FAIT DIVERS À OSTABAT EN 1877.
En 1877, un fait divers tragique secoue le village d'Ostabat, en Basse-Navarre.
MAISON AGUERRE OSTABAT-ASME BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta à ce sujet le journal Le Figaro, dans son édition du 15 février 1877, sous
la plume de Fernand de Rodays :
"Cour d'Assises des Basses-Pyrénées : Un centenaire sauvé par son chat. — Nouvelles judiciaires.
Il y a près du village d'Ostabat, en plein pays basque, une petite maison isolée, perchée sur le flanc de la montagne, et dans laquelle vit une sorte de vieil ermite, connu dans le pays sous le nom du père Elisséche.
Quel peut être l'âge du père Elisséche ? C'est un mystère. Les enfants du village disent qu'il a bien cent ans, et c'est une croyance que le vieillard, qui passe pour être un peu sorcier, a trouvé le secret de ne pas mourir. Et, en vérité, on le voit depuis si longtemps passer dans les sentiers de la montagne, tremblant et voûté, mais l'œil vif encore, avec ses deux chiens qui le suivent et le bâton luisant qu'il tient à la main, qu'il y a autour de lui comme une sorte de crainte superstitieuse. Aussi les voleurs, les rôdeurs de nuit, cette race de contrebandiers qui peuple les gorges pyrénéennes avait toujours respecté la "maison du sorcier ".
OSTABAT BASSE-NAVARRE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Pourtant, le père Elisséche passe pour n'être point pauvre : le bruit court qu'il a autrefois amassé un petit pécule et qu'en cherchant bien, on trouverait quelque part, sous les pierres de son foyer, un trésor caché, qu'il aime à compter, et recompter la nuit.
Dans ces derniers temps, il se répandit à Ostabat un bruit qui fit réfléchir : le père Elisséche ne sortait plus. Le sorcier, qui était si vieux que les hommes du bourg l'avaient toujours vu avec des cheveux blancs, était gravement malade. On racontait qu'il restait au lit des journées entières ; quelquefois seulement, quand le soleil était bien chaud et que le vent s'était apaisé, il, entr'ouvrait sa porte et on le voyait partager sa maigre pitance avec ses deux chiens et un chat qu'il avait depuis bien longtemps.
Le vieillard avait pour ce dernier animal une affection touchante ; il lui parlait sans cesse, et, la nuit venue, il lui donnait place dans son lit. Les deux chiens qui, à la vérité, n'étaient pas bien terribles, étaient lâchés dans le petit enclos qui entourait la maison.
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La crainte étrange qu'inspirait le père Elisséche diminua peu à peu à mesure qu'on le sut plus souffrant, plus affaibli. Une nuit, le vieillard fut réveillé en sursaut : ses chiens faisaient entendre des aboiements furieux. Il lui sembla qu'on voulait forcer sa porte. "Qui est là ?" cria-t-il. Il y eut comme des pas qui s'éloignèrent, puis, par enchantement, les aboiements cessèrent et tout rentra dans le silence. "Bah ! fît le vieillard, j'aurai rêvé ; peut-être quelque contrebandier qui passe" et il se rendormit.
Il pouvait être minuit sonné quand il s'éveilla pour la seconde fois, parce que son chat qui, d'ordinaire, restait toute la nuit en repos, béatement enveloppé dans les couvertures, s'agitait d'une manière étrange. Importuné par les mouvements inaccoutumés de l'animal, le père Elisséche le prit et le fit descendre dans la chambre. Mais à ce moment, un nouveau bruit lui fit prêter l'oreille : c'étaient des coups sourds, continus, qui ébranlaient la muraille.
Soudain, un caillou énorme, détaché de la cloison, roula près de son lit, et une bouffée d'air humide envahit la chambre. "Qui est là ?" répéta le vieil lard. Personne ne lui répondit. Seulement, il sentit tout à coup quelque chose qui se remuait et qui lui effleurait le corps. C'est le chat qui remonte sur mon lit, pensa le père Elisséche. Mais une main de fer l'étreignit violemment, puis une voix d'homme : "Ton argent, où est ton argent ?"
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Alors, par une sorte de commotion électrique gui lui donna une vigueur extraordinaire, le père Elisséche se souleva : "Ah ! mon argent, cria-t-il, tiens, le voilà !" et, saisissant une fourche en fer placée à son chevet, il se mit à frapper dans l'ombre, avec l'assurance et la vigueur d'un jeune homme. Des cris douloureux se firent entendre. Mais bientôt le père Elisséche, saisi par quatre mains vigoureuses, fut arraché de son lit et traîné à travers la chambre.
Seulement l'obscurité était profonde ; le vieillard n'avait pas lâché son arme : une lutte terrible s'engagea. Le père Elisséche se relève, il brandit sa fourche, et, lui dont la voix était hier éteinte, il appelle au secours et jette des cris perçants.
Une résistance si imprévue épouvante les malfaiteurs. Ils croient entendre des pas au dehors. Sont-ce des passants qui arrivent ? Bref, ils gagnent la porte, la défoncent et s'enfuient à toutes jambes, poursuivis jusque dans l'enclos par le vieillard, qui semble avoir encore ses jambes de vingt ans.
Le lendemain, les gendarmes se transportèrent à la maison du sorcier. Mais le père Elisséche n'était pas en état de leur répondre ; les émotions de la nuit précédente, qui lui avaient rendu pour une heure sa jeunesse et sa lucidité, avaient été suivies d'une prostration complète.
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On l'interrogea : il ne put rien dire. On le retrouvait plus faible, plus épuisé, plus perclus que jamais. Il ne put même pas indiquer si une plane de sabotier qu'on retrouva dans sa chambre était à lui.
L'instruction se poursuivit donc, lente et ardue s'il en fut. Un jour, par hasard, on apprit que cette plane appartenait a un jeune homme d'Ostabat. C'était un nommé Mercapide, dont la réputation était assez mauvaise, et qui fut arrêté.
Mercapide avoua presque immédiatement, qu'en effet, il était bien l'un des hommes qui avaient pénétré dans la maison du vieillard pour voler le petit trésor qu'ils y croyaient caché. Mais, disait-il, tout avait été préparé et organisé par un de ses amis, nommé Marcau, garçon boucher, qui était le plus détestable sujet du pays.
Mercapide et Marcau, le premier avouant sa culpabilité, le second niant obstinément et invoquant un alibi, ont été renvoyés devant la Cour d'assises des Basses-Pyrénées.
A l'audience, ç'a été un étrange spectacle que la vue du père Elisséche, qu'on avait transporté au palais. Le vieillard est entré dans la salle appuyé sur les bras de deux témoins. Quand il a du faire sa déposition, les huissiers ont été obligés de le soutenir pour qu'il pût s'approcher de la barre, et c'est à peine s'il a pu, avec de pénibles efforts, relever la tête et se redresser un peu pour répondre quelques paroles aux questions qu'on lui posait : l'oeil était éteint, la voix à peine perceptible ; la mémoire seule avait un peu reparu.
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