L'AFFAIRE DU DIOCÈSE DE BAYONNE EN 1891.
En 1891, le diocèse de Bayonne est composé de deux entités, la Basque et la Béarnaise.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien L'Univers, le 29 janvier 1891 :
"L'Affaire du diocèse de Bayonne.
Nous empruntons au Journal Officiel le compte rendu in extenso de la discussion qui a eu lieu dans la dernière séance de la Chambre au sujet de cette affaire.
M. le président. — La parole est à M. Barthou pour adresser une question à M. le ministre des affaires étrangères, qui l'a acceptée.
M. Louis Barthou. — Messieurs, la question que j'ai l'honneur d'adresser à M. le ministre des affaires étrangères, et que j'avais ajournée sur sa demande, a été inexactement interprétée. Son caractère véritable et sa portée se dégageront nettement, je l'espère, de l'exposé des faits ; je demande à la Chambre la permission de les résumer brièvement devant elle. (Parlez ! parlez !)
Au lendemain des élections législatives du 22 septembre 1889, le gouvernement crut devoir supprimer, dans le département des Basses-Pyrénées, le traitement de vingt-neuf desservants. L'honorable M. Goirand, à l'occasion de la discussion de l'élection de M. Etcheverry, a mis en lumière, avec une grande force, certains faits caractéristiques de l'intervention dans la lutte électorale du clergé béarnais et surtout du clergé basque. Je ne crois pas devoir y revenir.
Ce qu'il m'importe de dire, c'est que le gouvernement, avant de prendre une mesure plus sévère, s'était efforcé d'obtenir de MM. les vicaires capitulaires le déplacement des desservants les plus compromis. Les vicaires généraux du diocèse de Bayonne refusèrent d'entrer dans cette voie. Ils prétendirent qu'aucun des prêtres du diocèse n'avait outrepassé ses droits, même ceux qui étaient poursuivis et condamnés devant les tribunaux correctionnels, même celui qui reconnaissait avoir du haut de la chaire, le jour du vote, qualifié les républicains de "canailles".
M. Clémenceau. — C'est Thermidor que vous nous racontez ! (On rit).
M. Louis Barthou. — Heureusement que le nouvel évêque de Bayonne, M. Jauffret, était animé d'un plus grand esprit de justice et d'intentions plus conciliantes. Il examina les faits, pesa les responsabilités, et déplaça dix desservants. Ces prêtres déplacés rejoignirent immédiatement leur nouveau poste, à l'exception d'un seul, qui envoya sa démission. Mais sept d'entre eux introduisirent devant la cour de Rome un appel contre la décision de l'évêque.
MONSEIGNEUR FRANCOIS-ANTOINE JAUFFRET |
Il n'est pas téméraire d'affirmer que le gouvernement s'émut de la situation que cet appel lui créait. Vous n'ignorez pas, en effet, que le Concordat, dans des articles très formels, reconnaît et réserve à l'évêque seul le droit de révoquer et de déplacer les desservants. D'autre part, M. le ministre des cultes n'aurait pu manquer, le cas échéant, de refuser l'exécution en France de décisions émanant de tribunaux étrangers. De sorte que, par le fait de l'appel de ces prêtres déplacés, un conflit était inévitable.
Le Pape eut la sagesse de demander à ces prêtres de retirer leur appel. Ils le firent.
Ceci se passait à la fin de juillet 1890. Le retrait de l'appel donnait une entière satisfaction au gouvernement.
Malheureusement cette solution sage et raisonnable ne pouvait être du goût de la majorité la plus avancée et irréductible du clergé béarnais et du parti clérical. Aidé, je puis le dire, par des complicités étrangères au département, ce parti entra en campagne pour tout remettre en question. Le malheur est qu'il y a réussi, car, vers la fin du mois de décembre dernier, le Pape accordait des distinctions honorifiques à quatre prêtres du diocèse de Bayonne : il donnait le titre de camérier secret à M. l'abbé Diharassary, desservant d'Ossès ; le titre de camérier d'honneur à M. l'abbé Mendiboure, desservant d'Ayherre ; le titre de missionnaire apostolique à M. l'abbé Hiriart, desservant de Béguios, et à M. l'abbé Mériateguy, desservant de Saint-Just.
J'appelle immédiatement toute l'attention de la Chambre sur ces prêtres. Tous les quatre avaient été privés de leur traitement par le gouvernement de la République. Sur les quatre il y en avait trois qui, à raison des mêmes faits et pour le même motif, avaient été déplacés par leur évêque.
Parmi eux, celui qui recevait la distinction principale, était celui précisément qui, au cours de la période électorale, s'était le plus violemment compromis dans la lutte. Je fais allusion à M. l'abbé Diharassary, curé d'Ossès.
M. le curé d'Ossès est l'auteur d'un Cathéchisme électoral dans lequel, sous forme de questions et de réponses, sont indiqués et résumés les droits et les devoirs de l'électeur. La thèse soutenue est la suivante, — je l'indique pour montrer mon impartialité : — Celui qui vote pour un ennemi de l'Eglise est aussi coupable que le fils dont la lâcheté arme le bras de l'assassin de sa mère.
Un membre à droite. — C'est vrai !
M. Louis Barthou. — Vous me dites : C'est vrai ! Je n'insiste pas sur la doctrine et je ne la discute pas.
Voici pour la pratique. Nous verrons si nous restons d'accord.
A droite. — Ce n'est pas probable !
M. Louis Barthou. — La pratique, elle est indiquée dans ce passage du Cathéchisme électoral, que je cite textuellement :
"Pour savoir si un candidat est pour ou contre l'Eglise ou la religion, il faut s'éclairer auprès des chrétiens sérieux, des amis des prêtres et, mieux encore, des prêtres eux-mêmes." (Exclamations à gauche.)
Ai-je besoin d'ajouter, messieurs, que l'abbé Diharassary, durant la période électorale, ne donna pas à ceux qui le consultaient et même à ceux qui ne se renseignaient pas auprès de lui le conseil de voter pour le candidat républicain ? Lui-même déclare qu'il a voté pour le candidat antirépublicain. C'était son droit, je ne le conteste en aucune façon ; mais il ajoute qu'il a fait tous ses efforts pour que les électeurs lui donnassent également leurs voix. Il le déclare et s'en vante dans une lettre adressée à l'honorable M. Thévenet, lettre où je relève les épithètes suivantes, envoyée — il faut y insister — par un prêtre en exercice au ministre des cultes. Il accusait, dans ce document, "la haine, l'ignorance, la bêtise et l'enfantillage doublé d'un arbitraire brutal dont avait fait preuve l'honorable M. Thévenet." (Exclamations à gauche.)
Eh bien, messieurs, c'est à ce prêtre que le pape a décerné le titre principal, la distinction honorifique la plus importante : il en a fait son camérier d'honneur. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.)
M. Terrier. — En quoi consistent ces fonctions ?
M. Louis Barthou. — Voilà les faits.
L'opinion publique s'en émut. Il était impossible, en effet, qu'elle ne vit pas dans ces distinctions un blâme pour le gouvernement qui avait privé ces prêtres de leur traitement, une désapprobation de l'attitude conciliante de l'évêque qui les avait déplacés, et enfin un encouragement au clergé tout entier à persister dans une voie hostile au gouvernement de la République. J'ajoute, messieurs, — et ici encore je me permets d'appeler l'attention de la Chambre sur l'exceptionnelle gravité des faits que je lui signale, — j'ajoute que M. l'évêque de Bayonne ne fut ni consulté ni prévenu ; c'est seulement par la rumeur publique qu'il a connu l'existence des distinctions honorifiques accordées par le Pape à des prêtres de son diocèse. Et enfin, c'est un tiers, un prêtre du diocèse de Bayonne, qui, à l'insu de l'évêque, a décerné aux quatre prêtres les distinctions envoyées par le Pape.
PAPE LEON XIII |
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