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vendredi 28 octobre 2022

SAINTE-ENGRÂCE EN SOULE AU PAYS BASQUE EN 1921 (cinquième et dernière partie)

 

SAINTE-ENGRÂCE EN 1921.


La commune de Sainte-Engrâce, en Haute-Soule, compte 851 habitants en 1921.




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NOUVELLE ET VIEILLE ROUTE DE LA CASERNE
TARDETS 1957





Voici ce que rapporta à ce sujet la revue Gure Herria, en juin 1922, sous la plume de l'Abbé 

F. Foix :



"Sainte-Engrace.



Le quartier de la Caserne et le bourg.



Après avoir franchi le premier pont qu'on rencontre sur la route, nous voici sur le territoire de Sainte-Engrâce, le bourg se trouve encore à onze kilomètres. Il faut avancer dans le ravin farouche, où la vue est bornée devant soi par les détours du chemin. Mais au-dessus, soit à droite, soit à gauche, s'aperçoivent sur les pentes abruptes de la montagne, d'immenses rochers qui, vus de loin, font l'effet de fantastiques chimères prêtes à s'élancer sur le voyageur. Ces grands blocs, d'essences variées semblent tenir par un miracle d'équilibre et menacent de s'élancer en avalanches comme ceux qui déjà ont roulé des hauts sommets sur le lit du torrent, et contre lesquels le gave va briser ses flots tumultueux avec un sourd grondement. La nouvelle route passe au-dessous du fameux Aphez jauzyagia, qui dût être autrefois comme son nom l'indique un passage dangereux où quelque prêtre dégringola dans l'abîme, victime soit du vertige, soit d'un cheval ombrageux.



Le tracé du nouveau chemin évite aussi un passage pittoresque, Harchiloua, coude de chemin semblable à un bastion taillé dans le roc, dominant à pic le torrent d'une hauteur de 200 mètres. Il a fallu à cet endroit se frayer à main d'homme une brèche à travers de noirs rochers composés de cailloux conglomérés durant la période d'éruption volcanique des Pyrénées. Le coup d'oeil était merveilleux du haut de ces rochers ; il est regrettable pour le touriste curieux de points de vue émotionnants, que Harchiloua soit inaccessible de la nouvelle route. L'ancien tracé traversait par endroit des taillis qui offraient des coins ombragés, accueillis avec ferveur durant les chaudes journées d'été ; maintenant on ne rencontre plus d'arbres sur sa route.



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HARCHILOUA LARRAU SOULE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Après ce défilé sauvage d'une longueur approximative de 2 k. 500 le panorama s'élargit et offre quelques aspects souriants ; par-delà le lit du torrent, sur les mamelons ombragés et verdoyants, de blanches maisonnettes perdues çà et là, mettent une note vivante et claire dans le paysage ; là vivent, souffrent, aiment, travaillent loin des agglomérations, loin des foules, dans la paix sereine de la vie pastorale, les habitants de ce recoin privilégié.



La route passe ensuite près des premières maisons de Sainte-Engrace, laisse sur sa droite un pont frêle et rustique, posé sur des rochers pour fondements, et qu'éclaboussent les folles eaux du gave.



Puis à un détour, où tout semblait fini, apparaît soudain une gracieuse esplanade, pleine de vie et de mouvement. C'est la Caserne des Douanes. Autrefois, ce recoin était un passage redouté durant la nuit ; là, aboutissaient la route qui descend du village, et le sentier qui conduisait d'Espagne en France ; ainsi cet endroit était trop souvent le poste d'embuscade préféré des détrousseurs de grand chemin. Nulle habitation ne donnait de garantie de secours au voyageur, dans ce désert ; les douaniers préposés à la garde des frontières étaient logés, là-haut, au village. Monsieur Arrambide, ancien curé de Sainte-Engrace, et homme d'initiative se rendait compte d'un côté, des dangers de la cohabitation de jeunes douaniers dans les familles du village, et d'un autre côté de l'insécurité, pour les passants, d'un endroit aussi dangereux que Kokillo, (nom que portait autrefois l'emplacement actuel de la Caserne). Il réussit à obtenir, vers 1840, du Conseil Municipal et de l'Administration, que les douaniers fussent tous réunis dans une caserne qu'on bâtirait dans ce parage malfamé ; et c'est ainsi que ce quartier autrefois désert, et repaire des brigands, prit le nom de quartier de la Caserne. Les malfaiteurs durent aller chercher ailleurs des endroits plus propices à leurs exploits et le Curé fut heureux de voir cesser la promiscuité des douaniers épars dans les familles.



La blanche Caserne des douanes est bâtie dans ce recoin qui semble être environné de toutes parts de montagnes en surplomb ; à côté, roule en multiples cascades, un petit ruisseau très poissonneux, et dont les eaux claires vont se jeter plus loin dans le gave. La Caserne n'est plus isolée ; à gauche, s'aperçoivent trois petits moulins avec leurs turbines mousseuses et leurs gerbes d'eau qui se pulvérisent en étincelles diamantées, quand elles sont actionnées ; devant, une auberge toute blanche et fort coquette ; à droite, une vaste maison d'école bâtie en 1891, une nouvelle auberge construite avant la guerre, et des baraquements de bois qui ont servi de bureaux à la Société Forestière, et d'abris aux ouvriers - voilà presque un village.



Il y manque une chapelle. Ce projet caressé par d'anciens curés et qui s'impose pour la commodité du service paroissial, paraît fort réalisable.



Le quartier de la Caserne est central pour les deux tiers de la population et semble tout indiqué pour devenir l'endroit où devrait s'élever une chapelle ou une église de secours. La vétuste chapelle actuelle située à 2 kilomètres de la Caserne sur un monticule abrupt et à laquelle on accède de toutes parts par des sentiers de chèvre, est loin d'être centrale. Elle a été érigée autrefois par les Chanoines de la Collégiale, dans le domaine de Dolainty qui était leur maison de campagne, dans laquelle ils allaient passer quelques jours de vacances ; cette chapelle fort exiguë d'ailleurs et sans aucun cachet, fut construite pour leur commodité personnelle. Lorsque la Collégiale fut supprimée, le service continua à se faire dans ce petit oratoire, et, s'imposa faute de mieux, car l'église paroissiale se trouve à 6 kilomètres plus en amont.



Mais l'accès est fort difficile et fatigant ; par ailleurs, la majeure partie des paroissiens, qui vont entendre la messe à Dolainty, est obligée de passer d'abord à la Caserne, pour remonter à la Chapelle.



D'où perte de temps et fatigue inutile seraient supprimés et pour les paroissiens et pour le Curé, si une nouvelle chapelle était construite dans les environs de la Caserne, ce qui ne paraît pas impossible, vu les bonnes dispositions des habitants.



Mais revenons à la Caserne des Douanes. Dans cette oasis de montagne, tout invite à une halte ou au repos : la propreté, la bonne tenue de l'auberge sont déjà un attrait pour le voyageur fatigué et sentant la faim qu'aiguise l'air de la montagne ; cependant les gourmets exigeants devraient s'y annoncer à l'avance, car en pareille solitude, les approvisionnements d'un menu recherché ne se font qu'au sû de leur emploi. Mais on est toujours assuré d'y trouver, même à l'improviste, la très simple et très propre cuisine basque, toujours appétissante ; on y mange souvent des truites incomparables pêchées au torrent voisin ; jetées vivantes encore à la poêle, elles y sautent et se recroquevillent avec des sifflements ardents.



C'est encore ici la "posada" traditionnelle des voyageurs espagnols, obligés de se présenter à la Douane pour la fouille de leurs bagages. La difficulté actuelle d'obtenir des passeports, a fort restreint le nombre des Espagnols qui viennent en France, surtout à Mauléon, pour travailler à la sandale durant l'hiver et retournent dans leur pays pour les travaux agricoles de l'été ; mais ce dernier vestige de la dernière guerre finira bien par disparaître et nous reverrons comme par le passé ces longues files d'émigrants, dévalant en chantant le long des ponts d'Athoro, des paquets de toutes dimensions sur la tête, et suivi par des caravanes d'ânes aux longues oreilles transportant les bagages les plus lourds. 



Il n'était pas rare de voir autrefois passer de longs convois d'Aragonnais ou de Navarrais aux costumes voyants et bariolés ; les Aragonnaises se distinguaient à leurs longs manteaux verts brodés qui tombaient sur les brogues qui les chaussaient.



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ARAGONNAIS



Mais ces costumes si curieux qu'il était fréquent de voir il y a vingt ans encore, tendent à disparaître. Les Espagnols veulent imiter sottement les Françaises qui en sont arrivées à abandonner presque partout les beaux costumes antiques qui faisaient l'originalité de chaque province. Bientôt, hélas ! nous arriverons par un progrès à rebours qui ne rêve que de modes bizarres, immorales et laides, à une uniformité qui fera disparaître à jamais les beautés typiques des vieux costumes provinciaux.



Après la halte à l'auberge de la Caserne, où on a repris des forces, on reprend le vieux chemin escarpé qui mène à la Caserne, en laissant sur la droite le chemin international qui conduit en Espagne par le col d'Ourdayte, si toutefois il est permis de donner ce nom au large sentier qui, après le passage du pont Saint-Laurent, gravit les pentes abruptes du quartier Athoro, pour aboutir au premier village espagnol, Isaba, après une marche fatigante de cinq à six heures.



Une nouvelle route qui ira de la Caserne au village de Sainte-Engrace est en construction, sur le même modèle que le tronçon déjà construit, de la jonction des Eaux jusqu'à la Douane. Ce nouveau chemin à la construction duquel s'était obligée la Compagnie Forestière, concessionnaire des forêts communales de sainte-Engrace, est presque entièrement tracé, en pente douce, en remontant le cours du Gave. Presque partout, il a fallu se frayer une voie dans le rocher, et si la route n'est pas accessible aux voitures, parce que le sol n'est pas nivelé, il n'en est pas moins vrai que le Decauville la remonte jusqu'à l'Eglise.



Le plus gros travail est effectué, cependant. La route eut été déjà livrée à l'exploitation à l'heure actuelle, si la Société Forestière, à cause de ses démêlés avec le ministère de la Guerre, au sujet des marchés conclus durant les hostilités et devenus inutiles, n'avait dû arrêter les travaux de la forêt et licencier son personnel, en attendant l'issue du procès en suspens devant les travaux.



Force nous est donc, surtout si on est à cheval, de suivre encore l'ancienne route. Au haut d'une montée pénible, d'où l'on aperçoit déjà les premières crevasses du fameux ravin de Kakoueta, on peut admirer le plus beau coup d'oeil qui se puisse imaginer. Sur la gauche, les grands bois de hêtres et de sapins qui montent à l'assaut des pics d'Arboty et d'Issarbe ; au loin le pic d'Arlas au pied s'aperçoit la Pierre Saint-Martin, où chaque année, le 13 juillet, les maires français des communes de la vallée de Barétous, viennent avec trois génisses à la rencontre des alcaldes espagnols de la vallée de Roncal, qui, en grande pompe, escortés de miqueletes et de carabineros, viennent recevoir le tribut fixé par un traité de 1375. Plus à l'est, le grand pic d'Anie, Ahune, pour les gens de la Soule, détache sur le ciel bleu sa cime altière couverte de neige, et s'achevant en pyramide aigue.



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DERNIERES MAISONS DE TROIS-VILLES ET PIC D'ANIE
PAYS BASQUE D'ANTAN



En face, le pittoresque quartier des joyeux habitants d'Athoro, dont les blanches maisonnettes disséminées au milieu des champs, des prairies et des taillis, se détachent clairement sur un fond de montagnes verdoyantes et boisées ; sur la droite le col de Lechartzu ou des Trois Croix qui mène à Larrau et au loin les crêtes dentelées des Pyrénées qui en s'abaissant vers l'Ouest vont se perdre dans le golfe de Gascogne.



A nos pieds s'aperçoit le grand barrage élévateur du gave, construit pour alimenter l'usine hydro-électrique de la jonction des Eaux. Ce barrage qui est une oeuvre d'art offre l'aspect merveilleux d'une chute d'eau qui s'élance en cascades d'une hauteur de 31 mètres sur une largeur de 35 mètres, lorsque le débit du gave est supérieur à 5 mètres cubes à la seconde, utilisés par la prise d'eau du canal de l'usine. Durant la période des crues le barrage déverse plus de trente mètres cubes d'eau à la seconde, et on entend alors un sourd grondement comparable à celui du tonnerre qui vient se répercuter dans la vallée.



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BARRAGE ET USINE HYDRO-ELCTRIQUE STE-ENGRÂCE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Le barrage élévateur est établi au commencement des gorges du pont d'Enfer, distant de 590 mètres en amont ; il est construit dans une partie du gave fortement encaissée et dont les berges atteignent jusqu'à 60 mètres au-dessus du lit du torrent, et où la pente de fond est de 21 mètres dans la direction du gave de Sainte-Engrace et de 1 110 mètres dans la direction de Kakoueta, où l'eau vient effleurer le moulin. Dans cet intervalle, la plus grande largeur submergée est d'environ 60 mètres, et le plus petite de 5 mètres ; mais si on tient compte que seules les gorges du Pont d'Enfer, à peu près inaccessibles sont intéressées par le remous de cette eau qui constitue un vrai lac, on comprend que la plus ou moins grande largeur submergée provient simplement du plus ou moins grand écartement des falaises à pic. Pour se rendre compte du travail fantastique auquel il a fallu se livrer pour construire un pareil barrage, il est bon de savoir que l'épaisseur du mur à la base, épaisseur qui va en diminuant progressivement vers le sommet, est de 30 mètres, et qu'il n'a pas fallu moins de 32 000 sacs de ciment pour la maçonnerie. Lorsque l'usine de Licq fut déclarée d'utilité publique, la durée des travaux fut fixée à 30 mois environ ; la guerre éclata presque dès le début ; néanmoins l'oeuvre pût être achevée malgré les difficultés qui paraissaient insurmontables, et l'usine électrique fonctionnait dès 1917.




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MOULIN DE KAKOUETA STE-ENGRÂCE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il faut aussi admirer une svelte passerelle en bois, d'une simple travée, construite devant le barrage, permettant le passage d'une rive à l'autre, et conduisant à la maisonnette du gardien de l'écluse.



Le barrage élévateur constitue donc en ce moment une vraie curiosité ; il est néanmoins regrettable que sa construction ait fait perdre de son cachet au Pont d'Enfer qui relie le quartier d'Athoro à celui d'Akhuleta. Le pont d'Enfer actuel est de construction relativement récente ; il est bâti en pierres de taille et a remplacé en 1895 un vieux pont qui avait sa légende. On prétend qu'il restait inachevé parce que les Lamigna qui s'étaient chargés de le construire, dans une seule nuit avant le chant du coq, durent se disperser avant de le mener à bonne fin. L'enjeu du travail était une personne de réelle beauté qui devait devenir l'épouse du chef des Lamigna, si le travail était accompli avant que le coq n'eût chanté. La belle avait un prétendant dans le pays, et celui-ci, à son grand désespoir voyait que le travail progressait à vue d'oeil et serait achevé bien avant l'heure où Chantecler prélude au lever de l'astre du jour.



Que faire ? Il s'ingénie dès minuit à provoquer un coq à chanter, en poussant lui-même des cocoricos sonores et a le plaisir d'obtenir satisfaction avant l'heure habituelle du chant des coqs. Les Lamignas étaient joués, et la belle sauvée. Ceux-ci s'enfuirent en laissant une partie du pont inachevée, et oublièrent dans leur fuite éperdue un trésor qui est là encore, déposé par eux dans un trou béant à côté du pont, et appelé encore de nos jours Lamigna ziloa, trou des cyclopes. La légende prétend que plus d'un chercheur cupide a tenté à travers les siècles d'enlever ce trésor ; aucun n'est revenu à la lumière.



Quoiqu'il en soit de la légende, il est un fait certain que du haut du parapet, avant la construction du barrage, la vue à travers les cimes de grands chênes qui avaient poussé sur les parois du ravin, plongeait sur le torrent qui grondait et écumait à 40 mètres au-dessous. On ne pouvait fixer l'eau courante sans éprouver le vertige et se rejeter en arrière pour ne pas tomber dans le vide. L'eau s'est actuellement élevée de 25 mètres au-dessus du niveau antérieur, aussi le Pont d'Enfer a perdu de sa curiosité et ne permet que d'admirer sans danger une vaste nappe d'eau d'un bleu merveilleux."






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