DRAME À SAINTE-ENGRÂCE EN SOULE AU PAYS BASQUE EN JANVIER 1855

DRAME À SAINTE-ENGRÂCE EN 1855.

Un fait divers tragique bouleverse le petit village de Sainte-Engrâce, en Soule, en 1855.

SAINTE-ENGRÂCE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Petit Courrier de Bar-sur-Seine, dans son édition 

du 2 février 1855 :

"Une lettre écrite des Tardets, au Mémorial des Pyrénées, le 26 janvier, trace le terrible tableau d’une scène d’hiver aux Pyrénées : 

Neuf habitants de Saint-Engrâce se dirigèrent jeudi, 18 du courant, vers l’Espagne pour y aller chercher du vin ; ils ne purent revenir que le samedi. Arrivés à un sentier qui domine un précipice de huit cents mètres de profondeur en quelques endroits et de trois cents au moins sur ce point, ces intrépides colporteurs qui traversent souvent les Pyrénées sous un poids de quarante kilos, portaient chacun quarante litres de vin sur le dos ; les quatre premiers franchirent l’obstacle et crièrent aux autres que la couche de neige, assise sur le roc et le verglas, allait se détacher et les entraîner dans le gouffre ; l’habitude de ce danger les enhardit et ils voulurent tenter ; quatre de ces malheureux roulèrent avec la masse de neige qu'ils s’efforçaient de fixer en enfonçant leur bourdon ; leurs efforts furent inutiles, ils ne purent que jeter un adieu déchirant à leurs compagnons ; ils furent lancés dans l’espace et précipités au fond de l’abîme ; le cinquième et dernier à peine engagé, resta sur un monceau de neige qui se détacha, avant la chute, du corps de cette masse ; et cinq sur neuf se rendirent précipitamment au village distant de six kilomètres. 

SAINTE-ENGRÂCE
PAYS BASQUE D'ANTAN

A peine cette déplorable nouvelle fut-elle donnée, que les habitants de Saint Engrâce, ces courageux montagnards dont la hardiesse est proverbiale, s’élancèrent vers le lieu de l'événement, malgré les cris des femmes et des enfants, malgré un mètre de neige, et quoiqu’ils fussent convaincus qu'ils ne trouveraient que des cadavres ; et une quarantaine volèrent sur les lieux pendant que deux tristes messagers allaient prévenir les autorités. 

SAINTE-ENGRÂCE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le plus hardi ou le premier arrivé, muni d’une corde (ils en portaient chacun une, la plus longue qu’ils purent se procurer), en présenta un bout à son suivant, et s'empressa de glisser le long des parois de cette muraille de granit ; il s’arrêta sur une aspérité, à la longueur de sa corde épuisée ; il y fut bientôt rejoint par le second, qui y descendit par les mêmes moyens ; alors, il fila une autre longueur par le même procédé, et ainsi toujours retenu et suivi par une trentaine de camarades tous suspendus en l’air, il atteignit, seul, le fond du précipice... Je ne vous dépeindrai pas les angoisses qu’il dut éprouver ; la neige, la glace, le froid, les chutes des pierres, la nécessité de conserver ses forces, tout cela ne fut que l'accessoire de l’impression dont il fut saisi à la vue de quatre cadavres en lambeaux; il résiste à tout et se met à l’ouvrage ; il attache un bout de sa corde sous les aisselles d’un cadavre, il en passe l’autre bout à son compagnon qui 1'attendait à la distance de la corde, il pousse et l’aide à hisser ; celui-là en fait autant à son tour, et c’est par ce prodige de force physique et morale qu’une trentaine d'hommes ainsi échelonnés, ont fait remonter les quatre cadavres, et les ont déposés sur un sentier qu’on appelle un chemin, et qui a à peine la longueur nécessaire pour les contenir tout en long ; et cependant c’est par là que passent les voyageurs et les contrebandiers."

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