L'AFFAIRE STAVISKY ET BAYONNE.
C'est une crise politico-économique qui secoue la France à la fin de décembre 1933, mettant en cause de nombreuses personnalités y compris en Pays Basque Nord.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, puisque nous sommes samedi, voici un autre article
sur le "feuilleton" de l'affaire Stavisky et ses répercussions au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 14 janvier
1934 :
"La journée d’hier fut moins fiévreuse que la plupart des précédentes autour du scandale du Crédit Municipal.
L’instruction a néanmoins suivi son cours.
Les perquisitions d’aujourd’hui.
On avait déjà l'impression, quelle que fût la difficile tâche du juge d'instruction et la conscience qu'il apporte à l'accomplir, que l'instruction à chaque instant compliquée, se ralentissait.
Mais il s'agit, celte fois, et c'est le fait capital depuis hier, de l'interruption de cette instruction pendant trois journées.
M. d'Uhalt doit mettre, en effet, la dernière main à l'instruction de l'affaire d’avortement d'Ossès, qui est grave et qui vient ces jours-ci devant la Cour d'assises des Basses-Pyrénées.
On a appris, d'autre part, que le juge avait refusé la mise en liberté de MM. Camille Aymard et Dubarry, dont les inculpations semblent n'avoir qu'un rapport assez douteux avec l'affaire du Crédit de Bayonne. C'est ce qu'ont fait valoir — sans succès — leurs avocats.
Peut-être perquisitionnera-t-on ce soir chez M. Garat. Et encore cela n'est-il pas bien certain.
A Bayonne. L’instruction.
M. d’Uhalt, juge d’instruction, a reçu hier dimanche, à 11 heures, Maîtres de Poorter et Saillard, venus prendre contact avec lui. et, en même temps, accord sur la date du premier interrogatoire de M. Bonnaure. Aucune décision n'a pu être prise à ce sujet.
A midi, le magistrat déclarait :
"J’ai simplement procédé ce matin à un nouvel examen du dossier et reçu les avocats de M. Bonnaure.
DEPUTE GASTON BONNAURE PHOTO AGENCE MEURISSE |
Les perquisitions qui devaient avoir lieu cet après-midi sont remises à lundi, car je dois me rendre à Tarbes pour affaires de famille."
Et M. d’Uhalt dit : "Je me sens très fatigué. Si je ne veux pas être obligé de demander un mois de repos pour maladie, je serai forcé de ralentir l'instruction, qui me fait négliger les affaires courantes."
M. Bonnaure a été entendu ce matin par le juge.
M. Camille Aymard entendu par le juge.
CAMILLE AYMARD PHOTO AGENCE MEURISSE |
Ainsi que nous l’avions dit samedi, M. d’Uhalt a entendu ce jour-là M. Camille Aymard, arrivé au Tribunal à deux heures moins le quart, après que celui-ci eut causé avec ses avocats, Maîtres Alfred Dominique et Pierre Lewel.
L'interrogatoire de M. Camille Aymard fut bref. M. d’Uhalt s’étant rendu ensuite auprès de Darius qu’il a interrogé en présence de son avocat, Me Boucheron, qui devait repartir le soir pour Paris.
M. d’Uhalt est revenu au Palais vers huit heures et demie.
L’interrogatoire de Darius s’est terminé très tard dans la soirée. Me Boucheron, son avocat, n’a pas fait de déclarations à la presse, puisqu’il ne pouvait confirmer que ce qu’il avait déjà dit, à savoir que son client a fait des affaires de publicité régulières.
De son côté, M. d’Uhalt nous a déclaré que Darius avait énergiquement protesté de son innocence et d’avoir tout ignoré de l’affaire du Crédit Municipal.
Darius a déposé entre les mains du juge d’instruction une demande motivée de mise en liberté provisoire.
Le juge a ajouté que M. Bonnaure arriverait à Bayonne sans qu’un mandat d’inculpation soit lancé contre lui, et serait entendu à titre de témoin, sans pouvoir fixer encore la date de cet interrogatoire.
Le cas de M. Dubarry.
M ALBERT DUBARRY DIRECTEUR DE LA PUBLICATION LA VOLONTE |
Les défenseurs de M. Dubarry ont fait les déclarations suivantes :
"L’interrogatoire a porté exclusivement sur les faits sur lesquels ils a déjà été entendu par trois fois, les 6, 7 et 9 janvier, à Paris, par M. Lapeyre, doyen des juges d’instruction du parquet de la Seine. Par contre, sur l’élément matériel du délit, c’est-à-dire sur le recel, aucune question n'a été posée par le juge d'instruction. Ceci a provoqué une déclaration de la défense avec demande qu'acte en soit donné. Il a été déféré à son désir.
Nous ajouterons simplement, poursuit Me Dominique, que M. Dubarry a adjoint à sa défense, M. Henri Sanz, du barreau de Bayonne."
Questionné sur l’inculpation d’Albert Dubarry, Me Dominique répond :
"Nous en sommes à désespérer qu'on nous précise les éléments matériels du délit.
Sur l’influence de Stavisky à la "Volonté", les avocats ont dit encore :
"Il entra avec elle, en relations, par l'entremise de la Société Sapiens qui l’avait vendu, Stavisky acheta la "Volonté". Cette vente eut son effet à la date du premier novembre 1932. De ce jour, M. Dubarry n’étant plus propriétaire ne fut que le directeur général, appointé, un employé supérieur, si vous le voulez, mais rien que cela. Et, pendant neuf mois, il reçut le salaire convenu.
Nous partons ce soir, dit enfin Me Dominique, mais d’ici peu, Me Lewel ou moi reviendrons à Bayonne. Pour aujourd'hui, nous avons tenu à apporter à M. Dubarry, le réconfort de nos deux présences.
Et Maîtres Alfred Dominique et Lewel sont partis pour Paris, samedi soir à 23 h. 8.
On annonce aujourd'hui que M. d'Uhalt a rejeté la demande de mise en liberté provisoire formulée par les défenseurs de MM. Camille Aymard et Dubarry.
Une interruption de trois jours.
Ce matin, M. Bonnaure, député de la Seine, s’est rendu vers 9 heures et demie au Palais de Justice, où il a été entendu par M. d’Uhalt.
M. Bonnaure, qui est inculpé libre, pour recel, a subi un simple interrogatoire d’identité qui n’a pas duré plus d’un quart d’heure. Le député de Paris repart ce soir pour Paris.
En ce qui concerne MM. Camille Aymard et Darius, dont la mise en liberté provisoire a été refusée par le juge d’instruction de Bayonne, ils ont fait appel devant la Chambre des mises en accusation et les pièces de procédure les concernant vont être envoyées à Pau.
L’instruction va subir aujourd’hui, demain et après-demain, un temps d'arrêt, M. d'Uhalt devant s’occuper de l'affaire de viol d’Ossès, qui doit passer à la prochaine session des assises.
Dans la soirée, M. d’Uhalt opérera peut-être une courte perquisition au domicile de M. Garat. L’instruction de l’affaire du Crédit municipal ne reprendra d'une façon effective, que le 18 janvier, avec l'interrogatoire de Hayotte.
La réunion des porteurs de bons.
Dimanche matin à dix heures, les porteurs de bons du C. M. se sont réunis à l'Olympia, répondant à l'initiative de M. Berthomieu qui les avait convoqués.
Après des échanges de vues sur les généralités de l’affaire, les personnes présentes ont élu un bureau ainsi constitué : Président : M. Guéraçague, de Bayonne ; vice-président : M. Gaillardon, de Chassin ; assesseurs : M. Debedat, de Biarritz, Mme Cazal de la Rüe, de Biarritz ; M. Daranatz, de Bayonne.
L’ordre du jour suivant a été proposé :
"Des porteurs de bons du Crédit Municipal de Bayonne, réunis à Bayonne, salle de l’Olympia, le 14 janvier 1934, se sont constitués en Association régie par la loi de 1901, à laquelle ils ont donné l’appellation : "Association des Basses-Pyrénées pour la défense des porteurs de bons du Crédit Municipal de Bayonne."
Le siège social de cette association est fixé à Bayonne, salle de l'Olympia, (permanence ouverte les jeudis et dimanches, de 9 heures à 10 heures, adhésion gratuite sur indication des numéros des bons).
L’Association ainsi constituée, adopte les résolutions suivantes :
1) Faire obtenir aux porteurs de bons, le remboursement des sommes par eux versées régulièrement, et, pour ce faire, décide de coordonner son action avec celle de l’Association pour la défense des créanciers et porteurs de bons du Crédit Municipal de Bayonne, siège social, 3, rue de Turin, Paris, à laquelle l’adhésion est gratuite.
2) Eventuellement choisir comme avocat-conseil, Me Moreau ou Me Henri Sanz, du barreau de Bayonne, sous réserve de leur acceptation, et les charger de se mettre en rapport avec Me Torrès, avocat de l’Association de la rue de Turin, déjà partie civile ès-qualités.
Ce procès-verbal mis aux voix par le président M. Guéraçague, a été adopté à l’unanimité.
Au cours de la séance à laquelle assistait M. Souques, de Pau, délégué du syndicat de Paris, qui, à plusieurs reprises, donna des explications et apporta plusieurs adhésions de Pau, plusieurs porteurs ont demandé qu'il soit fait une discrimination entre les souscripteurs directs ayant versé au guichet du Crédit municipal de Bayonne, la somme même figurant sur leurs bons, et, d’autre part, les porteurs de bons ayant acquis ces bons par escompte.
Une prochaine réunion sera tenue dans la quinzaine ; les intéressés seront informés par la presse de la date et de l’heure à laquelle elle aura lieu ainsi que de l’ordre du jour qui y sera étudié.
"Changement à vue à Bayonne"
C’est le titre que le Matin donne aux réflexions suivantes :
— S’il faut attaquer pour me défendre, eh bien ! j’attaquerai, disait Garat le jour de son arrestation.
— On va tout déballer. Vos lecteurs auront de quoi rigoler, affirmait hier Camille Aymard en sautillant sur les marches du palais de justice.
— Si l'on veut que ce soit la bataille, eh bien ! ce sera la bataille, lançait Dubarry en franchissant le porche de la prison.
Or, il a suffi que Garat, Camille Aymard et Dubarry se fassent "auditionner" cinq minutes ou trois heures par le juge d’instruction pour qu’il ne soit plus question d’attaquer, de rigoler ou de batailler.
Garat, dont le cas s’aggrave chaque jour puisqu’on parle maintenant de l'inculper d'extorsion de fonds, a invoqué pour excuser son silence, un souci de discrétion d'honneur.
Camille Aymard, par la voix de son défenseur, Me Freyssenge, a fait connaître qu'il ne chercherait pas le scandale parce que c’est une tactique qui ne convient pas à sa dignité.
Quant à Dubarry, il s’est tu sans explication.
Que se passe-t-il donc dans ce cabinet d'instruction ? Quelles paroles peut bien prononcer M. d’Uhalt pour apaiser si vite les turbulences les plus vives ?
Son dossier est il si accablant que lorsqu'il interroge l’inculpé du moment, celui-ci ne songe plus qu’à se défendre pied à pied sans essayer de se sauver en ayant recours à la diversion retentissante de quelques noms jetés en pâture à la justice ?
Peut-être faut-il chercher d'autres raisons à ce changement d’attitudes.
Une chose est sûre : la première journée d'interrogatoire sur le fond a montré que le scandale était au point de saturation.
A moins d’incidents imprévus résultant de confrontations plus ou moins vives, l'instruction se développera maintenant sans à coups, sans trop de bruit, sans éclat.
Il apparaît, en effet, d'ores et déjà, qu'on ignorera tout ou presque tout des éléments d’accusation, car le juge a juré de rester muet.
Et comme seuls les avocats continuent de parler, la porte de l’instruction ne laisse plus passer que les échos des plaidoiries d’escalier.
L’arrivée de M. Bonnaure à Bayonne.
M. Gaston Bonnaure, député de Paris, qui, à minuit, avait pris, aux Aubrais, l'express de Bayonne, est arrivé hier matin. Il était accompagné de sa femme et de deux collaborateurs de Me de Moro-Giafferri, avocat à la cour de Paris, son défenseur.
"Je viens pour me disculper", dit le député aux journalistes présents sur le quai de la gare.
Quelques instants plus tard, M. Bonnaure, qui était vêtu d’un long pardessus de voyage, coiffé d’un feutre gris et paraissait assez fatigué, s’enfermait dans l'appartement qu'il avait retenu dans un grand hôtel.
Une lettre de Me Jean-Charles Legrand.
Me Jean-Charles Legrand, défenseur de Gustave Tissier, vient d'adresser à M. d’Uhalt, juge d’instruction, la lettre suivante :
"Monsieur le Juge,
Dans l’intérêt de la manifestation de la vérité et afin de situer le rôle exact joué parmi tant d’autres par mon client Tissier, je vous serais obligé de vérifier les indications ci-dessous :
Est-il exact qu’aux environs d’octobre 1933, M. Simon, commissaire, à la première brigade mobile de la Sûreté générale, ait eu entre les mains par un indicateur un faux bon de 3 millions 300 000 francs du Crédit Municipal de Bayonne, et qu’il ait connu, dès cette époque, l'affaire Stavisky ?
Est-il exact qu'en ayant entretenu un de ses chefs, afin de prendre des mesures urgentes, il ait été invité à ne pas intervenir ?
Je vous demande, Monsieur le Juge, d’entendre M. le commissaire Simon sur ces points. Dans le cas où ces faits seraient exacts, n’y aurait-il pas lieu de rechercher la cause de cette carence qui, en permettant le développement de l’affaire, a donné à Stavisky sa liberté d’action ?
Veuillez agréer, etc."
Des centaines de chèques.
Les enquêteurs de la Sûreté générale ont consacré la plus grande partie de leur journée d’hier au classement de pièces de procédure innombrables et à la confection des scellés qui vont faire l’objet d’un nouvel envoi à M. d’Uhalt, juge d’instruction à Bayonne.
Parmi les scellés les plus importants figurent plusieurs centaines de chèques saisis dans un grand établissement bancaire parisien et signés "S. Alexandre". Il y en a deux cent cinquante rien que pour l’année 1933, représentant plusieurs dizaines de millions.
A côté du chèque de quelques centaines de francs représentant le règlement de quelque fournisseur, on y trouve des chèques nombreux pour plusieurs centaines de mille francs, voire de plusieurs millions, à des noms très divers. Les plus importants sont établis "au porteur". La plupart ont été touchés par M. Depardon, l’homme de confiance de Stavisky, chargé par lui de différentes "opérations financières".
Placés sous scellés découverts, tous ces chèques vont incessamment être dirigés sur Bayonne.
Les défenseurs réclament le "dossier Dalimier".
M ALBERT DALIMIER MINISTRE DES COLONIES 1933 |
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