VOYAGE EN DILIGENCE EN 1861.
La diligence est une voiture hippomobile pour le transport en commun. A partir de 1818, les grands services de transports s'organisent et les diligences deviennent de plus en plus importantes.
LE DEPART DE LA DILIGENCE 1818 DESSIN DE GEORGES CRUIKSHANK |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Soleil, dans son édition du 21 février 1903, sous la
plume de George Light :
"...Après le pont, nous sommes à Irun, où il faut encore descendre pour un nouveau visa des passeports et pour la visite de la douane. Au cours de cette visite, je fais la con naissance d’un Français. M. Delmas, proscrit de l’Empire, établi à Madrid, qui voyage dans le coupé et qui, sous la sauvegarde d’un passeport espagnol, est allé voir sa famille fixée à Toulouse. Un proscrit ! un martyr ! Il m’apparaît, nimbé d’une auréole, et, si j'osais, je l'embrasserais ; je le comble de prévenances et d’égards ; flatté, il me fait le meilleur accueil ; je lui expose mon cas, au sujet de la diligence, et il se charge d'arranger l'affaire avec le conducteur.
En effet, quand nous repartons, j’occupe la troisième place du coupé, pardon ! de la berlina, entre M. Delmas et un superbe Espagnol, vêtu d’astrakan chaussé de grandes bottes, orné d’une forte barbe frisée, au sein de laquelle les yeux brillent comme des escarboucles ; somme toute, il est d’une rare distinction et, de plus, il parle très bien le français. Néanmoins, je me demande aussitôt si ce n'est pas un chef de bandits en expédition... L'Espagne doit avoir beaucoup de surprises... Nous verrons bien !
Toutefois, je remarque que nos placides percherons ont été remplacés par une douzaine de mules ou mulets, qui, attelés deux à deux, se démènent furieusement et ont à leur tête un cheval monté par un tout jeune homme. M. Delmas, très complaisant, m'explique que ce cavalier s'appelle le delantero et qu'on le désigne aussi sous le nom de "condamné à mort", parce que, après avoir fait trois jours et trois nuits de cheval pour atteindre Madrid, où il a trois jours de repos, il passe ceux-ci non à se reposer, mais à s'amuser, grâce à sa haute paye de douze réaux par jour (environ trois francs), de sorte que, surmené par son rude service et exténué par sa mauvaise conduite, il ne tarde pas à succomber. Le conducteur s'appelle mayoral et, de même que le delantero, va jusqu'à Madrid. Accroché sur le marchepied, se tient un gaillard bien découplé, qu'on appelle le zagal ; il descend, à tout propos, pour fouailler les bêtes de l'attelage et, d'un saut, se remettre ensuite à son poste. Enfin, sur le siège, en avant de l'impériale, est placé le postillon, qui n’a qu’à tenir les guides des deux mulets attelés au timon et munis de reculoirs, chargés par conséquent de maintenir la voiture dans le bon chemin. Ces deux derniers employés sont changés à chaque relais, en même temps que l'attelage. Tous ces renseignements sont confirmés par l'Espagnol, que je considère décidément comme un chef de brigands et qui, par suite, m’intéresse vivement.
Après une couple de kilomètres environ, à une descente assez longue, l’attelage est mis au pas, ce qui étonne mes compagnons, attendu que les diligences espagnoles vont très vite et enlèvent à fond de train montées et descentes. Au même instant, dans le fossé de gauche, se dressent trois hommes, dont deux vont vers la voiture ; je devine que nous allons être arrêtés, dévalisés, et je suis enchanté ; je regarde si mon voisin prend le commandement des agresseurs ; mais il ne bronche pas et aussitôt l’homme resté dans le fossé lance, l’un après l’autre, cinq ou six gros ballots, qui, reçus et passés par ses deux camarades, parviennent au conducteur en un clin d’œil ; dès que le dernier est à destination, de grands cris retentissent et l’attelage part ventre à terre.
CONTREBANDIERS PAYS BASQUE D'ANTAN |
— Et voilà, s'écrie mon chef de brigands, comment se fait la contrebande, au nez et à la barbe des douaniers, probablement payés pour ne rien voir... Pauvre malheureuse Espagne !
Et, pour justifier cette sortie il ajoute qu’en Espagne, tous les fonctionnaires, grands et petits, sont d’une odieuse vénalité et constituent des fortunes personnelles, au détriment de l'Etat, qui perd ainsi des sommes énormes et est obligé de surcharger les contribuables, pour faire face à ses besoins. M. Delmas partage son indignation et conclut en disant :
— Que voulez-vous ? C’est comme ça dans la tierra de garbanzos (le pays aux pois chiches).
SALINAS GATZAGA GUIPUSCOA 1861 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Toujours aussi complaisant, il m’explique qu'on appelle ainsi l’Espagne, parce que les pois chiches font la base du plat national, l'olla podrida (pot-au-feu, pot-pourri), composé de plusieurs poignées de pois chiches, d'un petit morceau de viande, d’une pomme, d’une poire, d’une ou deux pommes de terre, d’un ou deux piments, etc., et de beaucoup d'huile.
Je suis surpris et même déçu ; mais je ne laisse rien paraître, très occupé d'ailleurs à conserver mon équilibre, attendu que la route, fort mal entretenue, est remplie d’ornières et que de violents cahots me lancent à chaque instant contre mes voisins. Néanmoins, la conversation ne s’arrête pas et je confie à M. Delmas que je vais en Espagne, pour fuir la corruption parisienne, mais que je m’arrête à Vitoria, où je suis adressé au marquis de Laguna. Cet excellent proscrit me félicite de mes sentiments et m’engage surtout à apprendre l'espagnol au plus vite. Le chef des brigands approuve et devient particulièrement aimable avec moi, au point que, malgré mes préventions, je suis bien forcé d’adopter le même ton gracieux et courtois, d'autant mieux qu’il ne cesse de m’offrir d’excellentes cigarettes.
Nous arrivons ainsi à Saint-Sébastien, charmante ville assise dans un site admirable, au pied de la montagne et au bord d’une rade très sure ; nous nous y arrêtons pour déjeuner ; naturellement, je me cramponne à mon cher proscrit et je me mets à table près de lui ; le repas n’a rien de particulier ; je note seulement qu’un beau chat vient faire le gros dos, en miaulant ; je voudrais bien savoir s'il miaule en français ou en espagnol ; mais je ne puis que constater qu’il est très bien compris, puisque Français et Espagnols lui donnent à manger.
ITSASONDO GUIPUCOA 1861 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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