VOYAGE DE CAMBO À BAYONNE EN 1842.
Dans les années 1840, le tourisme au Pays Basque est très souvent des excursions entre les lieux de villégiature principaux (Biarritz, Bayonne) et l'arrière-pays, souvent Cambo, réputée pour ses sources thermales.
Voici ce que rapporta le journal Le Constitutionnel, dans son édition du 1 janvier 1843, sous la
plume de A. Germond de Lavigne :
"Descente de Cambo à Bayonne par les nasses.—La Chambre d'Amour.—Biarritz.
"...Voici maintenant l'estacade, la ville, les quais de la Nive couverts de marchandises et de portefaix, la cale des chalands ; sautez à terre, secouez vos membres, détirez-vous, vous êtes libre...Bayonne et le pays qui l'entoure sont, comme vous lé voyez, peuplés de charmants souvenirs ; chaque ruine cache une antique légende, chaque sentier de la montagne un intéressant épisode, chaque buisson une joyeuse aventure. Je vous ai fait assister l'autre jour au magnifique spectacle d'une sortie de navires de la rade de l'Adour ; j'aurais dû vous faire voir, non loin de là, quelques rochers célèbres dans l'histoire amoureuse du pays.
En suivant à gauche de l'embouchure de l'Adour, ce rivage, que la marée basse laisse à découvert, on rencontre à quelque distance des rochers isolés, de hautes falaises formant un vaste amphithéâtre. Là se trouve une grotte à demi-comblée par les sables et que la mer n'atteint plus maintenant. L'intérieur de cette grotte n'a rien de remarquable, cependant sa voûte surbaissée, où courent des milliers de cloportes marins, est couverte de noms et de dates. Elle porte le nom poétique de Chambre d'amour. Un soir, il y a longues années, s'y étaient réunis une jeune fille, Saubade, la plus riche et la plus jolie du village d'Anglet, un jeune Basque, Laorens, le plus pauvre et le plus hardi des pêcheurs de la côte. Tous deux étaient arrivés à l'heure de la basse-mer, et tous deux s'étaient endormis et rêvaient le bonheur. Le temps fuyait, le ciel était sombre, les goélands et les mouettes poussaient des cris sinistres, la mer grondait et montait. Les pauvres enfants dormaient toujours ; enfin, un flot roule à leurs pieds et les couvre d'écume. Ils s'éveillent : hélas ! que devenir ? Le retour sur la falaise était impossible, les vagues déferlaient à six pieds au-dessus du sentier qu'ils avaient suivi...Nul n'entendit leurs cris de désespoir, la mer monta, monta toujours, gronda toute la nuit, et le lendemain il y avait un rameur de moins à la pêche du thon dans le golfe, une jolie fille de moins dans l'une des blanches maisons d'Anglet.
LAORENS ET SAUBADE CHAMBRE D'AMOUR ANGLET PAYS BASQUE D'ANTAN |
La Chambre d'amour est encore maintenant un lieu d'amoureux rendez-vous, mais notre siècle ne veut plus ni poésie, ni danger, ni mystère, et deux auberges se sont élevées près de la tombe de Saubade et de Laorens. Hélas ! comme on nous gâte nos vieux souvenirs !
De la Chambre d'amour à Biarritz, il n'y a qu'un pas. Biarritz est un grand nom, un nom célèbre, le plus célèbre sans nul doute de la contrée, et cependant il n'y a là que cent maisons semées au sommet des falaises ; il n'y a rien qui soit digne du savant ou de l'historien, Biarritz n'a pas un nom antique comme celui que porta Bayonne, Lapurdum, Biarritz n'a pas vu des rois, des princes, de royales fiancées comme Saint-Jean-de-Luz ; la gloire de Biarritz, c'est le bonheur, le plaisir ; et que signifient, je vous prie, un vieux nom, une noble devise, que signifie une royale hospitalité, auprès d'un pareil titre ? Si vous êtes Parisien où Normand, ne parlez pas de Dieppe à Biarritz. Dieppe, bon Dieu ! qu'est-ce que cela, que signifient cette mer placide, ces sables coquets , ces petits îlots à l'eau de rose auprès de nos rochers sauvages, auprès de ces torrents d'écume qui jaillissent jusqu'aux nues, auprès de ces vagues montagneuses qui grondent et frappent comme le tonnerre ?
Le charmant village de Biarritz est pendant la belle saison la villa de Bayonne. Au mois de juin chaque maisonnette est blanchie à la chaux, les lits, les fenêtres sont garnis de rideaux bien blancs, et la population d'alentour émigre et s'y installe. Biarritz est à quatre kilomètres de Bayonne, et chaque soir d'été, chaque dimanche surtout, des convois incessants de voitures, de chars à bancs, d'omnibus, de coucous, de cacolets y débarquent une multitude, dont la journée serait incomplète si elle ne venait se plonger dans la mer. Rien n'est comparable au tumulte, au tohu-bohu du dimanche, on jeûnerait volontiers toute la semaine pour faire ce jour-là un joyeux dîner chez Dumont ou chez Monhau, la grisette mettrait en gage son dernier mouchoir pour venir babiller, rire et sauter sur les sables et sur les hauteurs de l'Atalaye. Ce jour-là, il ne reste à la ville que les vieillards, les enfants au maillot, les nourrices et la garnison.
BIARRITZ 1843 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ici est le Port-Vieux ; voici les vieilles ruines d'un château fort qui, vers 1300 défendait Biarritz, alors que Biarritz envoyait ses Basques chasser la baleine dans le golfe et dans les mers du nord. La mer a changé tout cela, elle a mis des rochers à la place, des navires, et aujourd'hui dans cet étroit bassin qui ne peut abriter une chaloupe, plonge et barbote dans le pèle-mêle le plus original un peuple tout entier.
PORT-VIEUX BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Port-Vieux est le principal rendez-vous de tout ce qui vient à Biarritz. On y construit, chaque année sur la grève, des baraques en planches destinées aux toilettes de bain ; tout le monde se baigne à la fois à l'heure de la marée montante, grandes dames, marchandes et grisettes vêtues d'une longue blouse, d'un pantalon de laine et coiffées d'un, large chapeau de paille ; banquiers, armateurs et commis, les uns à peine couverts d'un caleçon exigu, les autres, garnis d'un costume des plus décents, qui va de la tête aux pieds. Les baigneuses, immobiles et se prêtant un mutuel secours contre les vagues, forment au milieu du bassin un groupe à l'entour duquel nagent et soufflent les baigneurs ; les causeries, les intrigues peut-être, commencées sur la promenade publique se continuent au milieu des flots, et la grisette bayonnaise qui rit partout, garde pour le Port-Vieux ses plus bruyants éclats.
PORT-VIEUX BIARRITZ 1858 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les plus hardis nageurs dédaignent les allures un peu trop paisibles du Port-Vieux, ils trouvent à la Côte des Fous plus de dangers et plus d'émotions. Les Basques qui, chaque année, descendent en foule des montagnes de la Soule, du Labourd et même de la Basse-Navarre, ne veulent ni du Port-Vieux ni de la Côte des Fous. La côte où ils se baignent, bordée de hautes falaises et semée de roches à fleur d'eau, porte leur nom, Côte des Basques. Ils arrivent d'ordinaire le dernier dimanche d'août, vêtus de leur costume de fête : pantalon blanc, veste blanche, ceinture rouge et béret orné de rubans ; ils parcourent le village par bandes d'une vingtaine environ, armés de bâtons et précédés d'un musicien exécutant, avec un fifre et un tambourin, ces airs harmonieux et faciles que connaissent à merveille les ours les mieux élevés. De place en place ils s'arrêtent, font avec leurs bâtons des manœuvres bizarres, exécutent leurs danses favorites, la pamperuque et le saut basque, poussent des cris comme on n'en profère nulle part, et s'acheminent peu à peu sur le même ton jusqu'au rivage. Là, ils se déshabillent, se placent sur une ligne, se tiennent par la main et se lancent, en criant, au milieu des rochers et des lames. Puis ils s'étendent sur la grève, se sèchent au soleil et recommencent tant que dure la haute mer.
CÔTE DES BASQUES BIARRITZ 1843 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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