AU PAYS BASQUE EN 1857.
En 1857, l'arrondissement de Bayonne est agrandi de Boucau et de Saint-Esprit, communes détachées des Landes pour être rattachées aux Basses-Pyrénées.
PAS DE ROLAND ITXASSOU VERS 1850 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal La Presse, dans son édition du 28 septembre 1857 :
"...Mes compagnons et moi nous l'ignorions à merveille. Ce que nous savions seulement, c'est que les mythologies, qui sont le roman des primitives histoires, se plaisent à mettre les géants aux prises avec les montagnes. Il y a une majestueuse harmonie entre cette force et cette grandeur : aussi voyez les Titans en Grèce, voyez Hercule à Gibraltar et Roland dans les Pyrénées.
Roland a laissé dans ces montagnes d'impérissables empreintes. A Gavarnie, vous admirez la Brèche de Roland ; à Roncevaux, le champ de bataille de sa mort, et Itxatsou, le Pas de Roland, que nous allions voir.
Il faut une heure à pied, et pas beau coup moins en voiture, pour aller de Cambo et Itxatsou. On grimpe ou on descend toujours à travers des fougères et des châtaigneraies. Ce qui vous frappe, c'est la fraîcheur du paysage ; une fraîcheur de printemps sous les ardeurs de la canicule. On reste émerveillé devant cette sève de verdure qui résiste si bien aux baisers torrides du soleil. Les châtaigniers surtout vous surprennent par leur expansion robuste et ce feuillage dru et luisant qui rafraîchit les yeux.
On arrive ainsi à une auberge à droite de la route ; c'est la halte obligée des conducteurs et des voitures, car il est impossible de passer outre, si ce n'est à pied ou tout au plus à âne. Notre cocher détela donc chez le sieur Ànçhordoqui, un nom basque s'il en fut. Nous avions encore une demi-heure de marche avant d'arriver au Pas de Roland.
Il fallut prendre un petit sentier, qui, après avoir erré dans des prairies, rencontre la Nive, et s'y attache avec une telle précision qu'il semble la lisière blanche du ruban vert qui forme la rivière en courant à travers les rochers.
Peu à peu, les deux montagnes entre lesquelles on s'est engagé se font plus hautes et la gorge qu'elles forment plus étroite. Sentier et torrent sont encaissés côte à côte dans un défilé dont chaque instant vous déroule un nouveau pli. Mais, en s'avançant toujours, on s'aperçoit bientôt que la rivière et la route vont être étranglées entre les éperons des deux montagnes dont elles côtoient la base.
En effet, à un moment donné, le torrent glisse avec fureur entre les parois rétrécies de son lit ; mais le sentier s'arrête devant un rocher énorme qui ferme la voie.
C'est fermait qu'il faut dire, depuis que Roland a passé.
Donc le paladin, poursuivant sans doute quelques Sarrazins insoumis, s'engagea un jour dans ces thermopyles des Pyrénées. Tout à coup il se voit entre deux montagnes à pic, laissant à peine assez de place pour laisser bouillonner un torrent au fond du précipice. Impossible de passer outre ; une roche immense, sorte de gibbosité de la montagne, surplombe sur l'abîme et barre le chemin. On dirait le bout du monde.
Roland reculera-t-il ? Roland reculer, est-ce que jamais ces deux mots peuvent s'accoupler ensemble ? Roland avance toujours et arrive à l'obstacle. Là il tombe à genoux, puis avec sa lance il grave sur le rocher, vers la crête la plus rapprochée de la Nive, un signe de croix dont l'empreinte subsiste encore.
Cela fait, il sonne du cor pour appeler deux chevaliers. Et alors, appuyant ses deux bras sur leurs épaules, il se comporte comme un écuyer du Cirque devant un cerceau de papier. Il applique un coup de pied sur cette infranchissable masse. Sous ce pied de fer, le rocher est de beurre ; il est troué comme, à l'emporte-pièce, et le pied du chevalier passe à travers. C'est depuis lors que le sentier franchit à cet endroit une ouverture en ogive, une porte de granit très épaisse ayant la forme pointue d'un soulier à la poulaine. C'est ainsi que fut improvisé ce tunnel de la force, cet arc-de-triomphe du plus glorieux des compagnons de Charlemagne. Vu de loin, le Pas de Roland ressemble à un œil de pierre ouvert sur deux abîmes. Sous la voûte du rocher, et au moment où nous allions en franchir le pas, un petit berger vint nous offrir un bouquet de fleurs agrestes.
Pourquoi cette récompense ? Ce naïf gamin se figurait-il que nous venions de creuser nous-mêmes le Pas de Roland ? c'est ce qu'il nous fut impossible de découvrir, l'enfant ne parlant que basque. Toutefois, et à tout hasard, nous lui donnâmes 10 centimes pour l'encourager dans cette illusion. Espérons que Roland ne sera pas furieux pour cela.
Le Pas de Roland nous rendit plus enthousiastes pour Cambo, qui fut trouvé plus gracieux et plus pittoresque au retour. Cambo n'avait eu qu'un tort, à savoir, de nous avoir été trop vanté. C'est pour cela que, devant une exigence préconçue, la première vue lui avait été défavorable. Les ombres du soir donnaient, d'ailleurs, plus de poésie et plus de charme à la vallée.
Le retour à Bayonne fut des plus gais. La glace des premières heures s'était rompue. M. Alexander y Pisani nous fredonnait des chansons espagnoles d'une malice et d'une pétulance des plus originales. J'ai retenu un refrain que j'ose parler avec ceux qui ne savent pas l'espagnol, niais que je n'ose écrire pour personne. C'est pourquoi vous allez me permettre de le traduire : "L'araignée pique la mouche ; la mouche pique le miel. Et la bourse de l'homme, qui donc la pique ?—La femme ?" Si Cambo est la difficulté, Biarritz est le lieu commun des excursions autour de Bayonne.
Depuis l'embouchure de l'Adour jusqu'à celle de la Bidassoa, depuis Bayonne jusqu'à Fontarabie, le golfe de Gascogne étale les plus jolies plages que puissent rêver les baigneurs. Celles de Saint-Jean-de-Luz et de Guethary valent peut-être mieux que celle de Biarritz ; mais Biarritz a sur elles un double avantage : Biarritz est plus rapproché de Bayonne, et Biarritz est depuis longtemps l'enfant gâté de la mode.
Biarritz est un nom basque dont on apprend la prononciation à mesure qu'on s'avance vers les Pyrénées. La prosodie méridionale passe en courant sur la première syllabe ; mais elle s'appesantit et s'endort sur le reste du mot. C'est exactement comme s'il y avait un point d'orgue sur ar. Plus le point d'orgue s'aggrave, plus on s'approche de Biarritz ; et on y arrive juste au moment ou l'on n'aurait plus assez de loisir pour prendre le temps d'en prononcer le nom.
Il y a à Biarritz un spectacle quotidien et splendide : c'est le coucher du soleil. Il va s'éteindre dans l'immensité bleue de la mer. La vue se perd, à droite, sur la nappe infinie des flots ; mais elle escalade, à gauche, la chaîne des Pyrénées, dont l'arête se prolonge à travers l'Océan pour contenir et dessiner le golfe de Gascogne. Sous les rayons mourants du soleil, ces montagnes prennent la teinte de la mer, si bien qu'à l'horizon elles ont l'air de monstrueuses vagues immobilisées par la main de Dieu. Et l'illusion doit être complète quand, la neige couvrant leurs sommets, cette neige représente l'écume de cette autre mer solide, immuable, mais révoltée.
BIARRITZ 1847 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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