BIRIATOU EN 1916.
Jean Louis Barthou dit Louis Barthou est un avocat et homme poolitique Français, né le 25 août 1862 à Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées).
BIRIATOU 1908 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Louis Barthou a occupé plusieurs fonctions ministérielles durant sa carrière.
En mai 1916, il est député des Basses-Pyrénées.
Voici ce que publia le journal Les Annales Politiques et Littéraires, dans son édition du 21 mai
1916, sous la signature de Louis Barthou :
"Lettres à un Jeune Français.
Autour de la frontière d'Espagne.
17 mai 1916.
Mon cher ami. Je ne mérite pas votre reproche, où je ne veux voir, pour vous le pardonner d'ailleurs, que l'excès trop excusable d'une amitié ombrageuse. Je n'avais pas oublié votre invitation. Ces soldats aveugles, pour lesquels se passionne votre dévouement, m'intéressent et m'attirent. J'aurais voulu les voir dans la maison de campagne où vous avez obtenu de les recueillir pendant quelques jours de vacances. Et il est bien vrai que je suis passé tout près, à trois ou quatre kilomètres. Mais c'était à deux heures du matin ! Je me dédommagerai quelque jour prochain, si mes occupations me le permettent.
La guerre a troublé la régularité de nos habitudes antérieures. Il n'est presque personne qui mène sa vie comme auparavant. Des devoirs nouveaux s'imposent à nous. Si vous connaissez quelqu'un dont la guerre n'ait en rien changé les conditions d'existence, plaignez-le et blâmez-le, à moins que la maladie ou l'âge ne lui servent d'excuse. Je ne saurais trop redire que, sous une forme ou sous une autre, il y a du devoir partout. Chacun doit, à sa façon, affirmer la solidarité de son dévouement et la part qu'il prend au grand drame où la France se sacrifie pour rester la France. L'arrière fait partie du champ de bataille. Et il y a tant de façons de combattre !
Pendant que le train m'emportait là-bas, vers la frontière d'Espagne, je ne pouvais m'empêcher d'admirer dans les campagnes pyrénéennes la vaillance des femmes au travail. Aidées de leurs enfants, elles se sont, dès l'année dernière, mises courageusement à la tâche pour remplacer leurs maris, leurs frères ou leurs fils absents. J'en sais que le malheur a frappées de coups successifs qui les réduisent presque à l'abandon. Leur courage n'a pas cédé. Elles poursuivent avec une régularité où il entre de l'obstination les besognes que la terre réclame. N'est-ce pas une façon de servir ? Ah ! oui, elles tiennent et elles servent, les chères paysannes de France, pendant que leurs hommes, comme elles disent, arrosent de leur sang, qu'ils ne ménagent pas, les collines et les plaines de la Meuse. Ils sont dignes des aïeux immortels qui en 1792 sauvèrent la France. Ce n'est pas assez dire : ils les dépassent.
L'héroïsme exalté qui se dépense en élans, en bonds, en assauts, en furie française, exige moins peut-être que l'endurance, la ténacité, l'immobilité sous les feux combinés d'une artillerie dévastatrice dont les rafales ininterrompues s'abattent comme un irrésistible cyclone. Non, vraiment, nous ne saurions trop les admirer, les aimer, les respecter, ces soldats de France, les plus grands soldats que la France ait connus, et j'en reviens toujours, parce qu'il dit tout, au mot de ce général, dont les yeux se mouillaient de larmes : Nos soldats, c'est à s'agenouiller devant.
Partout où je vais, je recueille des traits d'anthologie. Il y a sur le front, entre les races, et je dirais volontiers entre les classes, si ce mot ne prêtait à une équivoque sociale, une émulation d'héroïsme. Mes compatriotes béarnais, auxquels personne ne s étonnera que je pense, ont écrit leur page de Verdun, à côté de tant de pages sublimes écrites par d'autres, avec une bravoure qui les égale aux compagnons du grand Henri. Mais leurs voisins, les Basques, ces Basques étranges, dont nul n'a pu dire encore les origines et qui ont la fierté de leur énigme, se battent avec une rage égale. Ils ont, je le sais, quelque tendance à l'indépendance et le service militaire, dont les servitudes leur cachaient la grandeur, n'a pas toujours été de leur goût. Ils ont eu, cédant à une sorte de loi atavique, la nostalgie des Amériques lointaines. Mais combien en sont revenus pour prendre leur place dans la bataille ! J'ai lu dans le cimetière de Biriatou (oh ! le joli cimetière, avec une vue incomparable sur la Bidassoa et sur les montagnes pyrénéennes ! Loti m'y a conduit) et seul Loti pourrait en dire le charme pénétrant et évocateur), j'ai lu, parmi les tombes aux noms bizarres, une inscription dont mon coeur a été remué : Mort au champ d'honneur. J.-Joseph Eyheramendy, 18841915, Gallipoli, 13 mars 1915. De Biriatou, ce tout petit village posé en nid sur une colline pyrénéenne, à Gallipoli, la route est longue et je songeais aux mystères de la destinée qui avait fait mourir si loin ce Basque de trente et un ans. Mais la vérité est encore plus mystérieusement tragique. Eyheramendy était rentré, pour se battre, de la République Argentine. Biriatou, Buenos-Aires, Gallipoli, quelles étapes pour une destinée aussi courte ! Le grand drame de la guerre emporte ainsi dans son action rapide et dévorante des milliers de drames dont le secret ne sera jamais connu. De quels sacrifices la victoire n'aura-t-elle pas été faite, cette victoire qui libérera le monde et à laquelle la France, toujours la première dans les saintes causes, donne le meilleur de son sang !
GALLIPOLI 1915 |
Le sentent-ils et le savent-ils que nous luttons, que nous souffrons, que nous mourons pour eux, presque autant que pour nous, ceux auxquels leur position géographique a épargné l'horreur et a enlevé l'honneur d'un rôle dans la mêlée sanglante ? J'ai franchi la frontière espagnole et j'ai pénétré, par une journée splendide, dans la Navarre. La nature était magnifiquement impassible. Du sommet du col de Maya, la vue s'étendait sur le pic d'Atchuria, sur la Haya, sur la Rhune, sur les montagnes de Cambo, sur la plaine basque et sur l'Océan. Le silence montait jusqu'à nous et imposait le recueillement à nos âmes, à la fois émues et irritées. Il se passe trop de choses tragiques, douloureuses, horribles même, pour qu'on puisse goûter pleinement la beauté des cieux, de la terre et des mers. On s'en veut à soi-même d'un plaisir où il semble qu'il entre une profanation. J'ai éprouvé cette sorte de remords à Marseille, dans la contemplation d'une mer apaisée sur laquelle le soleil couchant répandait la splendeur colorée de ses richesses. Là-haut, sur le col de Maya, d'où la vue domine un panorama varié et immense, je n'ai pu me donner tout entier à la joie de ce merveilleux spectacle. Mon coeur ne suivait pas mes yeux. Il était là-bas, avec ceux qui tombent, dont l'obsession ne me quitte pas. Il ne faut pas, mon ami, qu'elle nous quitte. Nous serions perdus si nous pouvions oublier !
BORDS DE NIVE CAMBO 1916 PAYS BASQUE D'ANTAN |
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