. Tous ces mots sans exception expriment, on le voit, l'idée de ladrerie ; tous, sauf deux, sont des dérivés directs du mot kakodd. Aux yeux de M. V. de Rochas, les parias de France et d'Espagne étaient donc des descendants de lépreux sur qui, par la transmission du préjugé, héréditaire comme le mal lui-même, l'épouvante et l'aversion populaires ont fait peser, même après que tout péril de contagion a eu disparu, la malédiction dont avaient été frappés les pères.
THEODORE HERSART DE LA VILLEMARQUE |
A l'appui de son système, M. de Rochas invoque une considération d'une grande valeur. Il fait observer que les idiômes des différentes variétés de cagots sont complètement indépendants l'un de l'autre. Ils n'ont pas même de radical commun. Chacun d'entre eux est la langue même du pays où il est parlé : basque, languedocien, gascon, breton, suivant les lieux. C'est donc sur place qu'a pris naissance la caste dont il est le langage ; aucune question de race n'a rien à voir dans cette question toute locale. Comment admettre que les enfants d'une même famille, même dispersés sur les sols les plus divers, n'auraient pas gardé, dans l'expression de quelques-uns de leurs sentiments ou de leurs idées, un souvenir quelconque de l'origine commune ? Les Juifs ont-ils jamais cessé de parler l'hébreu? Les bohémiens, disséminés sur la surface de l'Europe, ne se relient-ils pas tous les uns aux autres, malgré l'altération qu'a subie forcément leur dialecte dans les différents pays où ils ont été jetés, par d'incontestables analogies de grammaire et vocabulaire ?
GITANS REMPAILLEURS A HENDAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Portée sur ce terrain par M. V. de Rochas, la question, si longtemps débattue, de l'origine des cagots, nous semble avoir fait un grand pas. L'histoire, l'anthropologie, la linguistique s'y trouvent d'accord. Sans doute, il est permis de se demander comment des gens atteints de cette effroyable maladie ont pu exercer les métiers de charpentier ou de cordier auxquels ils étaient voués, et conclure, par exemple, un marché avec le vicomte Gaston Phoebus pour les œuvres de charpente du château de Montaner. Mais il ne faut pas oublier qu'il existait plusieurs catégories de malades, — à côté de l'éléphantiasis, la simple lèpre blanche, — et que si les léproseries s'ouvraient aux plus atteints, d'autres victimes de la contagion avaient le droit d'habiter des maisons isolées, à condition de ne se mêler à la foule, ni dans les églises, ni dans les processions, ni dans aucun autre lieu public. C'est en ceux-ci que M. V. de Rochas voit les ancêtres des maudits dont il vient de nous retracer la savante et désolée histoire.
Dans son étude sur les cagots, l'auteur des Parias de France et d'Espagne, a été devancé par M. Francisque Michel. Pour les Bohémiens, il n'a eu guère à consulter, en dehors des intéressants mémoires publiés sur ce sujet par M. Paul Bataillard dans la Bibliothèque de l'école des chartes et dans la Revue critique, que des ouvrages étrangers.
LIVRE AUX BOHEMIENS DANS L'EUROPE ORIENTALE DE PAUL BATAILLARD |
"Jusqu'à la fin du siècle dernier où parut le livre de Grellmann, dit M. de Rochas, on n'avait que des conjectures sur l'origine des bohémiens... Grellmann rassembla un nombre assez considérable de mots bohémiens et il trouva que le tiers environ était hindou. Rapprochant alors la construction grammaticale de la langue bohémienne de celle des idiomes de l'Inde, il y trouva une analogie non moins frappante et en conclut que les bohémiens étaient venus de ce pays. Il alla plus loin encore, car, en cherchant parmi les principaux dialectes de l'Hindoustan celui qui avait le plus de rapports avec la langue parlée par les bohémiens, il s'arrêta à celui de Surate au N.-O. de l'Inde. C'était, du premier coup, approcher singulièrement de ce qui paraît être aujourd'hui la vérité. En effet, des travaux considérables, entrepris depuis lors dans la même direction, ont fixé le berceau des nomades connus dans les anciens pays de l'Europe sous les noms de Zincani, Zigucuner, Tchinguiânés, Tziganes, Gypsics, Gitanos, Bohémiens, chez l'ancienne tribu des Djatt ou Jatt, établis près de l'embouchure de l'Indus, dans le pays désigné aujourd'hui, comme le fleuve, par le nom de Sind. Cette solution du problème, entrevue dès 1849 par Bataillard chez les vieux annalistes arabes et persans, a été étayée par les travaux postérieurs de Trumpp et de Burton sur les idiomes du bas Indus."
LIVRE HISTOIRE DES BOHEMIENS DE H.M.G. GRELLMANN |
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