L'AFFAIRE DES AVORTEMENTS DE BIARRITZ EN 1911.
Avant le 17 janvier 1975 et depuis 1810, l'avortement en France était criminalisé et défini selon les époques de délit ou de crime. Sous le régime de Vichy, en 1942, l'avortement était considéré comme un crime contre l'Etat français et passible de la peine de mort.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Petit Parisien, le 29 mai 1911 :
"Les avortements de Biarritz.
Le défilé des témoins.
Pau. 28 mai.
Bien que ce soit aujourd'hui dimanche, la cour d'assises siège. M. le conseiller Correch qui dirige les débats avec la plus haute impartialité, a, en effet, hâte d'en finir. Nombreux en effet sont les témoins à entendre, car la défense en a fait citer beaucoup.
Le président reprend, à l'ouverture des débats, l'audition des témoins. Ceux appelés à déposer sur le fait Mercedes Jimenes, dite "Pepita Pilar", sont entendus. On sait que cette jeune femme, qui avorta de deux jumeaux, n'a pas été retrouvée, en dépit de recherches faites par la police.
Mlle Plassaud, que nous avons déjà entendue plusieurs fois et qui parait avoir été une des chevilles ouvrières de l'information, affirme avoir reçu l'aveu de la faute de Mlle Pepita Pilar. Celle-ci lui aurait déclaré qu'elle avait eu recours aux soins du docteur Long-Savigny. Elle aurait même ajoute qu'elle avait été très satisfaite. Le docteur Long-Savigny proteste avec énergie contre cette déposition.
EGLISE ST CHARLES BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous abordons maintenant le fait Gabrielle Rabauze, femme Poyet. Cette jeune personne aurait, en alors qu'elle était enceinte, reçu la visite, certain soir, vers cinq heures, du docteur Long-Savigny, qui serait demeuré une demi-heure environ auprès d'elle. Le lendemain une de ses voisines, Mme Pascual, qui avait remarqué sa grossesse, s'étonna de sa pâleur et la questionna à ce sujet. La jeune femme aurait alors avoué qu'elle s'était fait avorter, mais sans dire par qui l'opération fut faite.
Mme Poyet protesta, disant qu'elle n'a jamais fait de confidence au témoin.
A la demande d'un des avocats, Mme Pascual déclare qu'elle n'a pas été menacée d'une arrestation par le commissaire de police mais elle a rencontré au palais de justice de Bayonne plusieurs personnes qui lui auraient conseillé vivement de dire la vérité sous peine de se voir inquiétée.
L'avocat général : Etait-ce une des personnes qui avaient eu mission légale de vous interroger ?
Le témoin : Non.
L'avocat général : C'est tout ce qu'il me faut.
BAINS PORT-VIEUX BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
La déposition actuelle de Mme Pascual est moins précise, car, à l'instruction, elle avait formellement reconnu M Long-Savigny pour être le médecin venu en 1903 au chevet de la femme Poyet.
Sur le fait Meynard, la cour entend Mme Miramon, la mère de Mme Meynard, qui, nous l'avons dit, succomba aux manœuvres abortives dont elle avait été l'objet et au sujet desquelles le mari est poursuivi comme complice.
Ce témoin déclare que sa fille, au chevet de laquelle elle était accourue dès le début de sa maladie, lui avait dit s'être fait avorter par le docteur Long-Savigny mais elle ne saurait précise si ce fut chez elle ou chez le docteur que l'opération eut lieu. Elle ajoute que c'était Meynard qui avait conseillé à sa femme de se faire avorter.
Une vive discussion s'engage alors entre ta défense et l'organe du ministère public.
Me Ardisson s'étonne de ce fait, Mme Miramon, entendue d'abord à Montauban, où elle habite, n'avait pas, dans sa déposition, prononcé le nom du docteur Long-Savigny ce fut seulement à Bayonne qu'elle tint un nouveau langage, et il observe qu'à ce nouveau questionnaire, le procureur de la République était ce qui est, déclare-t-il, contraire à la loi.
Tel n'est pas l'avis de M. Sens-Olive, avocat général, qui pense que le procureur de la République a usé de son droit absolu.
La défense tend à insinuer par cette intervention que l'instruction n'aurait pas été dirigée en toute impartialité.
Des témoins, ajoute Me Ardisson, sont revenus complètement sur leurs premières dépositions. M. Correch clôt l'incident en disant que ce que les jurés doivent retenir c'est ce qui se dit à l'audience.
La déposition de Mlle Labegueyrie nous révèle un détail assez amusant. On a vu que son homonyme, la femme Labegueyrie, qui figure parmi les accusées, avait déclaré que si elle s'était fait avorter, c'était parce qu'elle craignait d'avoir des enfants difformes ou malades. Or, la sage-femme nous apprend que l'un des bébés de la femme Labegueyrie a obtenu un prix de beauté.
PLAGE BIARRITZ 1911 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Entre experts.
Le docteur expert Garat, déjà entendu dans trois autres affaires, appelé à déposer sur le décès de la femme Meynard, croit pouvoir affirmer qu'il fut la suite d'un avortement. Le corps de la défunte ne fut pas soumis à l'autopsie, l'exhumation étant inutile, étant donné l'époque éloignée de la mort. Le docteur Patry, de Paris, cité par la défense, combat les conclusions du rapport du docteur Garat. Une longue discussion scientifique s'engage alors entre les deux praticiens, discussion à laquelle prend part le docteur Long-Savigny.
Sur le fait Hirigoyen, le livreur Lafont se défend d'avoir dit à l'accusée qu'il connaissait une femme qui faisait avorter et de l'avoir conduite chez la femme Lassibille. La femme Hirigoyen affirme, cependant, qu'il fut au courant de sa grossesse comme de son avortement. Le témoin reconnaît que le 18 mars, comme il se rendait à l'instruction à Bayonne, quelqu'un qu'il ne connaît pas l'aurait abordé et lui aurait dit : "Niez, niez, toujours."
Après une suspension d'audience, la femme Lamothe, qui fut au service de la veuve Lassibille, chez laquelle l'accusée Hirigoyen aurait été en traitement, revient sur les déclarations qu'elle avait faites à l'instruction.
- Si j'ai signé, dit-elle, le procès-verbal qu'on m'a présenté, c'est parce qu'on m'a menacée, mais je n'ai jamais dit avoir entendu des gémissements partant de la pièce où était Mme Hirigoyen.
Le témoin affirme n'avoir jamais entendu non plus les propos qu'on lui prête ni avoir vu pénétrer le docteur Long-Savigny dans la maison.
Incident sur incident.
En présence de l'attitude de Mme Lamothe, le président décide que le juge d'instruction de Bayonne sera entendu et confronté avec elle-même.
Un incident est provoqué par la présence, à la barre, d'une autre locataire de Mme Lassibille, Mlie Yvonne Faure. Cette jeune femme prétend qu'on l'aurait obligée à signer, sous menace d'arrestation, à l'instruction, les déclarations qui figurent au dossier.
A ce moment, un troisième incident se produit. L'avocat général communique à la cour un télégramme venant de Bayonne et dans lequel il est écrit que le docteur Long-Savigny n'a jamais été tenu au secret. L'accusé avait dit y avoir été maintenu pendant soixante-dix jours.
L'affaire, on le voit, se complique. Un autre témoin, une femme Laguens, affirme, de son côté, avoir été l'objet de menaces de la part du commissaire de police de Biarritz. Ce magistrat confronté avec elle proteste avec énergie contre une pareille accusation.
Mme Lamothe rappelée à la barre prétend que lors de sa comparution chez le commissaire de police, ce fut Mlle Plassaud, déjà entendue, qui répondait pour elle. Elle dit encore que la femme Plassaud lui aurait conseillé : "Il faut le dire, ça l'enfoncera davantage", et elle faisait allusion au docteur Long-Savigny. Mlle Plassaud conteste le fait, elle révèle les circonstances qui l'auraient poussée à dire tout ce qu'elle savait contre le docteur Long-Savigny et à informer complaisamment la police.
- J'ai simplement voulu me venger, dit-elle, de ce qu'il m'avait fait. C'est lui, qui m'a fait inscrire sur les livres de la police.
Le docteur Long-Savigny s'élève avec indignation contre cette assertion. Il prétend, au contraire, que ce fut lui qui fit lever l'inscription infamante : "Et voilà de quelle façon vous me remerciez !"
Me Ardisson, avocat du docteur Long-Savigny, croit devoir rappeler que chaque témoin prête serment de parler sans haine. Or, Mlle Plassaud vient de déclarer qu'elle a obéi à un bas sentiment de vengeance. Son témoignage doit, donc être tenu pour suspect par la justice.
"Quant à moi, s'exclame-t-il, je le récuse complètement."
Le docteur Long-Savigny s'écrie alors : "C'est à cette femme, à qui je n'ai jamais fait aucun mal, que je dois d'avoir perdu ma liberté, ma situation, que je risque peut-être aujourd'hui le bagne. C'est déplorable."
Déposition élogieuse.
Cette partie du débat produit sur le public autorisé à assister à l'audience une grosse émotion.
M. le sénateur Forsans, maire de Biarritz, qui eut le docteur Long-Savigny comme premier adjoint, fait de ce dernier un grand éloge. Il le connaît depuis plus de vingt ans et rappelle son passé depuis le moment où il arriva à Biarritz. C'est, affirme-t-il, un travailleur, un homme profondément bon et honnête, ayant toujours rempli loyalement et avec dévouement les fonctions dont il avait été investi et qu'il croit incapable d'avoir commis les actes qu'on lui reproche. M. Forsans croit savoir que le docteur Long-Savigny est victime de jalousies, d'inimitiés que sa réussite à soulevées. Il dit encore que la situation de sa commune est des meilleures, au point de vue des naissances. Le dernier recensement l'a prouvé.
PIERRE FORSANS MAIRE DE BIARRITZ - MIARRITZE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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