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vendredi 12 avril 2024

LA GUERRE À LA LANGUE BASQUE EN 1903

LA GUERRE À LA LANGUE BASQUE EN 1903.


Le Basque (euskara) est  la langue d'Europe occidentale la plus ancienne in situ.

Elle était appelée aquitain, dans l'Antiquité et Lingua Navarrorum (langue des Navarrais).  




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BIARRITZ JOUR DE L'INVENTAIRE MARS 1906
PAYS BASQUE D'ANTAN


Sa présence est antérieure à l'arrivée des deux langues indo-européennes qui, au cours de 

l'histoire, allaient devenir majoritaires : le celte, puis le latin.



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Soleil, le 28 août 1903, sous la plume d'Oscar 

Havard :



"La guerre à la langue Basque.



I. Quand Louis XIV s’empara de l’Alsace, l’idée ne vint pas au "Grand Roi" d’infliger à ses nouveaux sujets la langue française comme un châtiment, et de proscrire l’allemand comme un stigmate. Sous le Roi de France, les bourgeois de Strasbourg et de Colmar, les bûcherons de la forêt de Soulz et les paysans de Sundgau gardèrent le droit de chanter leurs lieds comme au temps du césar germain. 



Nul alguazil n’alla, soit dans les églises, soit dans les temples, épier l’homélie du curé ou surveiller le prêche du pasteur. La Monarchie respecta toutes les croyances religieuses, sanctionna toutes les institutions locales et valida tous les privilèges. La victoire de Louis XIV ne fut pas le triomphe d’un Jacobin niveleur, impatient d’opprimer et de rançonner les vaincus, mais la maîtrise d’un père indulgent et tendre, avide de conquérir les cœurs. 



Préludant aux spoliations révolutionnaires, les réformés avaient, à coups d’arquebuse, délogé de la Collégiale de Saint-Thomas les Frères prêcheurs et larronné les riches prébendes de ce fief monastique. Magnanime comme un Bourbon, Louis XIV ferma les yeux sur cette rapine, et pria les catholiques de sacrifier leurs droits à la concorde. L’Eglise, pleine de condescendance, amnistia le fait accompli et ne disputa pas au Synode la proie dont il jouit encore. 



Un tel chef, un tel Souverain ne pouvait s’avilir par de stupides sévices contre un idiome national. Comme toutes les sottises qui souillent notre histoire, cette turpitude ne date que de la première République. Les "Représentants en mission" furent les premiers adversaires et les premiers prescripteurs des dialectes locaux. Comment expliquer une pareille pasquinade ? 



Dans les ukases que les Conventionnels ont bâclés, nous avons parfois le tort d’aller chercher bien loin le prétexte qui les fit naître et le mobile qui les suggéra. La légende républicaine et l’image d’Epinal nous montrent les Représentants, le chapeau en bataille, la poitrine débraillée, le sabre au poing, la flamme dans les yeux, conduisant à l’ennemi et à la victoire la phalange des volontaires, ivres d’enthousiasme et saturés de vermillon. 



Mais pour peu qu’on explore les papiers de l’époque et qu’on interroge les documents officiels, cette épopée glorieuse se dilue aussitôt dans la brume, et, sous vos regards, surgit à la place, une licencieuse kermesse où se trémoussent, non des héros, mais des corybantes. A peine les délégués de la Convention débarquent-ils dans une cité pour y "assurer le bonheur du peuple", que le premier décret de nos satrapes mobilise, non la jeunesse, qui se dérobe au devoir civique, mais les vins vieux qui se cachent dans les caves de l’aristocratie proscrite. On punit le clergé en tarissant ses flacons ; on se venge des émigrés en se grisant à leurs frais. 



II Carrier à Nantes, — Lecarpcnticr à Coutances, — Duquesnay à Arras, — Dumont à Amiens, — Albitte et Collot d’Herbois à Lyon, — Laplanche à Nevers, — Monestier à Tarbes, — Cusset à Thionville, — Javogues à Montbrison, — Bourbotte à Fontenay-le-Comte, — Bourdon de l’Oise à Chantonnay, etc., — tous, à peine installés, commencent par réquisitionner les fûts, les bouteilles, les dames-jeannes séquestrés par les "Comités de vigilance", — puis, le verre en main, la bouche pâteuse, les yeux humides, nos proconsuls dictent à leurs secrétaires les arrêtés devant lesquels se pâme aujourd’hui l’onctueux M. Aulard. Sans vouloir diminuer le rôle de J.-J. Rousseau, je suis convaincu que les "liqueurs des îles" firent beaucoup plus de ruai à nos ancêtres que les trois cents pages du Contrat social




révolution france nantes
JEAN-BAPTISTE CARRIER NANTES
REVOLUTION FRANCAISE



Les moins funestes de ces édits bachiques atteignirent "les patois" de nos provinces. Dans ce domaine, la Convention ne put — grâce à Dieu ! — déployer toute sa malfaisante puissance. Ses tentatives d’alignement grossier succombèrent devant l'infrangible rempart des "impondérables". 



III C’est contre la même forteresse que se rue aujourd’hui M. Combes. En Bretagne, dans les Flandres, dans le pays basque, tout curé, prévenu d’user en chaire de l’idiome régional, se voit ipso facto spolié de l’indemnité que lui doit l’Etat. Peut-on imaginer un plus extravagant abus de la force ? une plus absurde représaille de la rusticité démocratique contre la poésie des foules restées chrétiennes ? 



homme politique france charente sénateur radical franc-maçon
EMILE COMBES


Notez que si la République frappe d’interdit le breton, le flamand et le basque, elle témoigne, en revanche, les plus obséquieux égards à la langue germanique. Rien qu’à Paris, dans cinq églises de la Confession d’Augsbourg, salariées par l’Etat, les pasteurs n’emploient que le parler de Guillaume II. Sermons, exercices rituels, catéchismes, cantiques, tous les discours et toutes les mélodies liturgiques ne laissent parvenir aux oreilles de l’auditoire que les modulations du vocabulaire transrhénan. 



Liberté légitime ! N’est-il pas juste qu’aux fidèles groupés autour de sa chaire le prédicateur parle la langue qui, dans toutes les fortunes, a porté le cri de la Patrie humaine à la Patrie céleste ? 



Dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, quand l’Eglise, confondit les nations dans son unité dominatrice, elle ne voulut pas que les peuples se perdissent dans son sein comme les fleuves dans la mer. Les rites chaldéen, mozarabe, arménien, grec, etc., devinrent les citadelles de patriotisme et les refuges de la race. Chaque nation eut les prêtres de son sang, et les prières de sa langue, et — vaincue — garda dans les fers l’autonomie de ses observances. Revanche de l’oppression et de la défaite, le Rite conserve le souvenir d’une vie antérieure à la décadence présente et maintient la vision d’une splendeur sacrée où s’en cadrait jadis la souveraineté perdue ! 



Aujourd’hui, contemptrice de ces traditions et de ces égards, la République n’accorde qu’aux pasteurs luthériens le droit de faire le prône dans leur langue natale. Emigrés du Palatinat, du Hanovre, de la Saxe, de la Hesse, etc., ils peuvent tous les dimanches, dans les temples de la capitale, chanter et prier, sans abjurer leur race. Mais à nos compatriotes de la Soule et du Labourd, — mais aux descendants des Ibères, défense de murmurer les cantilènes qui, pendant tant de siècles, parfumèrent de leur poésie les lèvres des aïeux. Entre les Basques et leurs pères, M. Combes veut rompre la communauté des rêves, des espérances et des chants. 


Vaine menace ! 



IV Qu’on me permette en terminant de citer deux traits de la vie du Basque Pellot, l’illustre homme de mer. 


corsaire basque hendaye pellot pays
CORSAIRE D'HENDAYE ETIENNE PELLOT

Voici le premier : 


Fait prisonnier par une corvette anglaise et envoyé à Ryde, Pellot s’abandonne à ses excentricités coutumières. En entendant ce baladin, débordant de verve et de gaieté, ses camarades reprennent courage et ses geôliers s’humanisent. Un théâtre est dressé dans la cour : les autorités veulent que Pellot égaye les officiers de la garnison et leurs femmes. 


Un jour, Pellot improvise un vaudeville, qu’il intitule : Le général boiteux. Mais avant de paraître sur la scène, le corsaire sollicite un uniforme ad hoc. La femme du gouverneur met aussitôt à la disposition de l’artiste le costume de son mari. Le premier acte est joué : c’est un succès de fou rire. Avant d’entamer le second acte, Pellot passe dans la coulisse pour endosser un autre travestissement. Mais au lieu de remonter sur les planches, notre Basque, arborant fièrement l’habit galonné du général, franchit la poterne de service, reçoit les saluts militaires du poste, et va chercher un refuge chez un tavernier français du faubourg. Celui-ci fournit à Pellot des vêtements de rechange. Déguisé en gentleman, le corsaire se rend sur le port, embauche quatre matelots, mécontents de leur capitaine, s’installe avec eux dans un cutter, dont l’équipage n’a pas laissé le gardien à bord, — puis, lève l’ancre... Quelques heures plus tard, Pellot arrive triomphant au port de Dunkerque avec sa prise et les quatre marins anglais, ébouriffés de l'audace souriante du Français. 



pais vasco antes pellot corsario
ETIENNE PELLOT CORSAIRE BASQUE


Voici maintenant l’autre histoire : 


De nouveau prisonnier, Pellot est conduit à Cork, et tente trois fois de s’évader. Trois fois, il est repris. Enfin une quatrième fois, notre Basque grise son argus, gagne le rivage, et soudoie une équipe de contrebandiers, qui le recueillent dans leur barque et le déposent à Morlaix. 


Dans cette ville, un journal anglais tombe sous les yeux de Pellot. Le corsaire y lit qu’on l’accuse d’avoir empoisonné le geôlier. L’affaire a été déférée à un Conseil de guerre, et le pauvre Pellot, condamné par contumace, a été pendu en effigie. 


Cette aventure émeut vivement le loyal corsaire. Sans doute, pour endormir le gardien, notre compatriote a furtivement versé dans son verre quelques gouttes d’opium, mais pas en dose suffisante pour mettre en péril la vie du brave porte-clefs. 


Pellot estime que son honneur est en jeu. Sans hésiter, il reprend la mer, débarque à Plymouth, et se présente, la tête haute, devant le shérif, demandant un jugement et des fers. 


Cette noble attitude touche les magistrats. Le procès s’engage à nouveau ; une enquête démontre l’innocence du corsaire. Les juges cassent le premier arrêt et rendent la liberté à Pellot, qui revient sain et sauf à Morlaix, où la population le porte en triomphe ! 



pays basque autrefois corsaires
CORSAIRES BASQUES
PAYS BASQUE D'ANTAN


V Le corsaire d’Hendaye me fut révélé pour la première fois, il y a quelques années, par son compatriote et son parent, M. Félix Saubot-Damborgez, ancien préfet de l’Ariège. Euskarien comme Pellot, M. Saubot-Damborgez, par l’intransigeance de ses convictions et l’indépendance de son caractère, incarne, lui aussi, les qualités géniales d’un peuple qu’aucune consigne n’intimide et qu’aucune tyrannie ne désarme. Je suis sûr qu’à Biarritz, il n’est pas le dernier ù convier à la résistance les curés dont M. Combes sollicite l’abjuration et escompte l’opprobre. Les Garat, les Deyhérald, les Darrigol, les Ségalas, les Hiraboure, les Garricoïts, les Inchauspé, les Franchistéguy n’auraient point capitulé. Leurs successeurs refuseront de frustrer le paysan basque de sa langue, de ses traditions et de sa race."




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