PRISONNIER DE GUERRE ALLEMAND EN BASSE-NAVARRE EN 1870.
Pendant plusieurs guerres avec la Prusse ou l'Allemagne, des prisonniers de guerre furent internés dans les Basses-Pyrénées, et en particulier en Basse-Navarre.
Voici ce que rapporta à ce sujet La Revue hebdomadaire, le 22 août 1896, sous la plume de Louis
Labat :
"Prisonnier de guerre.
Journal d'un soldat du 13e Régiment d’Infanterie Bavaroise.
L’auteur de ce souvenir, M. Justus Eberhardt, est présentement, un notable industriel de Nuremberg. Il a fait une partie de la campagne de France, et il s’est trouvé prisonnier à Orléans le 9 novembre 1870, lendemain de Coulmiers. Quand l'Empire allemand a célébré, tout récemment, ses noces d'argent avec la victoire, M. Justus Eberhardt lui a voulu offrir son bouquet de vergiss mein nicht. Pensée pieuse, qui honore son patriotisme. Car il est un zélé patriote. La marque la plus commune où le patriotisme se reconnaisse, c’est l'injustice pour la patrie des autres. M. Eberhardt n’a point laissé passer l'occasion de dire de nous (ou de laisser entendre clairement) le mal qu’il en pense. Il a eu raison. On a toujours raison d'être sincère...
... Pour M. Eberhardt, nous avons été effectivement, un jour, l'ennemi ; il faut donc que nous le restions ; c’est fatal, et rien n'y peut faire. Cependant, derrière tous ses griefs et toutes doléances, il apparaît qu'en somme sa condition de prisonnier n'eût pas laissé de faire des envieux chez nos prisonniers à nous, enfermés dans les forteresses de la Silésie ou même de la Bavière. On ne voit pas que son internement fût, à proprement dire, un internement, puisqu'il était logé, avec ses camarades, dans une caserne dont nos soldats occupant l'autre étage. La vermine lui fut cruelle ? Je ne suppose pas qu'elle le fut moins aux nôtres lors de leur détention, par exemple, dans les casemates d'lngolstadt, connues certainement de M. Eberhardt, puisque c'est à Ingolstadt que son régiment tenait garnison avant la guerre ; et là-dessus, s'il veut être édifié le livre douloureux du capitaine Quesnay de Beaurepaire, où je le renvoie, lui en apprendra long.
PARADE MILITAIRE INGOLSTADT BAVIERE ALLEMAGNE D'ANTAN |
Non plus que ses camarades, fut-il astreint jamais à quelqu’un de ces durs, de ces terribles travaux ou l'on condamnait les nôtres sous un ciel du Nord, en plein hiver, par la pluie, la bise et la neige ? Qu'eut-il à faire sous le bon soleil de Saint-Jean-Pied-de-Port, qu'à prendre la peine de revivre ? Il ne recevait pas ses lettres ? Mais recevaient-ils les leurs, à Ingolstadt, nos soldats de Wissembourg, et, par le témoignage que j'invoquais tantôt, ne savons-nous pas la destination que donnait de préférence aux plis chargés l'administration de la poste allemande ? Le jour où les camarades de M. Eberhardt s'avisèrent d'une carnavalade où était moquée et bafouée cette armée française dont ils n’avaient, eux, les Bavarois, à se souvenir qu'avec respect (je ne dis pas avec remords) depuis Bazeilles, lequel d’entre eux fusilla-t-on pour exemple, comme, toujours à Ingolstadt, leurs compatriotes, pour une infraction minime à la discipline, avaient fusillé sans débat Charles Gombault, sergent aux tirailleurs algériens ? — M. Eberhardt peut-il se dire très sûr de l'insuffisance des secours médicaux ! Mais le docteur Lebrun montait, deux fou par jour, visiter les prisonniers à la citadelle. Il se plaint de la nourriture ! Ici, j'ai le regret de le trouver en désaccord avec ses supérieurs militaires, sous-officiers et caporaux, qui, au moment de leur libération, et avant de quitter Saint-Jean-Pied-de-Port, adressèrent à M. Gersam Léon, vice-consulat des États-Unis à Bayonne, chargé de la protection des sujets allemands, la lettre collective que voici, qui parut, à la date du 5 mars 1871, dans le journal le Courrier, où je la retrouve :
"Saint-Jean-Pied-de-Port, le 26 février 1871.
Au nom des prisonniers, nous soussignés déclarons que nous sommes bien traités ici comme prisonniers de guerre par le commandant de place français de ce lieu, ainsi que par toute l'administration.
Quant aux vivres, nous n’avons à souffrir aucun manque ; c’est ce que nous constatons par nos signatures.
Jean Stelzer, Harnist, Nathanel, Siegert, Porgrul, Georges Hell, A. Lintré, sous-officiers ; Joseph Bauer, second sergent ; André Fauhinfeld, Xavier Schmidt, Georges Spicol, Wlaa Wogt, Georges Mayer, Spierhl, Meiss, caporaux ; Voting, vice-caporal."
... Voici ci-après quelques extraits du récit de Justus Eberhardt :
"... Le crépuscule descendait lorsque nous arrivâmes à Saint-Palais, jolie petite ville. A notre grand étonnement, on nous mit dans la prison. La soupe nous attendait. Un Allemand qui se trouvait là nous la servit, et, par la même occasion, il nous fit l’office d'interprète. Les cellules étaient si remplies que nous eûmes peine à nous coucher. Le matin du 27 arriva. Ce jour-là était un dimanche. Il marqua la fin de notre désagréable emprisonnement. Après le déjeuner, qui nous valut d’être écorchés par le gardien, car, pour ce repas et celui de la veille, il nous prit tout l’argent que nous avions reçu pour notre subsistance, nous nous remîmes en route par un temps magnifique. Le soleil était si chaud que c’était un délice de voyager en chantant dans cette contrée bénie. De superbes villas ou maisons de campagne avec de grandes vérandas s’éparpillaient de tous les côtés. Dans les jardins, les roses étaient en plein épanouissement. On n’eût pu se douter, à voir cette végétation florissante, qu’on fût en hiver. L’œil ne se rassasiait pas du spectacle qui s’offrait à lui continuellement, sur cette route montueuse. Nous étions dans les contreforts des Pyrénées. Tout près de moi se dressaient les montagnes que j’avais tant admirées à Pau. Nous arrivâmes le soir à Saint-Jean-Pied-de-Port, petite place forte sur les confins de l’Espagne. C’est là que, pour la durée de la campagne, nous allions être retenus comme prisonniers de guerre.
SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT BASSE-NAVARRE 1854 PAYS BASQUE D'ANTAN |
III
Saint-Jean-Pied-de-Port commande la frontière du Sud-Ouest. La citadelle me parut très ancienne, bâtie sur une hauteur escarpée, pourvue d’un pont, protégée dans sa partie la plus accessible par un fort rempart de vingt mètres, tandis que l’autre côté, coupé à pic, formait une muraille naturelle. Au nord s’élevait la caserne, où l’on nous logea ; à l’est était un bâtiment de moindre importance, où se trouvaient la cantine et la prison ; à l’ouest, enfin, il y avait le magasin à poudre, l’arsenal, l’entrée principale, et de petits casernements protégés par un double rempart. Le commandant de la place habitait une maison à un étage, proche de l’entrée. Sur le côté sud, ouvert librement en face de l’Espagne, il y avait trois bastions pour l’artillerie. Les côtés de l’est et de l’ouest avaient chacun leur bastion. Une vaste cour, plantée d’arbres, marquait le milieu de la citadelle. A une distance de deux kilomètres, et sur une éminence, s’élevait un ouvrage avancé, non occupé. L’armement était piètre. Deux pauvres canons qui se morfondaient formaient toute la défense, à moins que l’arsenal n’en contînt quelques autres. La ville s’étendait à l’ouest, au pied de la montagne ; elle était entourée de murs épais, que flanquaient de petites tours. Les hautes cimes des Pyrénées l’enveloppaient à des distances de plusieurs lieues, de telle manière que la citadelle, bien que bâtie sur une hauteur, semblait au fond d’un entonnoir. La garnison se composait de militaires de la ligne, parmi lesquels un certain nombre de blessés des premières batailles, incapables d’un service en campagne. Le commandant, un vieil homme à barbe toute blanche, nous traita avec humanité.
CHEMIN DE LA CITADELLE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT BASSE-NAVARRE D'ANTAN |
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