"Après la guerre, aux premiers mois de la paix, la vie hésitait à reprendre sur nos frontons que l'herbe avait envahis, et nous étions nombreux à nous demander si notre jeu ancestral n'allait pas mourir. Seul, le jeu de grand chistera et de trinquet persistait encore. Mais plus un joueur de joko-garbi, plus un joueur de petit gant, plus un joueur de main nue ; le jeu de rebot ne survivait que par un double miracle de foi à Sare et à Orio. Ce grand jeu de la race va-t-il donc disparaître de notre sol ? Est-il un Basque, un seul Basque, qui puisse seulement le concevoir ?
De cette inquiétude et de cette volonté naquit la Fédération. Aujourd'hui, voici la moisson. Avez-vous jamais espéré qu'elle pût être si belle ? Regardez-les, épis magnifiques, fleurs de la race, par centaines, nos jeux de pilotaris. Jamais l'Eskualherria connut-elle une telle floraison, un tel frémissement ? La victoire de la race c'est, dans notre ciel pur, le geste des aïeux qui se maintient et se perpétue.
Et vous pilotaris basques, mes amis, arrêtez-vous devant l'image de pierre du grand chistera, et lisez l'inscription gravée dans la stèle ; lisez-la et méditez-la. Et quand, vêtus de blanc, vous paraîtrez sur le fronton, efforcez-vous d'être dignes de lui, dignes de lui non seulement par la valeur mais par la loyauté du jeu, la nobless et la fierté de l'âme."
Ainsi parla à Ascain M. Jean Ybarnégaray, devant une assistance émue, à l'occasion de l'inauguration de la stèle consacrée au souvenir du grand pilotari Otharré.
INAUGURATION STELE OTHARRE ASCAIN PHOTO LE JOURNAL 9 SEPTEMBRE 1934 PAYS BASQUE D'ANTAN
Nous l'avons vue toute cette semaine cette moisson magnifique de champions confirmés, d'adolescents, d'enfants qui, au sortir de l'église ou de l'école, essaient déjà leurs tendres efforts u geste antique du pilotari.
Sur les ruines désolées que, même dans ce coin de pays, laissa la guerre, des hommes de bonne volonté animés par l'amour de leur tradition, par la foi dans les destinées de leur race, ont fait surgir partout des frontons nouveaux et fait renaître au coeur de la jeunesse la flamme de l'enthousiasme pour son sport traditionnel.
Il peut être fier, M. Jean Ybarnégaray, quand il nous dit : "Voilà l'oeuvre accomplie depuis quinze ans par ma fédération. Voilà ce que mes amis et moi nous avons rebâti sans autres moyens que notre confiance dans les ressources profondes de l'âme de nos Basques."
L'oeuvre de ces hommes n'est point achevée. Conserver à leur sport sa pureté, sa loyauté, veiller sur lui pour en écarter les tentations, le préserver du péril de la cupidité des imprésarios, résolus à tout monnayer, éviter les écueils où la crise des valeurs morales a fait échouer tant d'autres sports, c'est une tâche plus difficile encore peut-être que celle déjà accomplie. Déjà la diffusion de la pelote dans des villes situées hors du territoire basque, loin de la sauvegarde des traditions, a modifié quelque peu son visage. Déjà les spectateurs ont, en maints endroits, rompu avec la dignité, le respect des juges, l'impartialité parfaite qui sont de règle ici. Et quand on songe au mal qu'a fait à d'autres sports — au rugby par exemple — son succès populaire, on tremble de voir la pelote, élargie hors du pays basque, devenue un sport à recettes, tomber aux mains des mauvais bergers du sport.
Oh ! il n'y a point péril en la demeure, d'abord parce que pour devenir un pilotari il faut avoir manié la pelote dès la prime enfance. Ensuite parce que la Fédération possède la plus efficace des sauvegardes : sa pauvreté...
Car elle boucle tout juste les deux bouts, la Fédération ! Et pendant cette grande semaine, où les banquets abondent, les personnages officiels mettent avec bonne humeur la main à leur poche pour régler leur écot. Le coffre est vide : nul n'en a cure ! On fait du sport et non de l'administration financière. On n'a point non plus de réglementation compliquée. On juge en équité, selon la tradition et la sagesse, les cas épineux. On fait du sport, vous dis-je, et non de la chicane. Si bien que la question des amateurs et des professionnels, si irritante, dans tous les sports, est ici réglée depuis belle lurette : quand un joueur est assez fort pour gagner on le classe professionnel et voilà tout. Et il continue à jouer où il lui plaît, avec des amateurs ou des professionnels. Tout ce qu'on lui demande, c'est de jouer bien et légalement. Il est rare qu'il oublie ses devoirs de Basque et de champion.
Il en sera ainsi tant que la Fédération sera composée de vrais Basques, de vrais sportifs, amis passionnés de la pelote et de leur patrie. En serait-il de même si la pelote se développait en France un peu partout ; si un public nombreux, séduit par la beauté du spectacle, mais ignorant de ses traditions, se passionnait dans toutes les régions ? J'en doute. Les intrigues, les combines auraient vite fait alors d'oublier les rénovateurs de la pelote pour laisser le champs libre aux appétits.
Et je sais que nombre de Basques approuveront cette conclusion de M. Jean Ybarnégaray :
"Pour conserver à la pelote toute sa pureté, toute sa valeur morale et éducatrice, tout son charme, laissez-la aux Basques, dans son cadre, sous la protection de ses traditions séculaires. Gardez-vous d'en faire un produit d'exportation frelaté. Le succès et la propagande sans contrôle ont déjà abominablement défiguré le magnifique jeu de rugby. Gardez la pelote au pays basque ; il serait trop cruel qu'il lui arrivât semblable malheur."
Les Espagnols prennent leur revanche au grand chistera.
C'est encore devant une nombreuse foule que, sur la place de Guéthary, s'affrontèrent l'après-midi, les équipes française et espagnole de grand chistera. Contrairement aux pronostics, les Espagnols Sagarna, Cortès et Alberti triomphèrent nettement, par 60 à 49, de l'équipe française Saint-Martin, Harispe, Martinez.
L'orage qui éclata brusquement peu après le début du match ne nuisit ni à son succès ni à sa régularité. Les trois représentants français fournirent une partie assez terne, malgré les efforts de Martinez, tandis que chez les Espagnols Sagrana à l'avant et surtout Alberti à l'arrière, furent excellents de bout en bout."
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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