LE SQUELETTE DE ROLAND RETROUVÉ
À RONCEVAUX EN 1934 ?
En 1934, lors de fouilles à Roncevaux, en Navarre, on découvre des squelettes, dont l'origine est inconnue.
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Paris-Soir, le 1er septembre 1934, sous la plume de
Stéphane Manier :
"Dans un décor immense où la légende rejoint l'Histoire.
Sont-ce les squelettes de Roland et de ses preux qui on a retrouvés au col de Roncevaux ?
L'exhumation imprévue de douze squelettes de géants émeut toute une région, passionne les historiens et fait évoquer avec émotion le grand drame guerrier qui se déroula il y a douze siècles.
De notre envoyé spécial Stéphane Manier.
Saint-Jean-Pied-de-Port, 31 août.
Cette découverte fait grand bruit, je vous l'assure. De Madrid à Pampelune c'est la grande controverse du jour. Les dignes religieux de l'abbaye de Roncevaux, pardon de Roncevalles, près de la frontière française en Navarre espagnole ont-ils découvert les restes, les squelettes, de Roland, Roland le Preux, d'Olivier et de leurs compagnons de combat ?
ROLAND A RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
Faut-il voir dans l'empressement espagnol et basque un excès de candeur gentille, d'enthousiasme. Ce qui délimite précisément la frontière psychologique entre les deux pays que les Pyrénées séparent c'est indubitablement la sagesse sceptique de la France.
Des fouilles dans un décor unique.
Voici bientôt deux semaines que des fouilles ont mis à jour des squelettes au sommet du col d'Ibanieta (lisez col de Roncevaux), et notre curiosité s'allume lentement.
Cependant là-haut à 1 057 mètres d'altitude, au sommet de l'un des plus beaux paysages du monde, des gens du peuple et des ecclésiastiques viennent voir ce spectacle à la fois mystérieux et pathétique. Douze squelettes bien alignés, respectables de taille et qui, je ne sais par quel sortilège, à cause du décor légendaire et magnifique à cause de nos souvenirs de lectures enfantines semblent nous faire par l'image suggestive une émouvante leçon d'histoire. Il suffit de les voir, de gravir la côte et la route qui monte en lacets, développe à vos yeux une suite magique de paysages doux comme un velours caressé de soleil, larges et sûr comme l'éternité, pour être sinon séduit du moins troublé.
MONUMENT A LA MEMOIRE DE ROLAND RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pourquoi pas ? se dit-on.
L'invraisemblable est si souvent vrai.
Tout a l'air si simple dans cette histoire, si mal arrangé, si peu fait pour convaincre les sceptiques que je tiens d'abord à en exposer la genèse.
La députation de Navarre, côté espagnol, préparait pour ce mois de grandes fêtes afin de commémorer le centenaire de la plus importante peut-être des découvertes pour la vie des lettres ; celle faite en 1832 de la première partie du manuscrit de la chanson de Roland : un monument conçu par des poètes, tant il est symbolique dans sa forme et ses détails, fut commandé à des artisans et des artistes de Pampelune. On l'inaugure ce dimanche. Cette initiative, au cœur du pays basque, ramenait donc l'attention et des autorités et des religieux de la région sur la grandeur et l'importance historique du sommet du col d'Ibanieta. Les Pères de l'abbaye de Roncevaux possèdent justement à cet endroit les ruines de la chapelle de Charlemagne. Quand le chevalier Roland, Olivier et les douze pairs et l'archevêque Turpin furent tués à Roncevaux, l'empereur des Francs décida, d'après la légende, d'ériger au sommet de la montagne une chapelle pour garder leur mémoire, leur mémoire et peut-être leurs corps. La petite chapelle, perdue dans la montagne, s'effrita ; au douzième siècle déjà il fallut la consolider par un mur ; au dix-huitième siècle elle fut reconstruite. Aujourd'hui elle n'est plus que ruines mousseuses, amas de pierres, moignons de murailles aux aspects illisibles.
CHAPELLE DE CHARLEMAGNE RONCEVAUX PAYS BASQUE D'ANTAN |
Depuis quelques années déjà, deux historiens, deux chanoines : l'abbé Dubarrat, de Pau et l'abbé Daranatz, de Bayonne, dans un copieux ouvrage d'érudition et dans leur conversation suggéraient que des fouilles fussent faites dans la chapelle.
Plus précis encore qu'eux fut un professeur de Pau, M. Olas, auteur d'une longue étude sur Roland à Roncevaux : la chapelle de Charlemagne, affirma-t-il, n'est autre que le tombeau de Roland et des douze pairs. Référence plus troublante encore, Joseph Bedier, avant d'écrire la chanson de Roland, d'en traduire la légende épique, s'est étonné que jamais des fouilles n'eussent été faites dans les ruines de la chapelle. Pour faire ces fouilles, il fallait décider les pères de l'abbaye de Roncevaux, propriétaires du terrain. Les hommes d'Eglise ont l'éternité pour eux.
Pressés par les érudits de la région de secouer le sol muet de la montagne, ils remettaient au lendemain. Tout de même, puisque les députés de Navarre organisaient des fêtes, les religieux paisibles se décidèrent à envoyer trois terrassiers remuer la terre entre les ruines de la chapelle de Charlemagne. Miracle !
Les restes des géants.
Ce qui n'aurait pas été tenté depuis des siècles, par un phénomène de distraction effarant, permettait en 1934 de découvrir à 60 centimètres de profondeur douze ou treize squelettes dont quelques-uns en parfait état de conservation. Le matin du 19 août la terre enlevée avec soin, comme un linceul, laissait voir à la face du ciel, dans une fosse plate, ensevelis à la même hauteur rangés pieusement — on dirait hiérarchiquement — douze squelettes, ou treize.
Un professeur de collège à Lille, un professeur d'histoire, car les miracles sont émaillés de coïncidences ou de signes, qui passait par là avec sa famille, interrogea les terrassiers :
"D'où viennent ces squelettes, demanda-t-il ?
C'est la tombe de Roland et de ses compagnons", répondirent les ouvriers.
— Sans doute voilà les squelettes de ces militaires qui furent vaincus par nous les Basques, pardon par les Sarrazins" ?
Les terrassiers basques n'insistèrent pas.
Pour l'histoire disons que ce sont les Basques de Pampelune qui défirent l'arrière-garde de Charlemagne.
La nouvelle est descendue jusqu'au val Confiant où en pleine saison Saint-Jean-Pied-de-Port reçoit son lot habituel de touristes. Saint-Jean-Pied-de-Port s'émeut.
Son maire est parmi les ardents que le nouveau mystère intrigue. Vite que les savants viennent ! D'ailleurs si les savants s'avisent d'être incrédules, les Basques, qu'ils soient d'Espagne ou de France, trouveront que la découverte est trop belle pour ne pas y croire.
Devant la tombe ouverte.
Devant la tombe ouverte, j'ai retrouvé quelques-uns d'entre eux. L'audace profane du journaliste est sans bornes. Pour protéger les squelettes, sans les changer de place, les ecclésiastiques de Roncevaux et les autorités espagnoles les ont fait recouvrir d'un nouveau linceul de tôle ondulée.
Je fis délibérément enlever cette armure et les squelettes apparurent. Deux d'entre eux, les plus beaux, se sont patinés : ils ont pris la couleur brune de la terre profonde.
Ils sont côte à côte.
— Voici Roland et Olivier, m'a dit un berger basque, qui parle le français admirablement.
"Vous remarquerez, m'avait dit l'animateur des fêtes, un écrivain espagnol, M. Huarte, que quelques-uns sont amputés d'un bras, d'autres ont été décapités."
Est-ce la preuve que ce sont là non pas des ecclésiastiques comme on pourrait être tenté de le croire mais des militaires, de grands blessés d'une guerre ancienne ?
J'avoue que dans ce décor immense et pathétique, le regard découvrant en plongée le vaste col qui mène vers la doulce France, je fus à mon tour saisi d'une certaine émotion. Si c'était vrai ?
FOUILLES RONCEVAUX 1934 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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