LE PAYS BASQUE PAR PIERRE BENOIT EN 1955 (deuxième et dernière partie)
PIERRE BENOIT ET LE PAYS BASQUE.
En 1955, paraît, en 1955, dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, un article de Georges Viers concernant le Pays Basque, vu par Pierre Benoit.
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
Voici ce que rapporta la Revue Géographique des Pyrénées et du Sud Ouest, en 1955.
...Nous connaissons aussi des maisons où l'on plonge encore des fers rougis dans le kaikua de bois pour faire bouillir le lait. Mais on ne saurait en déduire que l'outillage pastoral soit resté immuable. Il suffit, pour en juger, de venir en mars et de se trouver nez à nez au détour d'une route avec le camion isothermique de la Société de Roquefort, ou, plus tard, avec la Jeep chargée de bidons de lait descendant des cimes. Mais comment voir l'avenir dont se charge déjà le présent quand les formes les plus traditionnelles vous échappent ? L'A. loge les bergers dans une "fragile demeure de planches". La référence est de...Fr. Jammes. Cela prouve que cet écrivain n'avait pas l'expérience ou le passé d'un Eugène Le Roy ou d'un Henri Guillaumin. Le cayolar souletin, la borde navarraise sont bâtis en grosses pierres avec un mortier de torchis et n'évoquent guère la fragilité, sinon vus de très loin. Il faut aussi voir notre province de très loin, avec l'optique de la Savoie, pour y découvrir ces "petites maisons... à altitude moyenne... qui servent d'habitation aux paysans pendant la belle saison". Surtout quand la photographie vous montre une de ces pauvres exploitations trop communes dans la montagne bas-navarraise, qui sont, tout comme les autres, habitées l'année durant. La transhumance, en Pays basque français, n'a jamais déplacé que les animaux et quelques jeunes gens. Bravades, estocades et fusillades étaient jadis le lot de cette jeunesse turbulente aux prises avec les bergers des vallées voisines qui les rejoignaient sur les mêmes parcours. En famille, on se serait moins égorgé. Mais celle-ci ne quitte — et n'a jamais quitté — ni son village, ni sa demeure.
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
Ceux-ci non plus n'ont pas longtemps retenu l'attention d'un photographe distrait. Sinon, où aurait-on vu des cimetières tapissés de fougères et, aux, confins de la Soule, un village d'" humbles masures" qui est, paraît-il, l'Hôpital Saint-Blaise ? Il est pourtant bien peu de maisons basques qui mériteraient ce qualificatif. L'etchea, destinée à loger la très grande famille du XVIIIème siècle qui l'a bâtie, dépourvue de cave, devant abriter une belle masse de foin et le maïs qu'il faut étaler, logeant au rez-de-chaussée charrerie, cuves et bétail, n'est jamais une chétive demeure. Celles de Navarre ou du Labourd sont particulièrement imposantes ; en Soule, elles sont du type béarnais et comportent parfois plusieurs bâtiments.
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
M. P. Benoît a mal vu la nature et les choses dont s'entourent les hommes. On pouvait penser que son métier de romancier, sa pratique des humains le rendraient plus sensible à l'égard de ceux-ci. Pourtant, de la gène de Ciboure, il n'a rien vu...que le mutisme et le mystère de ses blanches maisons. Mais il n'a pas su que la concurrence des usines d'Agadir, la disparition des bancs de sardines plongeaient les familles de marins dans la détresse...De Mauléon, il n'a ramené qu'un cliché et dépeint la cité de la sandale sous des "allures nonchalantes et paisibles", alors que Mauléon, en dépit de la crise qui la frappe aussi injustement, est le modèle de la régénération de nos petites villes du Sud-Ouest par l'industrie.
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
Deux autres détails pouvaient servir de base à d'utiles réflexions sur les problèmes sociaux actuels : la survivance d'une émigration transocéanique et la vitalité de la contrebande. Mais là encore, il aurait été souhaitable d'aller un peu plus au fond des choses et, par exemple, de ne pas reprendre sans critique cette notion un peu simpliste qui fait de la loi du 17 ventôse An II, supprimant le droit d'aînesse, la cause de l'émigration. De tous temps, le patrimoine foncier est resté indivis en Pays basque. Avant comme après "l'affreuse loi", les cadets ont dû rester célibataires ou bien émigrer. Au XVIIIème siècle, cela donnait un bon nombre d'enfants naturels, mais surtout une importante émigration. La comparaison du chiffre des baptêmes et de celui des sépultures indique alors de gros excédents de naissances dont on ne retrouve pas l'équivalent dans l'accroissement de la population. La différence représente l'émigration de cette époque. La loi ne pouvait rien changer en la matière. Cette émigration, au siècle suivant, a laissé des traces vivantes dans le peuplement des pays de la Plata, elles sont indiquées fort justement ; mais c'est un courant qui a cessé et celui qui porte aujourd'hui les jeunes gens vers le Nevada ou la Californie mériterait mieux qu'une allusion. C'eût été l'occasion de rappeler que, malgré les alléchantes affiches des T.W.A., malgré les promesses de ces recruteurs à qui on décerne au pays la flatteuse épithète de marchands de viande, tous les émigrants ne reviennent pas en "cabine de luxe" et que ceux qui le peuvent ont acquis ce droit au prix d'une existence pas toujours enviable dans les solitudes des Rockies.
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
II faut aussi d'étranges oeillères pour penser que la contrebande est "parmi les jeux, le plus sportif, le mieux au point, le plus accompli" et que ce "divertissement symbolise l'esprit frondeur". Que les complications de la frontière facilitent les choses, nous ne le contredirons pas, que sa tardive fixation dans les secteurs indivis ou contestés ait prolongé des trafics jadis licites, c'est aussi l'évidence. Mais, sur le plan humain, nous ne pouvons nous contenter de ces explications historiques. Une sociologie de la contrebande reste à faire. On y exposerait une stratification sociale qui va de l'entrepreneur (bailleur de fonds, collecteur de ballots, recruteur d'hommes et de renseignements, tenant sa main-d'œuvre par le crédit qu'il dispense au pays où il fait figure d'honorable négociant, bien en vue, bien en cour même auprès des autorités, ménagé à cause de son rôle politique et social, certain de la solidarité de ses pairs même quand ils ne l'imitent pas, au paysan ou à l'ouvrier honnête, passeur de pacotille qui, à court d'argent, cherche le meilleur marché, pour en finir avec toute une plèbe de déclassés dont c'est le gagne-pain. Le "jeu", là-dedans, n'a rien à voir, n'est-ce pas Félicie B... qui troquais des parfums contre des cotonnades pour subvenir aux besoins de ta petite fille sans papa et courais la montagne après une semaine de travail où tu ne ménageais pas ta peine ?
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ECRIVAIN PIERRE BENOIT |
Fils et filles de la montagne basque, on vous veut toujours semblables aux modèles qu'une littérature de bon ton a mis à la mode. On exalte vos qualités réelles et surtout celles qu'on vous prête pour des raisons confidentiellement avouées, car ce qui compte, pour beaucoup, dans votre "patrimoine d'honneur, de beauté et de vertus", c'est "la valeur commerciale de cet ensemble". Mais le tourisme peut trouver d'autres satisfactions que celles qui postulent le maintien d'archaïsmes générateurs de pauvreté et de conditions de travail dont vos laudateurs ne voudraient pas pour eux-mêmes. L'avenir de l'Eskual-herria n'est pas derrière lui ; il est en avant et l'on fera difficilement de son peuple une réserve de figurants pour cinéma folklorique ou une collection de poupées pour vitrines de musée."
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