DE BAYONNE À SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT EN 1854.
Au milieu du 19ème siècle, on commence à découvrir le Pays Basque intérieur, en particulier la Basse-Navarre.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette nationale ou Le Moniteur universel, dans son
édition du 22 novembre 1854 :
"Autour de Bayonne.
Saint Jean-Pied-de-Port. — Le Cacolet. — La Paume. — L'hospitalité basque.
Deux chemins et trois véhicules conduisent de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port.
L’un des chemins part de la porte Sud-Est, traverse Saint-Pierre d'lrubi et Mendionde ; l’autre passe par Cambo et la montagne. Les moyens de transport sont la diligence, ressource de tout le monde ; la voiture à bœufs et le cacolet, moyens propres au pays basque et d’une piquante originalité.
Prenez un cheval hors d’âge, d’une naissance inconnue, ferré peu ou point, les genoux couronnés, bronchant souvent, s’abattant quelquefois. Sur son échine un bât mal attaché, tournant au gré de la charge. Aux deux côtés de ce bat deux objets innommés, cages à poulets, paniers de bois, deux sièges, puisqu’il faut tout avouer, bourrés de paille, drapés d’une toile à carreaux ; c’est là le cacolet.
A côté de cette bête si pauvrement équipée, court une femme. Elle était autrefois jeune, fraîche et agaçante ; elle avait un joli nom : Gracieuse, ou Marianotte ou Saubade ; elle est vieille aujourd’hui et son nom jure ; le cacolet se meurt et la cacoletière ne se renouvelle pas ! Elle porte d’une main un fouet pour réveiller les ardeurs endormies de sa bête, de l’autre main une branche garnie de feuilles pour défendre Brillant (c'était son nom jadis) des piqûres des taons.
Ainsi dressé, monté, conduit, le cacolet servait, il y a des années, à tous les transports dans la montagne et sur les sables. Avant qu’une route solide ne fût ouverte entre Bayonne et Biarritz, le cacolet, aujourd’hui chassé de son empire par tant d’appareils roulants, conduisait doucement à la mer les curieux et les rares baigneurs. Ou ne croyait pas alors aux mérites des flots ; mais il y avait à Biarritz une roche percée, d’une forme curieuse, il y avait des cavités dans lesquelles la lame faisait grand bruit ; il y avait, près de ce but modeste de la curiosité bayonnaise, une baraque en bois et un brave homme qui vendait de la bière. C’étaient là le Biarritz d’autrefois et l'étape du cacolet.
A la porte d’Espagne, Gracieuse, appuyée sur la croupe sèche de son cheval, vous criait : U cacoulet, moussu ! Vous acceptiez de la tête ; l’animal était conduit entre deux bornes ; vous vous hissiez sur un panier. Gracieuse s'élançait sur le second, prenant avec elle un pavé ou deux pour compléter son poids inférieur au vôtre. Puis : Anem, parlim, Brillant, per ana proumenat aou coustat de le ma ! Et Brillant s'en allait pas à pas, balançant sur son dos cette étrange machine ; portant, les jambes pendantes, le dos sans appui, le promeneur et la jolie fille d’Anglet.
Pendant la moitié du trajet on suit la grand’route ; le chemin est fréquenté, les uns vont, les autres viennent ; le paysan labourdin salue d’un agour, en souriant. Le promeneur, fort préoccupé de l'instabilité du véhicule et de la mouture, ne questionne pas, répond à mots rompus aux rires et aux caquets de Gracieuse, songe à peine à regarder ce fin minois, cette jolie taille, ce sourire agaçant, cette tête si bien posée et surtout si élégamment entourée du madras aux vives couleurs. Mais peu à peu ses reins s’assouplissent, ses jambes balancent sans chercher un appui. Brillant a pris à droite ; il suit, dans les sables, un chemin bien doux où son pied pénètre et ne choppe plus. Notre voyageur lève plus aisément la tête ; il regarde, il écoute, il admire, il s’anime, il s’agite même et il provoque. De grandes haies de mûres sauvages bordent la route solitaire ; Gracieuse rit si bien et ses dents sont si blanches ! Si près de l’étape, d’ailleurs, faut-il laisser fuir cette séduisante occasion ?
Malheureux ! tout cela est un piège ; et vienne un propos trop hardi, une tentative audacieuse, Marianotte ou Saubade glisse doucement eu bas de son siège, laissant tourner l’édifice sans contrepoids, et rouler dans la poussière l’entreprenant voyageur.
La voiture à bœufs chemine avec une lenteur magistrale, dignement, à petits pas, sans qu’aucune émotion, aucune excitation puisse troubler le flegme de l’attelage. Et ce n'est pas uniquement une charrette portant des provisions à la ville, un tombereau de forme primitive servant aux travaux agricoles ; c’est aussi un équipage de maître qui traîne sur le grand chemin un digne seigneur campagnard ou une antique douairière en visite de cérémonie.
Il faut distinguer si le bouvier est Gascon ou s'il est Basque. Gascon, il sautille à la tète ou aux flancs de son attelage, l’animant du geste, le touchant de l’aiguillon, mais sans appeler le sang, et assez seulement pour l'excitation du moment. Le bouvier gascon parle à ses bêtes avec vivacité, les provoque, les encourage et ne le injurie jamais. — Bé ! béou, bé ! (va, bœuf, va !) dit-il à tous les deux.
— Daü en abou, Martin, (marche en avant, Martin !) ajoute-t-il. Martin, c’est le bœuf de gauche ; ce nom et cette place sont invariables.
Puis il passe au bœuf de droite ; son nom est Jean.
— A tu Jouan ! lui dit-il (prononcez iouane).
Jean donne un élan, le joug avance ; Martin recule, l’attelage n’en va pas plus vite, et le bouvier menace ses bêtes de sa colère. — Ne mi hesquis pas bouta ! (Ne m’y fais pas mettre.)
Et c’est ainsi qu’on parle aux bœufs en pays de Gascogne.
Le bouvier basque est plus grave et non pas plus patient. Il ne sait pas modérer la vigueur de sa nature, le besoin d’action qui le domine, au gré de la lourde allure de ses bêtes. Il marche à grands pas en avant, la tète roide, le corps cambré, portant haute et droite sa longue baguette armée de l’aiguillon ; puis, lorsqu'il est arrivé à vingt pas, à trente pas de ses bœufs, il se retourne, revient sur eux, les stimule, les pique, repart et revient encore.
Celui-ci, — l'un des bœufs, — se nomme Piarrés (Piarrèche) ou Pierre ; celui-là Manés (Manèche) ou Jean. Ils s'attellent indistinctement à droite ou à gauche. La manoeuvre est simple, les interpellations ne sont pas fréquentes ; un mot suffit à tous les deux. Mais la colère est terrible, injurieuse, et l'aiguillon tire du sang.
Au départ le Basque brandit son arme, touche ses bêtes l'une après l'autre, et leur dit hotche ! ce qui équivaut à : en avant !
A l'arrivée, notre homme pose son bâton en travers sur le joug, et dit en point d'orgue ; dia ! cela signifie halte !
En chemin, à trente pas en avant, il les appelle.
Aughi ! dit-il à l'un, avance ! Aughi onat ! crie-t-il à l'autre, avance ici ! Piarrèche et Mannèche se contentent souvent de l'invitation et se mettent à courir ; mais quelquefois aussi ils ne se pressent pas davantage. Notre Basque alors de se mettre en fureur ; il revient sur ses pas, joue de l’aiguillon et jure par le diable : Debrouïa ! Puis, joignant les blessures de l’amour-propre aux piqûres de l’acier, il injurie Manèche d’un Debrin bichaïa ! (figure du diable) , Piarrècbe d'un Debrin ourdia ! (figure de cochon), et il est rare que les bêtes n’y soient pas sensibles.
Voilà encore comment on parle aux bœufs dans le pays de Labourd.
Je n’ai pas tout dit à propos de la charrette basque. On l’entend venir à 200 mètres ; c’est un bruit étrange, criard, agaçant, que les chiens accueillent en hurlant et les passants en se bouchant les oreilles. L’essieu adhère aux roues et tourne avec elles en frottant sur les traverses du fond. Et ce bruit infernal n'est pas un fait accidentel, un acte isolé de paresse et d'inertie. Chez un peuple intelligent et réfléchi comme le peuple basque, de telles choses ne se font qu'à dessein. C'est à dessein que l'essieu grince ; c'est à dessein que les roues sont pleines et non faites de rais et de jantes comme celles en usage dans la plaine, à dessein encore qu'elles sont amincies vers la circonférence.
ATTELAGE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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