MADEMOISELLE DE MONTANSIER DE BAYONNE.
Marguerite Brunet, dite Mademoiselle Montansier, née à Bayonne le 19 décembre 1730 et morte à Paris le 13 juillet 1820, est une comédienne et directrice de théâtre française.
Tous les 8 mars, à l'occasion de la journée internationale des femmes (le 8 mars est devenu la
journée internationale des femmes suite à une décision du congrès des femmes socialistes, à
Copenhague en 1910), je vous propose de découvrir ou de redécouvrir le portrait de femmes
remarquables du Pays Basque, comme les femmes Républicaines emprisonnées à la prison de
Saturraran (entre 1937 et 1946), Catalina de Erauso, Madeleine de Jaureguiberry, Marga
d'Andurain, Margot Duhalde, les soeurs Feillet, Maria Luixa Erdozio, les revendications
féminines du Labourd en 1789 et Irène Némirovsky.
Voici aujourd'hui la comédienne et directrice de théâtre Mademoiselle de Montansier.
Voici ce que rapporta à son sujet l'hebdomadaire Le Monde artiste, le 13 septembre 1903, sous la
plume de Martial Teneo :
"Les "Petits papiers" de l'Histoire.
Procès de la Montansier.
Je n'ai point l'intention de récrire l'histoire de Marguerite Brunet, dite Mlle de Montansier, qui, née d'un employé aux Gabelles en 1730, devait mourir à l'âge de quatre-vingt-dix ans, après une existence remplie d'aventures extraordinaires. Celle qu'à Bayonne, sa ville natale, on avait surnommée dans sa jeunesse la Belle (Hermosa), l'ancienne élève des Ursulines de Bordeaux, la nièce d'une certaine Mme Montansier, revendeuse à la toilette rue Saint-Roch, la belle Béarnaise ainsi qu'on l'appela pendant dix ans dans les petites maisons que les nobles seigneurs possédaient aux coins retirés de la capitale, celle enfin qu'un coup de passion devait jeter entre les bras d'un médiocre comédien nommé Neuville, tint une place importante dans l'histoire de la Révolution et c'est au titre de "suspecte" que je vais m'occuper d'elle ici.
Tout le monde sait que Mlle Montansier après avoir dirigé des troupes en province avait fait débuter ses acteurs à Versailles, sur la scène du petit théâtre de la rue de Satory, qu'elle fit construire dans cette ville en 1775 le théâtre des Réservoirs et que de 1777 au jour où Louis XVI quitta le château de ses aïeux, elle déploya une vive intelligence et tint école de bonne comédie. On sait aussi qu'installée au Théâtre Montansier, elle fut "l'amante adorée" de Barras, que ce fut elle qui ménagea dans ses salons la première entrevue du jeune commandant d'artillerie Bonaparte avec son nouvel ami ; on sait encore qu'au lendemain du manifeste de Brunswick elle ferma son théâtre qu'elle avait dénommé le Théâtre de la Montagne pour complaire à Maillard, Saint-Just et Couthon et qu'elle organisa à ses frais une compagnie franche de 80 hommes pour l'envoyer à la frontière.
Après la victoire de Jemmapes à laquelle sa compagnie contribua, assurent quelques auteurs, Mlle Montansier — elle avait abandonné la particule de naguère ! — fit élever un théâtre sur le champ de l'action et, face à l'ennemi, donna aux enfants de la République, héros en sabots, couverts de loques glorieuses, un spectacle superbe suivi d'un feu d'artifice !
Puis elle revint à Paris pour y ouvrir son nouveau Théâtre National bâti par l'architecte Louis. Le succès fut énorme, écrasant pour les autres salles de spectacle, si bien qu'une coalition se forma contre Mlle Montansier.
Le 14 novembre 1793, Chaumette prenant la parole à la séance de la Commune, s'écriait :
"Je dénonce la citoyenne Montansier comme ayant fait bâtir la salle de spectacle rue de la Loi, pour mettre le feu à la Bibliothèque Nationale ; l'argent de l'Angleterre a beaucoup contribué à la construction de cet édifice, et la ci-devant reine a fourni 50 000 écus. Je demande donc que ce spectacle soit fermé, à cause du danger qui pourrait en résulter si le feu y prenait (Adopté.)"
Hébert ajoutait à son tour :
"Je dénonce personnellement la demoiselle Montansier ; j'ai des renseignements contre elle. Et il m'a été offert une loge à son nouveau théâtre pour m'engager à me taire. Je requiers que la Montansier soit mise en état d'arrestation comme suspecte (Adopté)."
Le Théâtre National fut fermé sur l'heure, et le lendemain même Mlle Montansier fut arrêtée au moment où, en compagnie de Fabre d'Eglantine, elle montait en voiture pour se rendre chez Mlle Contat qu'elle avait l'intention d'engager.
A quelque temps de là, alors que le Théâtre National devenait le Théâtre des Arts (grand Opéra), Neuville fut arrêté à son tour et conduit à la prison de la Petite Force où était détenue son ancienne maîtresse, demeurée son amie, son associée, et son épouse occasionnellement.
C'est ici qu'il convient de publier une suite de pièces complètement inédites, accompagnée de la Note suivante, due sans doute à un magistrat de la Commune :
"Affaire de la Montansier, Pétitions, avec signatures nombreuses d'acteurs, interrogatoire.
Liste des pièces révolutionnaires jouées à ce Théâtre depuis le 15 août 1793 jusqu'au 10 ventôse an 2, pétition ; interrogatoire de La Montansier, par la Commune de Paris, mémoires, arrêté du Comité de Sûreté générale.
La Dame Montansier avait été dénoncée par Chaumette et Hébert, comme ayant construit sa salle dans l'intention de brûler la Bibliothèque nationale ; comme ayant voulu servir les Émigrés, en plaçant leurs fonds dans son entreprise, elle se vante de prouesses révolutionnaires assez grandes, elle avait été envoyée dans la Belgique avec sa Troupe, pour y former les Esprits à la République. Elle met sur la même ligne Chaumette, le père Duchesne (Hébert) et Marie-Antoinette, et leur donne la même épithète de scélérat. A quelles basses turpitudes ne descendent pas les âmes viles, quand le malheur les atteint.
Le recueil de ces pièces peint L'esprit du temps, et peut former un chapitre curieux de son histoire."
Voici d'abord l'extrait d'une Note que le procureur de la Commune, Chaumette, avait fait passer à l'administration de Police :
"Montansier, considérée comme intrigante, dont les liaisons et les agents sont plus que suspects. — Voici, d'ailleurs, un article la concernant : "On cherche depuis longtemps quel est le moyen qu'elle a pu employer pour bâtir un théâtre qui lui revient à plus de trois millions ; cette Directrice n'ayant encore payé que le 12e du prix du terrain, il n'a pu servir d'hypothèque à des financiers, qui, comme on sait, n'avancent leurs fonds qu'avec la certitude de ne courir aucun risque. Ces réflexions ont fait soupçonner que la salle avait été bâtie avec des fonds appartenant à des émigrés qui les ont placés là pour en frustrer la Nation, etc.
Après la situation de quelques intrigants bailleurs de fonds, on ajoute : "le nommé Duplessis (ci-devant Chevalier) dont le seul métier, depuis vingt ans a été d'être escroc et le mercure de tous les ci-devants. Cet entremetteur est l'âme damnée de la Montansier, et il se vante partout de lui avoir fait prêter à lui seul plus d'un million. Comme il a été lié à cause de son infame métier avec des gens qui présentement sont émigrés, il seroit possible qu'il les ait engagés à placer les débris de leur fortune chez Montansier. "
THOMAS ANTOINE DE MAUDUIT DU PLESSIS |
Le coup était rude et immérité. Aussi, en femme courageuse, la Montansier lutta du fond de sa prison avec la dernière énergie. Sans la haine de Chaumette et de Hébert, il paraît certain que les inculpés eussent été rendus à la liberté. L'interrogatoire de la Montansier datant du 11 frimaire an 2 que je donne ici, le démontre assez :
"Ce jourdhui devant Nous administrateurs au Departement de Police est comparue une Citoyenne mise en état d'arrestation en vertu d'un arrêté du Conseil Général de la Commune de Paris en datte du vingt-quatrième jour du 2e mois Républicain.
Enquise de ses noms, prenoms, age, pays, profession et demeure.
A répondu se nommer Marguerite Brunet Montansier, âgée de quarante-cinq ans, née à Bayonne, Directrice de Spectacles, et demeurant à Paris, Palais de Légalité, n° 82.
A elle demandé depuis quant elle est à Paris ?
A répondu qu'il y a environ trente ans.
A elle demandé depuis ce tems quels ont été ses moyens de subsistances ?
A répondu que ses moyens de subsistances ont été le produit des Diférens spectacles qu'elle a tenus jusqu'à présent.
A elle demandé combien lui a coûté la Totalité de son Terrain situé enclos de L'ancien hôtel de Louvois.
A répondu que ledit terrain luy a coûté quatre cent soixante mille quatre cents livres ainsy qu'il est constaté par le contract qui en est passé devant Rouen et Robin notaires à Paris le sept décembre 1791, et sur la quelle somme elle a payé de ses deniers celle de cinquante-cinq mille deux cent quarante-huit livres.
A elle demandé si elle sçait a combien s'élève le prix de la Totalité des Batimens qu'elle a fait construire sur ledit terrain.
A Répondu ne pas le sçavoir de Memoire et que dailleurs tous les Memoires ne sont pas encore tous fournis ny reglés que de plus elle se propose de donner à cet égard tous les renseignemens qui seront nécessaires lorsquelle les aura acquis.
A elle demandé sy pour touttes les dittes constructions elle a fait marché avec un seul ou plusieurs entrepreneurs ?
A Repondu avoir fait marché avec le Citoyen Léonard Mouchonnet entrepreneur de Batimens demeurant a Paris Lequel par acte passé avec La Repondante en Janvier 1792, s'est engagé de construire la totalité de tous Les dits Batimens, a condition que jusqu'à la pentecôte 1792, époque a laquelle il devait livrer la Salle de Spectacle, de payer au dit Mouchonnet la somme de trois cent cinquante mille livres et que le surplus luy serait payé a raison de Soixante mille livres par chaque année jusqu'à definition de payement.
A elle demandé si jusqu'à présent elle a effectué envers le Citoyen Mouchonnet les conventions souscrites.
A Repondu oui, qu'elle les a effectuées jusqu'a présent.
A elle demandé qui luy a procuré Les fonds necessaires pour acquitter les dits Engagemens ?
A Repondu differens particuliers a quy elle a emprunté, savoir, cinquante trois mille livres au prosfit du Citoyen François Louis Claude Marin, rue St Honoré. Quatre vingt dix mille livres a Jean Charles Bertrand a Yverdun, canton de Berne, et demeurant alors a Paris rue des Vieux Augustins.
Deux cent mille livres avec subrogation en faveur d'Antoine Lepescheux négociant rue de L'Echiquier a Paris. Onze mille livres a Jean Mannehou Leudenor rue Saint-Joseph. Vingt mille livres a Marguerite Boudier veuve Allegre rue de Grammont. Quatorze mille livres a Guetteau Vellony et Victoire Marguerite Allegre Rue Saint-Thomas du Louvre. Total des sommes empruntées et qu'elle a données au dit Mouchonnet, quatre cent quarante sept mille Livres ainsy qu'il est constaté par les Differens actes passés chez Rouen notaire de la Repondante.
A elle demandé quelles sont ses relations avec Le Citoyen Neuville ?
A Repondu que le Citoyen Neuville est son associé dans les diverses entreprises sus enoncées et que les actes qui les constatent sont faits solidairement entre le dit Cen Neuville et la Repondante.
A elle demandé sy elle ne reste pas aussy en commun avec le Citoyen Neuville ?
A Repondu Oui.
A elle demandé quelles relations elle a avec le Citoyen Verrier.
A Repondu que Verrier, n'est autre chose que le Domestique de Neuville.
A elle demandé si elle connaît le Nommé Languet.
A Repondu qu'elle connaît le Nommé Languet pour venir quelques fois chés elle depuis environ deux ans, qu'elle sçait qu'il est patriote, parce qu'elle le voit toujours avec des Patriotes.
A elle demandé si le Citoyen Languet a eu quelque participation dans quelques-unes de ses entreprises ?
A Repondu, Non.
A elle demandé si dans les diverses emprunts qu'elle a fait il ny a pas quelques Bailleurs de fonds qui fussent Emigrés.
A Repondu que quand on luy a pretté ils n'étoient pas émigrés, et qu'a présent elle ne pense pas qu'aucun deux fussent Emigrés.
A elle demandé si elle sçait ou est actuellement le Citoyen Pescheux ?
A Repondu qu'elle L'ignore.
A elle demandé si elle connaît le Nommé Marin homme de Lettres ?
A Repondu quelle le connaît comme étant un de ses pretteurs.
A elle demandé sy elle connaît le Nommé Duplessis cy devant Chevallier ?
A Repondu quelle le connaît comme auteur.
A elle demandé si le Noé Duplessis ne luy a pas pretté ou fait pretter differens fonds ?
A Repondu Non.
A elle demandé comment se Nomme son Caissier.
A Repondu qu'il se nomme Cosmond dont le frère est Comédien chés la Repondante.
A elle demandé si lors que Dumourier vint a Paris l'hiver dernier il ne fut pas plusieurs fois chés la Repondante.
CHARLES FRANCOIS DUMOURIEZ |
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