UNE HISTOIRE DE LA PELOTE BASQUE EN 1907.
La pelote Basque est le sport national du Pays Basque, depuis de très nombreuses années.
PROGRAMME PELOTE BASQUE 1905 |
Voici ce que rapporta Le Petit Journal, supplément Dimanche, dans son édition du 26 mai
1907, sous la plume d'Ernest Laut :
"Variété.
Jeux de France.
La balle, la pelote et la paume. — Sports d'autrefois. — Les succès de Margot du Hainaut. — Quelques vers de Delille. — Les "pelotari" du pays basque. — Le jeu de balle dans la région du Nord. — M. Thiers et le joueur belge. — Encourageons les sports de France.
Le bizarre et regrettable accident que reproduit une de nos gravures ramène l'attention sur ces sports de souplesse, de force et d'adresse que sont les jeux de balle, de pelote et de paume.
MORTELLE PARTIE DE PELOTE PETIT JOURNAL 26 MAI 1907 |
Ce sont là, peut-on dire, véritables jeux de France, car s'il est vrai que le tennis nous vient d'Angleterre, où il était déjà en faveur au seizième siècle, il n'est pas moins certain que, chez nous, on jouait à la paume de temps immémorial.
Ce n'est point à dire, cependant, que ces jeux soient nés sur notre sol. La balle, au contraire, est aussi vieille que le monde. Hérodote en attribue l'invention au peuple lydien.
Au temps d'Homère, ce jeu était fort en usage puisque, au VIe et au VIIIe livre de l'Odyssée, le poète montre ses héros s'y di vertissant. Les Grecs et les Romains connurent non seulement la balle, mais encore le ballon. Martial décrit un jeu de ballon dans lequel les joueurs se livraient de véritables combats pour se saisir de la balle, se l'arrachant des mains, se poussant les uns les autres, se donnant des coups de pied et des coups de poing et se renversant par terre... Nos joueurs de football n'ont rien inventé.
Bref, la balle fut en grande faveur chez tous tes peuples, en Europe comme en Asie. Les opulents patriciens de Rome avaient, dans leurs palais et leurs villas, de grands espaces découverts consacrés au jeu de paume. La plupart des rois de France prenaient plaisir à ce jeu. Charles IX, Henri III y jouaient avec leurs courtisans et leurs mignons.
Les femmes elles-mêmes s'y montraient expertes, s'il faut en croire ce passage des Annales du Hainaut de Vinchant :
"Durant le séjour de trois semaines que Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fit à Paris, en 1429, il y vint une jeune fille de vingt-huit ans, appelée vulgairement, Margot du Hainaut. Icelle provoqua au jeu de paulmes tous joueurs avec ses habits de femme ; elle jouait de l'avant-main, de l'arrière, très puissamment, très malicieusement et très habilement. A raison de quoi elle fut en grand bruit en France ; elle estoit choyée de seigneurs et petits compagnons. Elle retourna en son pays avec bonne somme de deniers qu'elle gagna..."
Le mot balle n'existait pas alors dans le sens où il est employé aujourd'hui. Ce divertissement était désigné sous le nom de jeu de paume en France et de jeu d'éteuf dans nos provinces septentrionales. C'est ce dernier nom qui désigna, primitivement la balle ; et, dans les vieilles cités de Picardie, de Flandre, d'Artois et de Hainaut, il y eut jadis plus d'un cabaret qui porta pour enseigne : A l'Eteuf d'argent.
En bon Béarnais qu'il était, Henri IV aimait la paume ; il y était, paraît-il, d'une force peu commune ; et c'était le divertissement le plus répandu à la cour, de son temps.
Faut-il ajouter que Napoléon 1er, lui aussi, tenait ce jeu en grande estime et qu'il employa parfois ses rares loisirs à y jouer, avec ses officiers, aux Tuileries et à la Malmaison ?...
Jusqu'au quinzième siècle, on jouait à la balle avec la paume de la main. De là le nom de paume qu'avait pris ce jeu. La raquette fit son apparition à cette époque. Guillaume Coquillart, un poète du milieu de ce siècle, parle de cet instrument :
Se semblent raquettes cousues
Pour frapper au loin un esteuf.
Cent ans plus tard, le lawn-tennis passait le détroit, et, tout de suite, lé jeu de balle à la raquette trouvait en France grande faveur.
Le frivole dix-huitième siècle aimait ce divertissement que l'abbé Deliile a décrit dans son poème de la Conversation :
La balle, dans ce jeu, volant de main en main,
Court, tombe, se relève et reprend son chemin.
Sans cesse allant, venant, revenant tour à tour,
Exacte à son départ, exacte à son retour,
Avec la même ardeur et par la même voie,
Chaque parti l'attend, l'arrête et la renvoie.
Aujourd'hui, le jeu de balle, sous toutes ses formes, n'a rien perdu de son antique faveur. Au contraire. Le pays basque a élevé son sport favori à la hauteur d'une institution. Les grands joueurs, les maîtres en l'art de manier cette longue corbeille creuse et recourbée qui s'appelle, de ce beau nom sonore, le "chistera", et dans laquelle ils reçoivent et renvoient la pelote avec une incroyable adresse, sont traités à l'égal des matadors célèbres dans les plazas espagnoles.
Jadis, ils se contentaient de la renommée qui portait leurs noms à travers le pays et même tras los montes, mais, à présent, ils sont devenus de véritables professionnels, et, comme tels, ils visent à la fortune. Les prix des luttes qui, autrefois, se donnaient en nature, sont aujourd'hui de bon argent. Tels les acteurs ©n renom, les pelotari contractent de superbes engagements. Il en est même qui, appelés par les Basques émigrés dans l'Amérique du Sud, où ils se sont enrichis, ont acquis là-bas de quoi vivre en paix le reste de leurs jours.
Quoi d'étonnant à cela ? Tout Basque vient, au monde joueur de pelote. Les officiers qui commandaient le bataillon des chasseurs basques, pendant les guerres de la Révolution dans les Pyrénées, rapportaient que, après des courses et des ascensions folles à travers les montagnes, après qu'ils s'étaient battus comme des lions, soit aux Aldudes, soit à Baïgorry, soit encore au camp d'Espéguy, le premier soin de leurs hommes, en arrivant au bivouac, avant même de penser à la soupe, c'était de faire une partie de pelote...
CHASSEURS A PIED BASQUES 1794-1815 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cet amour du jeu national n'a pas décru, et c'est fort heureux, car il n'est point de sport qui mette en pareil relief l'harmonie du corps humain. Le joueur de pelote accomplit, naturellement et sans recherche, des merveilles de souplesse. Tantôt il se ramasse sur lui-même, tantôt il se détend et paraît s'allonger avec des mouvements de félin, mais toujours il prend des poses plastiques qui rappellent les plus belles, les plus nobles, les plus gracieuses attitudes des statues d'athlètes de l'antiquité.
Aussi faut-il se féliciter de voir cette ferveur du peuple basque pour ce beau jeu de pelote, qui est tout à la fois une école de grâce et de virilité.
La paume est aussi en honneur en plus d'une région française. Paris y compte des joueurs remarquables, de même que la Picardie, et je me rappelle, notamment, avoir vu naguère, à Saint-Quentin, une partie de première force.
Quant à la balle, elle est la spécialité des villes du Nord et de la Belgique. Les joueurs se servent de gants un peu plus grands que la main, formés de plusieurs peaux superposées, et d'une balle petite, mais extrêmement dure, remplie de sable et de cailloux minuscules.
Là aussi, les populations se passionnent pour ce divertissement populaire.
Les joueurs fameux sont également les enfants gâtés de la foule. On rapporte que, sous l'Empire, un joueur valenciennois, nommé Prosper, étant tombé à la conscription, ses admirateurs se cotisèrent pour lui acheter un remplaçant. Bien mieux, ils chargèrent un des peintres les plus célèbres de la ville de peindre le portrait de leur favori, afin que le musée municipal conservât à jamais le souvenir de cette illustration locale.
Les mineurs ont un penchant tout spécial pour le jeu de balle. Parcourez les régions houillères du Nord pendant la saison d'été, vous trouverez des parties de balle organisées dans tous les villages.
JEUX DE BALLE 59 JEUMONT |
La partie d'Anzin est renommée entre toutes, et il n'est fête ni "ducasse", dans le grand centre minier, sans quelque grande lutte franco-belge.
Nos lecteurs se rappellent peut-être que, l'an dernier, le roi d'Angleterre, se trouvant fin villégiature à Biarritz, assista à plusieurs parties de pelote basque, notamment à Sare, le célèbre village de "Ramuntcho", et que, en souverain d'un peuple ami de tous les sports, il prit à ce jeu le plus vif plaisir.
EDOUARD VII ET CHIQUITO DE CAMBO SARE PAYS BASQUE 1908 |
Les joueurs de balle d'Anzin, eux, n'eurent jamais la chance de jouer devant une tête couronnée ; mais, à défaut de ceux d'un roi, ils eurent naguère, et à plusieurs reprises, les suffrages d'un président de la République. M. Thiers, lorsqu'il venait à Anzin prendre part au conseil de régie de la Compagnie des mines, ne manquait jamais d'assister aux luttes qui se déroulaient sur le "ballodrome" anzinois. Un jour de l'été de 1873, comme les Belges avaient remporté la victoire, il voulut remettre lui même la traditionnelle balle de vermeil au joueur qui avait décidé du gain de la journée, un brave Bruxellois nommé Amédée Dchandschutter. Aux applaudissements frénétiques des mineurs, qui couvraient la place, le joueur fut amené au balcon de l'hôtel de ville, où le président de la République lui dit quelques paroles bien senties en lui remettant le prix de son adresse. Et l'excellent Amédée, tout ému, répondit :
— Merci, monsieur le maire.
Il avait pris M. Thiers pour le maire d'Anzin.
MINES 59 ANZIN |
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