BIARRITZ DÉCRIT PAR VICTOR HUGO EN 1843.
Victor Hugo, durant l'été 1843, voyage au Pays Basque, Sud et Nord, s'arrêtant en particulier à Biarritz.
Voici ce que rapporta La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, le 19 août 1897 :
"Biarritz décrit par Victor Hugo en 1843.
Je ne sache pas d’endroit, plus charmant et plus magnifique que Biarritz. Il n’y a pas d’arbres, disent les gens qui critiquent tout, même le bon Dieu dans ce qu’il a fait de plus beau. Mais il faut savoir choisir : ou l’océan ou la forêt. Le vent de mer rase les arbres.
Biarritz est un village blanc à toits roux et à contrevents verts, posé sur des coupes de gazon et de bruyères, dont il suit les ondulations. On sort du village, on descend la dune, le sable s’écroule sous vos talons, et, tout-à-coup, on se trouve sur une grève douce et unie au milieu d’un labyrinthe inextricable de rochers, de chambres, d'arcades, de grottes et de cavernes, étrange architecture jetée pêle-mêle au milieu des flots, que le ciel remplit d’azur, de soleil, de lumière et d'ombre, la mer d’écume, le vent de bruit.
ROCHE PERCEE BIARRITZ 1852 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je n’ai vu, nulle part, le vieux Neptune ruiner la vielle Cybèle avec plus de puissance, de gaité et de grandeur. Toute cette côte est pleine de rumeurs. La mer de Gascogne la ronge et la déchire, et prolonge dans les récifs ses immenses murmures. Pourtant, je n’ai jamais erré sur cette grève déserte, à quelque heure qu’on fût, sans qu’une grande paix ne me montât au cœur. Les tumultes de la nature ne troublent pas la solitude.
Vous ne sauriez vous figurer tout ce qui vit, palpite et végète dans le désordre apparent d’un rivage écroulé. Une croûte de coquillages vivants recouvre, les rochers. Les zoophytes et les mollusques nagent et flottent, transparents eux-mêmes dans la transparence de la vague. L’eau filtre goutte à goutte et pleure en longues perles de la voûte des grottes. Les crabes et les limaces rampent parmi les varechs et les goëmmons, lesquels dessinent, sur le sable mouillé, la forme des vagues qui les ont apportés. Au-dessus des cavernes croit toute une botanique curieuse et presque inédite, l’astragale de Bayonne, l'œillet gaulois, le lin de mer, le rosier à feuilles de pimprenelle, le muflier à feuilles de thym.
Il y a des anses étroites où des pauvres pêcheurs, accroupis autour d’une vieille chaloupe, dépècent et vident, au bruit assourdissant de la marée qui monte ou descend dans les écueils, le poisson qu’ils ont pêché la nuit. Les jeunes filles, pieds nus, vont laver dans la vague les peaux des chiens de mer, et chaque fois que la mer, blanche d’écume, monte brusquement jusqu’à elles, comme un lion qui s’irrite et se retourne, elles relèvent leur jupe et reculent avec de grands éclats de rire.
ETABLISSEMENT DE BAINS BIARRITZ 1852 PAYS BASQUE D'ANTAN |
On se baigne à Biarritz, comme à Dieppe, comme au Havre, comme au Tréport, mais avec je ne sais quelle liberté que ce beau ciel inspire et que ce doux climat tolère. Des femmes, coiffées du dernier chapeau venu de Paris, enveloppées d’un grand châle de la tète aux pieds, un voile de dentelle sur le visage, entrent en baissant les yeux, dans une de ces baraques de toile dont la grève est semée : un moment après, elles en sortent, jambes nues, vêtues d’une simple chemise de laine brune, qui, souvent, descend à peine au-dessous du genou et elles courent en riant se jeter à la mer. Cette liberté, mêlée de la joie de l'homme et de la grandeur du ciel, a sa grâce.
Les filles du village et les jolies grisettes de Bayonne se baignent avec des chemises de serge, souvent fort trouées, sans trop se soucier de ce que les trous montrent et de ce que les chemises cachent.
GRISETTE BORDEAUX 1818 |
Le second jour que j’allai à Biarritz, comme je me promenais à la marée basse au milieu des grottes, cherchant des coquillages et effarouchant les crabes qui fuyaient obliquement et s’enfonçaient dans le sable, j’entendis une voix, qui sortait de derrière une roche et qui chantait le couplet que voici, en patoisant quelque peu, mais pas assez pour m'empêcher de distinguer les paroles :
Gastibelza l'homme à la carabine,
Chantait ainsi :
Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine,
Quelqu'un d’ici !
Dansez, chantez, villageois ; la nuit gagne
Le mont Falou.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.
C’était une voix de femme. Je tournai le rocher. La chanteuse était une baigneuse. Une belle jeune fille qui nageait vêtue d’une chemise blanche et d’un jupon court, dans une petite crique formée par deux écueils à l’entrée d’une grotte. Les habits de la paysanne gisaient sur le sable, au fond de la grotte. En m'apercevant, elle sortit à moitié de l’eau et se mit à chanter sa seconde stance, et, voyant que je l’écoutais immobile et debout sur le rocher, elle me dit en souriant dans un jargon mêlé de français et d’espagnol :
— Señor estrangero, conoce usted cette chanson ?
— Je crois que oui, lui dis-je. Un peu.
Puis je m’éloignais, mais elle ne me renvoyait pas.
Est-ce que vous ne trouvez pas dans ceci je ne sais quel air d’Ulysse écoutant la Sirène ? La nature nous rejette et nous redonne sans cesse, en les rajeunissant, les thèmes et les motifs innombrables sur lesquels l’imagination des hommes a construit toutes les vieilles poésies et toutes les vieilles mythologies.
Somme toute, avec sa population cordiale, ses jolies maisons blanches, ses larges dunes, son sable fin, ses grottes énormes, sa mer superbe, Biarritz est un lieu admirable.
VUE GENERALE BIARRITZ 1852 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je n'ai qu’une peur ; c’est qu’il ne devienne à la mode. Déjà on y vient de Madrid, bientôt on y viendra de Paris.
Alors, Biarritz, ce village si agreste, si rustique et si honnête encore, sera pris du mauvais appât de l’argent sacra fames, Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes, des pantalons à ses baigneuses. Biarritz deviendra pudique et rapace. La pruderie, qui n'a dans tout le corps, de chaste que les oreilles, comme dit Molière, remplacera la libre et innocente familiarité de ces jeunes femmes qui jouent avec la mer. On lira la gazette à Biarritz ; on jouera le mélodrame et la tragédie à Biarritz, O Zaïre, que me veux-tu ? Le soir, on ira au concert, car il y aura concert tous les soirs et un chanteur en i, un rossignol pansu, d'une cinquantaine d’années, chantera des cavatines de soprano, à quelques pas de ce vieil Océan qui chante la musique éternelle des marées, des ouragans et des tempêtes.
Alors, Biarritz, ne sera plus Biarritz : ce sera quelque chose de décoloré et de bâtard, comme Dieppe et Ostende.
PORT DES PÊCHEURS BIARRITZ 1852 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Rien n’est plus grand qu’un hameau de pêcheurs, plein de mœurs antiques et naïves, assis au bord de l’Océan : rien n’est plus grand qu’une ville qui semble avoir pour fonction auguste de penser pour le genre humain tout entier et de proposer au monde les nouveautés. Les villes que baigne la mer devraient conserver précieusement la physionomie que leur situation leur donne. L’Océan a toutes les grâces, toutes les beautés, toutes les grandeurs. Quand on a l’Océan, à quoi bon copier Paris ?
Déjà quelques symptômes semblent annoncer cette prochaine transformation de Biarritz ; il y a dix ans on y venait de Bayonne en cacolet ; il y a deux ans on y venait en coucou ; maintenant on y vient en omnibus. Il y a cent ans, il y a vingt ans, on se baignait au Port-Vieux, petite baie que dominent deux anciennes tours démantelées. Aujourd’hui on se baigne au port nouveau. Il y a dix ans, il y avait à peine une auberge à Biarritz ; aujourd’hui il y a 3 ou 4 "hôtels".
PROMENADE EN CACOLET PAYS BASQUE D'ANTAN |
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